Le « complotiste-révoltiste » appartient à la confrérie d’extrême gauche, parfois divisée entre les soixante-huitards rangés derrière Macky et la nouvelle génération opposée au président

En ces temps de Covid-19, de complotiste au néologisme « révoltiste » en passant par la case populiste, il n’y a qu’un pas. Dans cette amorce d’essai, je m’efforce de tirer le portrait d’une catégorie d’idéologues du complot et surtout de déconstruire leurs schèmes de pensée sans les stigmatiser. Je vous l’avoue humblement, cette entreprise est complexe. Il ne s’agit pas ici de décrire le complotiste dans son état confusionnel et délirant mais de s’attarder sur une connexion entre le politique, le réel et l’irréel. C’est là où se trouve toute la difficulté de démêler le vrai du faux, sur fond d’angoisse collective.

Commençons par le plus simple, le réel ! Si les pandémies ne changent pas le cours de l’histoire, elles accélèrent les tendances socio-politiques déjà présentes. Au Sénégal, le gouvernement salliste essuyait des critiques récurrentes autour de l’absence d’un patriotisme économique et autour d’un monopole partenarial français. Dans ce contexte, cette pandémie ravive ces condamnations et appelle à la nécessaire auto-suffisance alimentaire, réhabilitation des services publics et industrialisation africaine.

Pour les « complotistes-révoltistes » au Sénégal, la pandémie marque une continuité cohérente dans leur combat politique en faveur d’une société plus équitable et solidaire. On ne saurait le leur reprocher malgré une démarche quelque peu revancharde contre leur ennemi de toujours : le capitalisme. Ils s’inscrivent dans la remise en cause d’un modèle et d’un ordre qui, selon eux, ne marchent pas. Et ce avant même l’arrivée du Covid-19 ! C’est du pain bénit pour certains activistes de métier, citoyens procureurs-enquêteurs, militants extrémistes et politiciens populistes. La pandémie leur donnerait raison tant les défaillances, les dysfonctionnements des Etats et du système des Nations unies sont à juste titre sur le banc des accusés ! Les présidents français et sénégalais en ont pris conscience, et annoncent l’avant-goût d’un nouveau monde dont on ignore encore à quoi il ressemblerait.

Mais ont-ils vraiment changé ? Macky Sall fait appel à l’aide extérieure bien que, dans cette crise sans précédent, nous ne saurions lui en faire grief. Et les français se soignent toujours de leurs démons colonialistes. Ce pays, en l’espace d’une semaine, a offert sur un plateau d’argent aux « complotistes-révoltistes » tous les arguments pour tailler leurs lances. Entre le déshonneur des médecins français incompatible avec le serment d’Hippocrate, une note diplomatique surréaliste rédigée par un ancien archiviste du fonds Foccart (ça ne s’invente pas !) et l’interview du responsable français de l’aéroport international Blase Diagne sur ce qui est devenu l’affaire des vaccins, c’était le jeudi noir de la relation entre la France et le Sénégal ! Peut-être cette semaine catastrophique a-t-elle sonné le glas : il y aura un avant et un après dans les relations franco-africaines.

Tout ce qui est allégué par les « complotistes-révoltistes » n’est pas faux. Le lobbying des industries pharmaceutiques est une réalité, ainsi que l’histoire coloniale qui regorge d’essais cliniques sur les populations du Sud et les abus néo-colonialistes toujours sur le même sujet. La révolte numérique initiée par la Diaspora africaine après les propos du Pr Jean-Paul Mira, sur laquelle surfent émotionnellement les « complotistes-révoltistes », constitue dorénavant une barrière de sécurité sanitaire. En effet, de nombreux gouvernements africains, jusque-là silencieux, faute d’une communication de crise, sont sortis du bois pour rassurer leurs populations légitimement en proie au doute.

Allons dorénavant sur le terrain de l’irréel ! Sur Facebook, Ibrahima Sène met en doute l’origine animale de la pandémie. D’un doigt accusateur, il dénonce les grands laboratoires biotechnologiques en quête de profit. Sa preuve ? Une simple déduction précédée d’une série d’interrogations sans réponses argumentées, comme très souvent chez les complotistes-révoltistes qui, à l’exemple de la CREI et son renversement de la charge de la preuve, s’affranchissent de l’administration de celle-ci ! Pourquoi soudainement ces animaux sauvages transmettraient-ils ce virus, se demande-t-il ? Il ne s’est pas au préalable questionné sur la nouvelle responsabilité humaine dans le transfert des nouveaux virus de l’animal à l’homme (les « zoonoses »), à cause des effets destructeurs de l’activité humaine sur la biodiversité. Il n’a pas non plus pris la précaution de consulter l’histoire des pandémies : ces dernières existent depuis la nuit des temps, c’est-à-dire depuis la sédentarisation des hommes et à travers leurs voies de commerce.

Comme tout complotiste qui se respecte, il faut un bouc émissaire. Pendant le moyen-âge, lors de la peste noire entre 75 000 000 à 200 000 000 de décès et avec la décimation de plus de la moitié de la population européenne, les juifs étaient suspectés d’avoir empoisonné les puits. Beaucoup d’entre eux furent massacrés par des populations hystériques.  Le « complotiste-révoltiste » au Sénégal est conditionné par son anti-impérialisme et son obsessionnel complot mondialiste. Il appartient à la confrérie d’extrême gauche, parfois divisée entre les soixante-huitards rangés derrière Macky Sall et la nouvelle génération opposée au chef de l’Etat sénégalais. A la toute fin d’une interview-audio, Guy Marius Sagna assimila sans détour le dispositif français Aphro-Cov à un G5 Cobaye. Il finit par plaider en faveur d’un nouveau partenariat avec Cuba, la Chine et le Venezuela, étrangement trois pays d’obédience communiste, à l’opposé de la France. Le « complotiste-révoltiste » reçoit le soutien des intellectuels africains et celui de nombreux afro-européens dont il y aurait tant à dire sur leur positionnement confus entre l’instrumentalisation de l’Etat français et leur rattachement à un imaginaire africain.

Au Sénégal, les « complotistes-révoltistes » ont une audience au-delà de leurs membres. Ils exploitent la fragilité psychique de tous face à la crainte de la mort. Ils intègrent dans leur stratégie les paramètres socio-culturels favorables à la diffusion de leurs thèses. Comme la culture du complot étatique. L’histoire politique du Sénégal commença par un complot dont la France joua un rôle important contre le président du Conseil Mamadou Dia. D’ailleurs, cette figure de proue d’un socialisme auto-gestionnaire, inspire les « complotistes-révoltistes » d’aujourd’hui. Les complots plus contemporains contre les deux K ne font que renforcer l’idée d’un Etat suspect, marionnettiste et secret. L’échec du développement du Sénégal depuis 60 ans a aussi fini par installer la défiance et le désespoir du peuple vis-à-vis de l’Etat.

L’idée de l’extermination de l’Afrique par les vaccins, quant à elle, par la voie d’injection ou de produits occidentaux importés ou de masques, se répand comme une traînée de poudre depuis quelques jours. C’est une réalité socio-culturelle où la peur de l’empoisonnement se retrouve dans de nombreuses sociétés africaines. Le médecin de l’ancien président du Bénin avait été accusé d’une tentative d’empoisonnement sur la personne du chef de l’Etat Boni Yayi. A cela vous ajoutez les propos méprisants tenus par Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron sur la démographie africaine et le taux de fécondité des femmes africaines. Et vous obtenez un cocktail irréaliste de plusieurs faits distincts à l’origine mais reliés entre eux par les complotistes.

Voyons dans une dernière partie le rapport entre le réel et l’irréel ! Comment ne pas tomber dès lors dans le piège de la mise en scène du complotiste ? Mêlées dans de nombreuses exclusivités qu’il prétend détenir, il vous glisse une ou des infox dans son raisonnement. C’est le cas d’un analyste stratégique congolais qui accuse les Etats-Unis d’Amérique en produisant une fausse déclaration du Pr Didier Raoult.

En réalité, comme Jean Piaget le prophétisait, seule l’intelligence devient notre dernier recours quand nous ne savons pas comment faire face à une situation. Lorsque le réel est complexe, la communication des différents acteurs-gestionnaires d’une crise doit être plus simple et mesurée. Le format rapide et exclusif des chaines d’info en continu est un piège à éviter, surtout pour les non-experts de la com’ !  Pour les gouvernants, la transparence est préconisée. Pour les journalistes, il faut inlassablement enquêter pour ne pas laisser le terrain aux complotistes. Toutes les sources d’informations doivent faire l’objet d’une vérification minutieuse. Je m’étonne que Pape Alé Niang ait rapporté à sa communauté d’auditeurs un fait à l’état brut : selon un agent de l’AIBD, il faudrait regarder du côté de l’aéroport LSS qui accueillerait des vols militaires et qui, à cette occasion, pourrait voir débarquer des vaccins au Sénégal. Bien sûr que cette information mérite de faire l’objet d’une enquête ! Mais est-il raisonnable de la partager à l’état brut sans preuve à l’opinion publique dans un contexte de peur ?

Nous sommes également tous responsables en tant qu’internautes et récepteurs des thèses complotistes. Il s’impose de faire le tri entre les véritables et fausses informations. La tâche n’est pas aisée ! Mais faisons preuve de bon sens ! Dans la thèse complotiste du congolais, cet analyste prétendait que les Américains comptaient moins de morts que les Européens tandis qu’ils avaient plus de patients déclarés positifs. Etrange, concluait-il ! Aujourd’hui, cette thèse tombe à l’eau et s’avère même indécente. Faisons preuve aussi d’un minimum de cohérence avec nous-mêmes ! Ils vous arrivent de visionner des vidéos de blancs qui vous confortent dans la supposée extermination des Africains par les Occidentaux. Vous les croyez parce qu’ils sont blancs ? Alors que, sur l’affaire des vaccins, vous accusez les blancs de vouloir vous empoisonner ? Pourquoi porter plus de crédit à des inconnus blancs ?

Je terminerai par une célèbre citation de Pascal qui s’applique si bien au Covid-19 et au besoin d’être tous unis face à cette épreuve et de mettre notre pensée au service de l’humanité : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goute d’eau, suffit pour le tuer (…). Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever (…). Travaillons donc à bien penser ». En France, travaillons aussi notre pensée et notre éducation pour cesser nos erreurs et nos fautes inexcusables envers l’Afrique sinon il ne faudra pas se plaindre de la propagation des thèses complotistes contre ce pays !

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