Rfi.fr – En France, le Collectif pour le rapatriement des corps des Sénégalais décédés du Covid-19 se bat pour que Dakar lève l’interdiction du rapatriement des dépouilles des expatriés morts du coronavirus. Des dizaines de familles en France sont concernées et vivent en plein désarroi.

En cette journée du 4 avril 2020, Nicolas Mendy n’a pas la tête à célébrer les 60 ans de l’indépendance du Sénégal. Il vient de perdre son père, Dionsignou, victime du coronavirus, à l’hôpital Cochin de Paris. Sa détresse est immense, mais elle le sera encore plus quand il apprendra quelques jours plus tard qu’il ne pourra pas l’enterrer au Sénégal, son pays natal. Dionsignou était arrivé en France en 1968 pour travailler chez Renault, il y est resté à sa retraite, en 2009.

Les autorités françaises ont pourtant établi un document pour le rapatriement du corps, mais le consulat du Sénégal en France signifie à Nicolas que les morts de Covid-19 ne peuvent pas être rapatriés au pays, conformément à une directive du gouvernement. Un coup de massue pour Nicolas. « Le souhait de mon père était d’être enterré au Sénégal. C’est son vœu. Toute la famille est au Sénégal, je suis son seul enfant en France. Je ne me vois pas enterrer tout seul mon père ici. »

« Un deuxième deuil »

Comme Nicolas, plusieurs dizaines de familles sénégalaises dans le monde sont dans l’expectative face à la décision de leur pays. En France, au moins 45 Sénégalais ont été déclarés morts du Covid-19. Beaucoup attendent d’être enterrés dans leur pays d’origine. Le grand-père d’Awa en fait partie. Cette infirmière de 31 ans est submergée par les émotions liées à son travail actuellement, la perte de son grand-père et maintenant la détresse de sa grand-mère. « Ma grand-mère ne comprend pas pourquoi son mari n’est toujours pas enterré, témoigne Awa avec la voix qui tremble. Elle se réveille au milieu de la nuit, elle a des crises d’angoisse. Elle est fatiguée. La seule chose qu’elle veut, c’est enterrer son mari au Sénégal selon sa volonté. Aujourd’hui, le deuil ne peut même pas encore commencer parce que vous avez encore le corps dans vos bras. C’est horrible, c’est une torture ! C’est même un deuxième deuil. »

Face à cette situation, Nicolas Mendy a décidé de porter le combat. Il est l’un des initiateurs du Collectif pour le rapatriement des corps des Sénégalais décédés du Covid-19. Cette association regroupe les membres des familles de personnes décédées du coronavirus en France – mais aussi aux États-Unis, en Italie, ou au Brésil – et bénéficie du soutien d’expatriés pas forcément touchés par la directive du gouvernement sénégalais. Pour Seydina Omar Bâ, le coordonnateur du collectif, c’est d’abord un « combat de principe ». « La personne qui enterre son proche doit pouvoir le faire au Sénégal. On veut que l’État du Sénégal rétablisse cette liberté », exige le sociologue qui informe qu’à « l’heure actuelle, 80 Sénégalais sont décédés du Covid-19 » à travers le monde.

« Nous ne demandons pas d’aide financière à notre pays, insiste Nicolas Mendy. On veut juste un laissez-passer pour nos morts. Il n’y a aucun danger, les corps sont mis dans un coffret un aluminium hermétique puis dans un cercueil en bois fermé. Il n’y a pas de risque de transmission. »

L’appel du ministre des Affaires étrangères

Le collectif dénonce ainsi le prétexte sanitaire brandi par l’État sénégalais pour justifier l’embargo. Le docteur Adama Bâ Faye, réanimateur dans une clinique toulousaine, balaie cet argument sur le risque de transmission. « Le gouvernement sénégalais nous avait brandi une directive de l’OMS, mais vérification faite, la dernière directive ne mentionne aucunement une interdiction de rapatriement de corps. Mieux, l’organisation onusienne a même allégé les premières directives car désormais en France, par exemple, la famille peut voir le corps du défunt et se trouver dans la même pièce. Pour les musulmans, les gens peuvent même procéder à la toilette funéraire. Tout cela pour dire qu’il y a aucun risque pour le rapatriement des corps morts du Covid-19. Sinon, en tant que médecin, je n’aurais jamais défendu cette thèse-là. Nous avons envoyé nos arguments médicaux au ministère de la Santé mais il n’y a toujours pas eu de réponse de leur part. ».

Le Sénégal reste donc sur sa position malgré les nombreuses lettres motivées et les demandes de dérogations. « Jusqu’au moment où je vous parle, on a une fin de non-recevoir, se désolé Seydina Omar Bâ. Le 13 avril, le ministre des Affaires étrangères, Amadou Bâ, m’a appelé au téléphone. Mais pendant une demi-heure, il ne m’a donné aucun argument scientifique ou médical capable d’étayer leur décision. Il y a toujours des corps de Sénégalais rapatriés, mais c’est injuste de mettre l’embargo que sur les victimes du coronavirus. »

En attendant, les proches sont entre la résignation et la prière. Awa, petite fille d’Ousmane, tirailleur de la guerre d’Algérie, est en colère, elle. « Ce qui me fait mal, c’est que cette situation de crise pousse au laxisme aussi en France. Comme de déclarer mon grand-père décédé du Covid-19 sans avoir fait un test qui le prouve. Mon grand-père est décédé à la maison. Il était malade et avait une altération de son état général, mais il n’est pas mort du Covid-19. La preuve, ma grand-mère avec qui il partagé son lit a été testée négatif après. Comment peut-on expliquer cela ? En attendant, le fait de l’avoir mis dans les victimes du coronavirus le prive d’enterrement au Sénégal. C’est aberrant ! »

Les chefs religieux sollicités

L’attente, c’est le quotidien de Nicolas Mendy. Il espère une décision rapide et positive de la part du gouvernement sénégalais. Car ce chef de sécurité incendie ne sait pas s’il pourra continuer à verser les 55 euros journaliers pour garder le corps de son père dans un funérarium. « De toute les façons, le corps ne peut être gardé que pendant trois mois maximum. Il faudra que la situation se décante. »

Sinon ? Nicolas fera certainement comme Samba Diallo et les amis de Mamadou Ndour, décédé du coronavirus à 70 ans et enterré au cimetière de Thiais (Île-de-France) après des jours d’attente pour obtenir un laissez-passer. « Mamadou Ndour était arrivé en France pour un rendez-médical, et finalement, il a été enterré par nous ses amis, loin de ses femmes et de ses enfants, témoigne Samba Diallo. On n’avait pas le choix, on ne sait pas combien de temps cette crise va durer, on s’est donc cotisés pour lui acheter une concession funéraire pour 30 ans à 3 500 euros. »

Aujourd’hui, le collectif continue de mettre la pression sur le gouvernement en faisant intervenir les leaders d’opinion au Sénégal et surtout les chefs religieux. Il espèrent qu’avec le mois de ramadan en cours, les autorités sénégalaises prêteront une oreille plus attentive.