Après m’avoir dit : tu dois être exemplaire. C’est ainsi qu’il me dit : c’est une affaire que l’on doit régler sans attendre. De mon côté, malgré mon jeune âge, je continuais à observer sa façon de parler, ses gestes. C’était la première fois que nous étions en tête-à-tête tête. J’ai constaté qu’il était un homme efficace, rigoureux, habile et très à cheval sur les principes. Au cours de la discussion, il nous dit : attendez, je vais appeler au ministère de l’éducation nationale. Il prit son téléphone et appela directement le directeur de cabinet du ministre de l’éducation nationale ( je crois que c’était un monsieur Fall à l’époque) . C’est ainsi qu’il lui dit : j’ai un élève qui a eu un soucis avec son professeur d’anglais. Ce dernier lui interdit de mettre son turban en classe. À ce moment, mon coeur commençait à battre très fort parce que l’affaire prenait une tournure sérieuse. Serigne Atou l’avait pris vraiment au sérieux. À la fin de la conversation avec le directeur de cabinet, il me dit que ce dernier va appeler le Proviseur du Lycée demain matin afin que cette affaire soit vidée le plus rapidement possible.

Après cela, il dit à Serigne Bathie : ce n’est pas suffisant. Il faut aussi dépêcher une délégation au Lycée afin qu’elle puisse régler ce problème avec l’administration du Lycée. C’est ainsi qu’il me dit : tu peux continuer à faire tes cours tranquillement et surtout ne cède pas à la provocation. C’est en ces mots que j’ai quitté son bureau pour aller préparer la réunion des sokhna sous la direction de mon maître et formateur Serigne Lamine Diouf qui m’avait pris sous son aile. Tous les mercredis, je devais préparer l’animation au niveau des sokhna. Au niveau de Hizbut Tarqiyyah, la hiérarchie ne rigole pas avec la mixité. S’agissant de Serigne Lamine Diouf, j’ai beaucoup appris auprès de lui. Je n’ai jamais connu un homme aussi courtois, disponible, pédagogique et social. Malgré que j’étais un jeune très difficile, il me comprenait et comprenait mes états d’âme. Vraiment j’étais difficile et difficile à manager. Mais Serigne Lamine ne voyait pas tout cela. Il m’a toujours accompagné avec douceur et pédagogie. C’était avec lui que j’ai appris à parler avec aisance en public. Le mot rigueur, je l’ai pratiqué auprès de lui. J’ai beaucoup appris auprès de lui.

Le lendemain, c’était le jeudi et j’avais un cours de philosophie avec M Diagne entre 8h et 10h. C’est en plein cours que le surveillant général est venu me dire de venir répondre le Proviseur du Lycée pour affaire me concernant. Évidemment, c’était l’affaire du turban. C’est un Proviseur qui avait la réputation d’un homme dur et rigoureux. Tout le monde le craignait. Il avait fait un très bon travail au Lycée. C’est ainsi que je suis sorti en compagnie du surveillant général. Arrivé dans son bureau il m’a prié de s’asseoir. Il me demanda : qu’est-ce-qui se passe Serigne bi entre toi et ton professeur d’anglais ? J’ai commencé à lui raconter l’histoire. Après avoir fini, il n’a rien trouvé que de me dire : oui, il a parfaitement raison. Le règlement intérieur interdit les signes distinctifs. Et pour preuve, il me dit : connais-tu l’histoire du foulard en France ? Je répondis : oui ! Il me dit : c’est pareil. Alors, qu’en réalité, il avait une grande photo de Mame Issa Laye ou Mame Limamoulaye accrochée sur le mur de son bureau. Ainsi, je lui dis : donc du coup cette photo en face de moi, elle ne doit pas être là ? Il me fixa et me dit : tu sais mon fils, je vais essayer de convoquer une réunion afin que l’on règle cette question.

Le vendredi, en milieu de matinée, trois hommes habillés en bay lahat sont venus au Lycée pour voir le Proviseur. En ce moment, le bruit avait déjà couru dans le Lycée. Du coup, le dahira des Prof mourides avait été avisé. Parmi eux, il y avait un Professeur qui s’habillait même en bay lahat. Alors, l’affaire prenait une autre tournure. Je me souviens, il m’avait dit : ce n’est pas possible, il ne peut pas t’interdire de mettre ton turban. Il joue à quoi lui ? La question du turban commençait à prendre une autre tournure dans le Lycée.

Pendant que nous discutions au niveau du hall, le Proviseur nous appela tous dans son bureau. Le professeur d’anglais était présent, le surveillant général, le Censeur, d’autres professeurs du Lycée ainsi que les représentants de l’administration de la Daara de Dakar. L’ambiance était lourde. Au début, la question paraissait simple, mais elle a fini par opposer des camps. Le Proviseur prit la parole et expliqua le pourquoi de la réunion. Après cela, il donna la parole au Censeur. Quand ce dernier a fini de parler, le Proviseur me demanda de donner ma version des faits. J’ai tout expliqué. Après la fin de mon discours, il donna la parole au Professeur qui a donné une autre version. Il avait dit que je m’étais levé en plein cours afin de refaire mon turban. C’est ce qu’il ne supportait pas. C’est pour cette raison qu’il m’a exclu de son cours. En entendant cela, j’étais choqué. Le surveillant général et le Censeur m’ont fait signe afin que je me taise.

Après le discours du Professeur, les administratifs envoyés par la Daara Dakar ont pris la parole. Le porte parole du jour sortit mon dossier de membre et dit au Proviseur : voilà le dossier de membre de Moustapha. Vous voyez bien tout son cursus scolaire y figure. Moustapha ne fait pas ce qu’il veut. Nous avons beaucoup d’élèves dans presque tous les Lycées de Dakar, mais ils n’ont jamais eu de problèmes avec qui que ce soit. C’est ainsi qu’il donna mon dossier au Proviseur. Ce dernier était étonné de la qualité du travail et de gestion de Hizbut Tarqiyyah. Ainsi, il dit : je crois c’est un malentendu et une incompréhension entre le Professeur et Moustapha. Il n’a arrêté pas de tarir d’éloges sur cette façon exemplaire de gérer. C’est ainsi qu’il dit : si tout le monde pouvait s’inspirer de votre façon de gérer les choses, ce pays irait de l’avant. Le pays a besoin des gens comme vous. En cela, l’on parlait plus de Hizbut Tarqiyyah que de Moustapha et son Professeur d’anglais. La discussion n’était plus une affaire de turban mais plutôt le modèle de Hizbut Tarqiyyah. Après la fin, les administratifs de Hizbut Tarqiyyah m’ont demandé d’aller serrer la main du Professeur.

Le problème avait été résolu, mais le Professeur n’avait pas lâché l’affaire. À chaque cours, il essayait de m’humilier par des propos allusifs. Toute la classe me regardait, mais je n’ai jamais perdu mon calme. Je n’ai jamais cédé à aucune provocation. Souvent il faisait allusion aux baol baol. Un jour, il disait un baol baol qui fait des études, il n’ira pas loin. Jusqu’à la fin de l’année, il ne me ratait pas . Dans mon bulletin, il s’est défoulé sur moi.

Deux ans aprés, l’on s’est croisé dans le bus 12. Dès qu’il est entré dans le bus, nos yeux se sont croisés. Il a avancé vers moi. Dès qu’il s’est approché, je lui ai cédé ma place sans rien lui dire. Il s’est assis confortablement. Peu de temps, il me demanda : toi, on dirait que je te reconnais quelque part ? J’ai répondu : oui peut-être ! Alors, il me dit : tu es passé à Limamoulaye ? J’ai répondu : j’ai fait tout mon cursus là-bas. C’est ainsi qu’il me dit : et maintenant tu fais quoi ? Je répondis : je suis en deuxième année de géographie à l’Université de Dakar. Il me dit : c’est bien ! Arrivé à l’arrêt campus social, je lui dis : merci Professeur et à la prochaine !

À chaque fois que Serigne Atou me voyait, il me rappelait cette histoire. Au-delà de cette histoire, il était humain et très accessible. Je n’ai jamais oublié les séances de discussions qu’il animait furtivement quand il entrait au CEC ( Culture, Enseignement et Communication). Au-delà qu’il était un pragmatique, il est un homme de culture. Il y a deux ans, je suis parti le voir, nous sommes restés deux d’horloge à discuter sur beaucoup de sujets. En partant, il me remit 25 000 francs CFA et me dit : France amoul dara, bayil rek ma defala affaire.

Mes condoléances à tous les membres de Hizbut Tarqiyyah. Qu’Allah l’abreuve de Sa Miséricorde par la grâce de Serigne Touba.

MMD