Du 11 au 23 février, plusieurs délégations européennes ont successivement foulé le sol dakarois. En dehors des accords signés çà et là, elles se rendent comptent que la question migratoire mérite d’être traitée de façon multilatérale. Le Sénégal est vu comme pays de la solution aux flux migratoires. Après le projet Pasped, le Frontex est en cours de finalisation.

 

 

En l’espace de deux semaines, Dakar était devenue la capitale de la question migratoire. La dernière en date a été avec la récente visite de Nikos Dendias, ministre des Affaires étrangères grec. Au-delà de la signature avec son homologue sénégalaise, Aïssata Tall Sall, du protocole d’entente de la tenue de « consultations politiques régulières » entre Dakar et Athènes, la question migratoire a été également abordée. La Grèce est l’une des portes d’entrée du flux migratoire en Europe. Malgré les moyens déployés pour y faire face, le phénomène est loin de régresser. Le ministre des Affaires étrangères grec a été très clair : « L’Europe a intérêt à écouter l’Afrique sur la question migratoire ». Pour Mme Sall, l’Europe ne devrait pas fermer ses frontières de façon unilatérale. « Ceci favorise l’émigration clandestine avec toutes ses formes possibles. Si les pays passent leur temps à fermer leurs frontières, à empêcher les gens d’entrer, ils finiront par trouver une autre voie. Cette voie, malheureusement, c’est la voie des trafiquants, la voie des réseaux, la voie des délinquants internationaux, la voie de ceux-là qui organisent une véritable traite humaine contre les migrants », estime la ministre des Affaires étrangères sénégalaise. Selon l’avocate, la meilleure façon est d’ouvrir la migration légale, et d’essayer avec des politiques de soutien au « maintien de nos jeunes dans nos territoires respectifs ».

Politique migratoire de Macky, Frontex…
Ces dernières années, le Président Macky Sall a lancé plusieurs projets de lutte contre la migration clandestine, à travers la formation et l’employabilité des jeunes sénégalais. Sur le plan de l’assistance et du contrôle aux frontières, l’Etat s’est engagé dans le démantèlement des trafics des passeurs, à travers le renforcement du contrôle des embarcations, le contrôle de l’espace maritime national, l’identification et le démantèlement systématique des réseaux de passeurs.

Cette lutte, l’Union européenne veut la mener au Sénégal, avec la mise en place, en 2018, du projet de lutte contre la migration irrégulière à travers l’appui au secteur privé et la création d’emplois au Sénégal (Pasped). Ce programme tripartite entre l’Italie, l’Union européenne et le Sénégal vise à donner aux jeunes une perspective de vie meilleure dans leur pays. Il est financé à hauteur de 27 milliards de Francs CFA et va faciliter la formation pratique, l’orientation et l’insertion professionnelle de 1200 jeunes sénégalais, dans six régions. Ce projet entre dans le cadre du Fonds fiduciaire d’urgence (Ffu), en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique, créé en 2016 après le sommet de La Valette sur les migrations.

La semaine dernière, une délégation de cinq députés du parlement européen de la commission des budgets était en visite de terrain à Dakar. L’objectif était d’échanger avec les acteurs sur les résultats et l’impact de ces fonds. Du 9 au 11 février 2022, en prélude au Sommet Ue-Ua (17 et 18), des Commissaires européens conduits par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, ont effectué une visite à Dakar. Lors de la conférence de presse, Ylva Johansson, la commissaire européenne chargée des affaires intérieures a émis l’idée du déploiement d’agents Frontex au Sénégal, une première en Afrique.

« En cas d’accord du gouvernement sénégalais, l’Ue pourrait envoyer des équipements de surveillance tels que des drones et des navires », a proposé Mme Johansson. D’après la commissaire européenne chargée des affaires intérieures, ces agents Frontex seront déployés aux côtés des forces maritimes. « Les agents travailleraient ensemble pour lutter contre les passeurs. C’est mon offre et j’espère que le gouvernement sénégalais est intéressé par cette occasion unique », a déclaré Ylva Johansson.

Emigration irrégulière
Entre 1 200 à 4 400 morts par noyade
Cette proposition intervient dans un contexte de tentatives d’accès aux îles Canaries, porte d’entrée dans l’Union européenne. L’archipel espagnol se trouve à un peu plus de 100 kilomètres de la côte africaine. Malgré les conditions de traversée de l’Atlantique, les candidats à l’émigration bravent le danger à bord de pirogues de fortune. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (Oim), environ 1200 personnes sont mortes ou ont disparu en tentant cette traversée en 2021. L’Ong espagnole Caminando Fronteras a avancé le mois dernier le chiffre de plus de 4 400 morts pour la même période.

ENCADRÉ

Irène Mingasson, Ambassadrice de l’Ue au Sénégal, sur le Fonds fudiciaire d’urgence

« Nous voulons la migration qui n’est pas une aventure dangereuse »
« Ce fonds a été mis en place il y a quelques années pour répondre à une situation de crise de la migration irrégulière. Il accompagne les différents pans de la stratégie européenne et africaine pour aborder toutes les problématiques et les questions qui sous-tendent la problématique de la migration. L’objectif principal, c’est de mieux gérer la migration mais dans le domaine positif. L’objectif numéro 2, c’est de lutter contre la migration irrégulière, c’est-à-dire contre les trafiquants et les réseaux. Nous avons beaucoup développé la question avec le Sénégal et nous continuerons à le faire dans le domaine de la sécurité. Le troisième volet, c’est de développer la bonne gestion de la migration, les voies légales de la migration.

Et pour cela, il faut s’entendre sur ce qui est une migration bénéfique de part et d’autre. Nous voulons la migration qui n’est pas une aventure dangereuse. Une tentative de migration qui coûte la vie aux personnes et beaucoup d’argent à leur communauté. Le dernier volet, c’est celui de la création d’opportunités et surtout du choix. Il ne faut pas que la migration soit le résultat un peu incontournable d’une absence d’autres alternatives. Nous allons continuer à mettre cette création d’opportunités pour la jeunesse sénégalaise, au cœur de notre partenariat. Je parle au nom de toute la team Europe. Au cours des dernières semaines, nous avons reçu la présidente de la commission de l’Union européenne, accompagnée de cinq commissaires européennes, pour rappeler la centralité de cet enjeu, cette priorité que nous accordons ensemble à la jeunesse africaine ».

 

F. Bakary CAMARA

1er mars 2022