C’était chaud hier à la Chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Dakar. Ayant traîné son collaborateur devant la justice pour injures publiques, Serigne Moustapha Mbacké s’est retrouvé dans le box des accusés pour la simple raison d’avoir refusé d’enlever son masque. C’est après quelques minutes écoulées que le juge Ndary Diop et non moins Imam a fait preuve de clémence en le faisant revenir à la barre et procéder au jugement. Le marabout poursuit Mamadou Diallo pour insultes et propos offensants.
Le juge Ndary Diop ne se laisse pas faire. Hier, il a appelé à la barre le fils de Serigne Modou Bousso Dieng Mbacké, Cheikh Moustapha Mbacké et Mamadou Diallo. Ces derniers devaient régler un différend, mais le procès a pris une autre tournure. Arrivé devant la barre, le juge a demandé au marabout d’enlever son masque, parce qu’il entendait à peine ses propos. Mais celui-ci lui rétorque qu’il ne peut pas se départir de son masque ; tout au plus, lui dit-il, je peux élever la voix pour mieux être entendu. Une réponse qui a irrité le magistrat qui s’est aussitôt mis à vociférer: «Hey! Ecoute-moi bien ! Nous ne sommes pas là pour des représailles. Tu n’as pas d’avis à donner ici. Est-ce que tu m’entends ? ‘’Suma neexee leegi nga sanni mask bi ca xajj! Et puis va t’asseoir là-bas !» (Si telle est ma volonté, tu vas tout de suite jeter le masque traduction du wolof). Le prévenu a rejoint le box des accusés sans broncher. La voix du magistrat irrité résonnait dans la salle d’audience.
Quelques minutes plus tard, le juge est revenu à de meilleurs sentiments et l’a fait revenir à la barre. Arrivé au prétoire, Serigne Cheikh a commencé à présenter ses excuses. Mais le juge les a ignorées et a procédé au jugement mettant en face Serigne Moustapha Mbacké ibn Serigne Modou Bousso Dieng et Mamadou Diallo.
C’est une rupture de contrat qui est à l’origine de leurs bisbilles. Serigne Moustapha Mbacké et Mamadou Diallo avaient entrepris des travaux. Mais du jour au lendemain, le marabout a appelé son collaborateur pour lui dire de tout cesser, parce qu’il ne pouvait plus continuer. Une décision que le sieur Diallo peine à digérer, car, dit-il, il avait déjà beaucoup investi sur ce projet. Emporté par la colère, M. Diallo a adressé un mail au marabout. Dans ce message, Serigne Cheikh a lu des paroles injurieuses qui l’ont offensé. Ne voulant pas se venger par lui-même, le petit-fils de Serigne Fallou a saisi la justice, afin que M. Diallo justifiât son acte.
Le juge à Serigne Cheikh Mbacké : ‘’Souma nékhè leigui nga saani masque bi thia Khadj’’ (Si telle est ma volonté, tu vas tout de suite jeter le masque traduction du wolof)
Devant le tribunal, le prévenu n’a pas reculé d’un seul pas. Il a pleinement assumé l’infraction d’injure publique qui lui a valu sa comparution. Selon lui, son message fait suite à une lettre que Serigne Cheikh Mbacké lui avait adressée. Bien qu’il ait reconnu que cette lettre ne comportait pas de propos outrageants à son encontre. Mais, fait-il croire, la partie civile l’a traité d’escroc et accusé d’avoir tenu des paroles mensongères. «Serigne Cheikh et moi avions entrepris des travaux. On avait signé une convention. Mais de manière abusive, il a voulu rompre le contrat, alors que j’avais déjà effectué d’énormes dépenses. Je me suis débrouillé pour équiper l’appartement», argue-t-il.
Mamadou Diallo, prévenu : «Si je lui ai fait confiance, c’est parce qu’il est le petit-fils de Serigne Touba. Mais il ne s’est pas comporté comme tel !»
À en croire M. Diallo, à chaque fois qu’il demandait à Serigne Cheikh son acompte, ce dernier lui faisait croire qu’il avait introduit une demande à la banque. Mais en vain. «C’est pour cela que je lui ai envoyé ce message pour l’exhorter à être loyal et respecter sa parole. Je lui ai fait savoir qu’il n’honore pas sa lignée. Si je lui ai fait confiance, c’est parce qu’il est le petit-fils de Serigne Touba. Mais il ne s’est pas comporté comme tel, car un vrai petit-fils de Serigne Touba ne mentirait jamais et respecte ses engagements !», peste-t-il. Ses accusations sont battues en brèche par le Mbacké-Mbacké. Selon ce dernier, il lui a remboursé son argent. Il soutient : «Je lui ai remis son argent, à travers un chèque par voie d’huissier».
Me Assane Dioma, avocat de la partie civile : «Si c’était à moi que tu avais adressé ce message me disant que je n’honore pas ma lignée, je t’aurais réglé ton compte à l’instant même, sans recourir à la justice !»
Prenant la parole pour plaidoirie, l’avocat de la partie civile, Me Assane Dioma Ndiaye, a estimé que son client a beaucoup de retenue. La robe noire martèle :«Si c’était à moi que tu avais adressé ce message me disant que je n’honore pas ma lignée, je t’aurais réglé ton compte à l’instant même, sans recourir à la justice !» . Poursuivant, l’avocat ajoute : « Le conflit est consubstantiel à la société. Il est temps de dire au prévenu d’arrêter. Mon client lui a remis son argent, mais il ne veut pas la paix. Je l’ai appelé pour lui dire de présenter ses excuses à la partie civile et il a refusé catégoriquement.
La justice doit jouer son rôle de régulateur social puisqu’il a reconnu, sans regret, être l’auteur de ces propos. Il a porté atteinte à l’honneur et à la dignité de mon client et l’a assumé devant le tribunal». Cela étant, Me Assane Dioma Ndiaye a demandé au tribunal de condamner Mamadou Diallo à payer la somme de 10 millions pour laver l’honneur de son client.
Mais de l’avis du maître des poursuites, le prévenu devait également être poursuivi de diffamation. «Il ne faut pas s’attaquer aux aïeux d’autrui. On a un prévenu assez particulier. Il n’a ni le regret, ni le déplaisir d’avoir porté ces insultes à l’encontre de la partie poursuivante. Au contraire, il a assumé et avoué qu’il le ferait encore une fois, si c’était à refaire. Les termes utilisés sont extrêmement graves », dit le procureur de la République, tout en précisant que le plaignant n’est pas jugé en tant que petit-fils de Serigne Touba. Il a, ainsi, requis 6 mois d’emprisonnement ferme contre Mamadou Diallo.
Ne disposant pas de Conseil, le prévenu a dit son dernier mot en ces termes : «Je n’avais pas l’intention de l’insulter. Vous m’avez mal compris. Je voulais lui faire savoir que ses grands parents ne seraient pas fiers de son comportement. Mais je n’offense jamais sa lignée. J’ai fait preuve d’allégeance à Serigne Touba. Tous les homonymes de mes fils sont des fils ou petits-fils de Serigne Touba, excepté mon aînée qui porte le prénom de ma mère. Donc, je suis prêt à perdre mon argent au nom de Serigne Touba. Il m’a atteint moralement et financièrement en rompant un contrat de 90 millions de francs.”
Au terme des débats, l’affaire a été mise en délibéré au 18 février 2021.