De tout-puissant ministre d’État, directeur de cabinet du président de la République, cet homme de l’ombre est devenu « simple » Envoyé spécial du chef de l’État. Un titre ronflant pour une coquille vide. Explications !
Macky Sall est assurément un leader qui sait surprendre son monde. De son mentor d’alors, le président Abdoulaye Wade, il a retenu la leçon consistant à clignoter à droite pour tourner à gauche ou vice-versa. Autrement dit, il est passé maître dans l’art de dribbler son monde. A l’installation du bureau de la XIVe législature de l’Assemblée nationale, le 12 septembre dernier, il avait encore fait étalage de ce talent «wadien». En effet, il avait sorti de son chapeau le député-maire de Richard Toll, Amadou Mame Diop, pour occuper le Perchoir de l’hémicycle de la place Soweto au grand dam de la tête de liste nationale de la mouvance présidentielle lors des dernières législatives, l’ancienne Première ministre Aminata Touré, inconsolable depuis. Egalement, le 17 septembre dernier, en procédant à la formation du nouveau gouvernement dirigé par Amadou Ba, le chef de l’Etat qui avait déjoué tous les pronostics. Il s’est encore signalé avec la rétrogradation, pour ne pas dire la mise à l’écart, de celui qui était jusque-là son homme de confiance, Mahmout Saleh. De tout-puissant ministre d’Etat, directeur de cabinet du président de la République, cet homme de l’ombre est devenu simple Envoyé spécial du président de la République. Un titre ronflant pour une coquille vide. Le Témoin revient sur les raisons de cette disgrâce des coups d’Etat « rampant » et « debout » !
Fondateur en 2000 de l’Union pour le renouveau démocratique/Front pour l’alternance (URD/FAL) puis du Nouveau parti (Np) sous le régime libéral de Me Abdoulaye Wade, Mahmout Saleh a dirigé le conseil d’administration de la Sénégalaise de Réassurances (SenRe), avant d’être nommé ministre conseiller auprès du président de la République. Théoricien du coup d’Etat rampant puis debout et principal pourfendeur du puissant ministre de l’Economie et des Finances d’alors, Abdoulaye Diop, Mahmout Saleh, comme beaucoup de ses amis trotskistes adeptes de la théorie de la révolution permanente de leur mentor Léon Trotski, est passé par la cage incarcération dans la célèbre prison de Rebeuss. Un séjour carcéral qu’il a mal vécu et d’où il sera tiré par les bons offices d’un de ses amis journalistes.
Tête de pont des faucons du palais
Considéré comme la tête de pont des faucons du palais, Mahmout Saleh est cité dans quasiment toutes les affaires politico-judiciaires qui ont secoué la République ces dernières années. Depuis en tout cas qu’il a pris la direction du cabinet présidentiel. Du viol présumé de la masseuse Adji Sarr impliquant le principal leader de l’opposition Ousmane Sonko aux élections locales et législatives, deux scrutins pour lesquels les investitures portent sa marque, sans compter l’idée de génie de les transformer en référendum pour ou contre le troisième mandat, en passant par un trafic présumé de passeports diplomatiques, le nom de ce Raspoutine tropical est toujours cité. D’ailleurs, le procès de cette affaire de trafic de documents de voyage diplomatiques impliquant deux gendarmes de la présidence de la République, initialement prévu le 30 septembre dernier, a été reporté jusqu’à fin octobre. Ce en raison de l’apparition de nouveaux éléments impliquant le chef de protocole de la présidence et l’ancien ministre d’Etat, directeur de cabinet du président de la République, Mahmout Saleh décidément dans toutes les sauces ! En meeting à Mbour, le leader du PASTEF, Ousmane Sonko, avait dénoncé également d’autres pratiques peu orthodoxes exercées par Mahmout Saleh. «Ce gars de Mbour, ‘Haman’, est en train de vendre des terrains à Toubab Dialao (150 ha). L’argent, il le verse à Macky Sall… » avait-il accusé.
Poulain de Doudou Sarr
Redoutable politicien, l’ancien poulain du trotskiste Doudou Sarr — lequel fut brièvement ministre dans un des gouvernements du président Abdoulaye Wade —, tel Phénix, ce fabuleux oiseau, renait toujours de ses cendres.
Dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2012, Mahmout Saleh, membre du directoire politique du candidat Macky Sall, était l’homme à abattre dans son propre camp. On se rappelle encore la vive tension qui avait éclaté dans une salle au dernier étage du QG de campagne basé près de la VDN à Dakar entre lui et Abou Abel Thiam alors conseiller en communication du candidat aux couleurs beige et marron. Une humiliation pour l’homme des complots sous le regard impuissant de Macky Sall et qui s’était traduite par l’expulsion de Mahmout Saleh de la salle de réunion. Ce qui n’empêchera pas ce dernier, qui décidément à sept vies comme les chats, en plus de s’être fait beaucoup d’ennemis, de rester dans le cercle restreint du président Macky Sall qui le consulte régulièrement sur des questions stratégiques mais aussi, et surtout, pour du sale boulot à effectuer.
La disgrâce de beaucoup de responsables politiques du camp présidentiel lui est attribuée. De Me Oumar Youm, son camarade de parti dans le département de Mbour, à Aminata Mimi Touré (une autre trotskiste !), en passant par l’ancien Premier ministre, Abdou Mbaye et le premier ministre de l’Economie et des Finances sous l’ère Macky Sall, Amadou Kane, le trotskiste, selon certaines mauvaises langues, était à la baguette pour les pousser vers la sortie. Beaucoup de ténors en disgrâce du camp présidentiel doivent également leur traversée du désert à Mahmout Saleh. Lequel n’a pas son pareil pour organiser des complots.
C’est d’ailleurs l’une des raisons de la contestation au lendemain de sa nomination en 2020 comme directeur de cabinet du président de la République. Ses détracteurs reprochent au chef de l’Etat d’avoir violé les dispositions du décret n°2007-909 du 31 juillet 2007 portant organisation et fonctionnement de la présidence de la République, selon lesquelles le directeur de cabinet du chef de l’Etat doit être de la hiérarchie A. Comme dans biens des cas concernant ses proches, Macky Sall avait fermé les yeux et s’était bouché les oreilles le temps que la clameur s’estompe.
Perte d’influence de l’éminence grise
Sous le poids de l’âge et d’une santé devenue fragile, Mahmout Saleh avait commencé à perdre de son influence auprès du chef de l’Etat depuis les dernières élections locales. Lors de celles-ci, en effet, les investitures avaient été particulièrement contestées au point d’entraîner la constitution de plusieurs listes parallèles souvent fatales à la majorité présidentielle. Des élections, surtout, perçues par l’opinion comme un référendum pour ou contre un troisième mandat du président de la République ainsi que les avait présentées Mahmout Saleh.
Preuve de sa disgrâce, Macky Sall n’aurait pas pris en compte les suggestions de son ancien directeur de cabinet pour la formation du gouvernement du Premier ministre Amadou Ba. Pis, il l’a même limogé du très convoité poste de ministre d’Etat, directeur de cabinet du président de la République au profit de l’ancien argentier de l’Etat, Abdoulaye Daouda Diallo.
En le bombardant Envoyé spécial, un portefeuille vide, le chef de l’Etat, qui a toujours en travers de la gorge sa fumeuse théorie de test ou référendum lors des dernières élections qui ont conduit à une cohabitation à l’Assemblée nationale, coupe les ailes à son mauvais génie Mahmout Saleh, réduit considérablement son influence tout en le gratifiant quand même d’un titre honorifique et de gratifications et rémunérations qui lui permettront de vivre à l’aise et de se soigner aux frais de la République !