Un jour de 2009, alors que je vous interviewais pour le compte de Jeune Afrique, sous les ors, lambris et dorures de votre palais, à Ndjamena, vous m’avez dit, en réponse à ma dernière question: « Je ne connais pas la peur, protéger mon pays m’apporte sérénité et calme aux moments les plus critiques. Et puis, je ne suis pas quelqu’un qu’on attrape. Je ne suis pas fait pour cela. On dira peut-être un jour qu’Idriss est mort sur le champ de bataille. Mais on ne dira jamais qu’il a été capturé ou qu’il a été fait prisonnier. Mon honneur de général de l’armée du Tchad me l’interdit. »
Votre mort au combat, suite à des blessures subies au front face aux combattants du Fact, honore votre parole.
Je n’en saisis que davantage ce que vous m’avez dit off the record, suite à l’interview, dans l’intimité de l’énorme salon du rez-de-chaussée de votre palais: « Le Tchad est une terre de guerriers. Il y a ici des règles non écrites qui imposent à chaque homme, lorsqu’il est défié, de tuer son adversaire ou de mourir. Dans ce pays, le sens de l’honneur veut que seules les femmes restent à la maison lorsqu’arrive le temps de combattre. Voilà pourquoi je suis à la tête de mes troupes chaque fois que je suis attaqué. C’est cela notre philosophie de la guerre qui échappe à ceux qui ne comprennent pas qu’un chef d’Etat dirige en personne les troupes sur le champ de bataille. »
Grand-frère, sans jamais vous l’avoir dit pour ne pas paraître flagorneur, j’ai toujours admiré votre courage physique et votre franc-parler. La position publique que vous avez prise contre l’escroquerie économique du franc cfa m’a empli de fierté.
Mais je ne suis pas d’accord avec vous sur tout. Je vous ai écrit, après votre auto-élévation à la dignité de maréchal, en août 2020, ce que j’en pensais de mal.
Et je dois reconnaître que Bechir Ben Yahmed a eu raison sur vous.
Un jour de 2010, alors que vous êtes venu visiter le siège de Jeune Afrique, sur mon invitation, le fondateur dudit journal vous a conseillé de quitter le pouvoir, vous invitant frontalement à cesser de vous croire indispensable à la vie du Tchad. Vous lui avez servi une réponse irritée.
La tragédie qui clôt aujourd’hui votre long règne donne toutefois une force imparable au propos de ce patriarche dont l’expérience sur le pouvoir, sur la vanité du pouvoir, doit être unique en Afrique.
Grand-frère, vous allez dormir pour l’éternité en terre du Tchad sur laquelle vous avez passé toute votre vie d’homme à faire le coup de feu. Pour de bonnes raisons, mais également quelques fois pour de mauvaises raisons.
Soldat par toutes vos fibres, vous êtes mort par les armes, honorant par le sang votre serment de maréchal de l’armée du Tchad.
Homme politique controversé, il appartiendra à la postérité de vous donner une place du bon ou du mauvais côté de l’Histoire.
En tout état de cause, votre petit-frère que je fus sous les feux de la gloire prie en ce mois béni pour que la terre du lac Tchad et du Tibesti vous soit légère.
Cheikh Yerim Seck