ce jour, nul ne sait donc si le plan pourra réellement être appliqué.

1Que prévoit ce plan d’annexion ?

Selon le plan (en anglais) présenté par l’administration américaine, Israël pourrait annexer plusieurs pans de la Cisjordanie : la vallée du Jourdain (30% de la Cisjordanie), sous contrôle militaire israélien, et une centaine de colonies israéliennes situées en territoire palestinien. Il envisage la création d’un Etat palestinien démilitarisé sur un territoire réduit, sans Jérusalem-Est pour capitale, et sous certaines conditions. Plus de 2,8 millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie, ainsi que 450 000 Israéliens dans des colonies, illégales selon le droit international.

A ce jour, rien ne permet toutefois de savoir si le gouvernement israélien appliquera ce plan à la lettre. « On sait vraiment peu de choses. Un comité de cartographie a été mis en place pour dessiner cette annexion, mais pour l’instant on ne connaît rien de leurs travaux », explique Stéphanie Latte-Abdallah, chargée de recherche au CNRS. Depuis les élections législatives de mars et le gouvernement d’union formé par Benyamin Nétanyahou et Benny Gantz, différents scénarios ont été évoqués.

Une hypothèse maximaliste envisage l’annexion à la fois des colonies et de la vallée du Jourdain. Une option plus minimaliste évoque, pour commencer, l’annexion de colonies ou de blocs de colonies comme Maalé Adoumim, Goush Etzion et Ariel.

2Quel est le rôle des Etats-Unis dans ce projet ?
Les Etats-Unis se sont toujours présentés comme « médiateur impartial » (« honest broker ») dans le conflit israélo-palestinien, même si Washington est un allié d’Israël depuis des années, souligne Le Monde. Depuis les accords d’Oslo de 1993, les Américains ont joué le rôle d’intermédiaires entre les deux parties, sauf cette fois-ci, où Washington a négocié seul avec Tel-Aviv. « Le plan a été présenté uniquement par les Israéliens et les Américains, sans les Palestiniens ou pays arabes », rappelle Stéphanie Latte-Abdallah.

Ce revirement s’inscrit dans une série de positions inédites prises par l’administration de Donald Trump, en rupture avec la diplomatie établie par ses prédécesseurs. En 2017, Donald Trump reconnaît ainsi Jérusalem comme la capitale d’Israël et ordonne de transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv vers la ville sainte. Cette décision unilatérale engendre la colère des Palestiniens – qui revendiquent la partie orientale de la ville pour y installer la capitale d’un Etat palestinien – et une vague de réprobations dans le monde entier. Donald Trump est aussi le premier à dissocier l’objectif de paix de la solution à deux Etats, pourtant soutenue par la communauté internationale.

Pourquoi de tels engagements ? Selon Stéphanie Latte-Abdallah, Donald Trump et Benyamin Nétanyahou y voient des intérêts communs, notamment vis-à-vis de leurs enjeux intérieurs respectifs.

Une partie de l’électorat de Donald Trump est chrétienne, évangélique très messianique, très favorable à une idée du grand Israël qui inclut toute la Cisjordanie. Son entourage, notamment son gendre, est très pro-colons, de même que l’ambassadeur américain en Israël David Friedman.

De son côté, « Nétanyahou voit en Trump l’occasion de faire avancer le processus colonial comme jamais, car aucune autre administration américaine n’aurait accepté ce plan. Le Premier ministre israélien est aussi poursuivi pour corruption. C’est une manière pour lui de se maintenir au pouvoir » et de faire glisser le débat public sur un autre sujet. Le temps presse également : en novembre, une éventuelle élection de Joe Biden, le candidat démocrate à la présidentielle américaine, pourrait mettre fin au soutien américain. Selon un de ses conseillers, ce dernier s’oppose à une annexion unilatérale, rapporte le Times of Israël (article en anglais).

3Ce plan est-il légal en droit international ?
Plus de cinquante experts et rapporteurs spéciaux de l’ONU ont rappelé que ce plan violerait un principe fondamental du droit international selon lequel « l’acquisition de territoire par la guerre ou la force est inadmissible ». En cas d’application, « ce qui resterait de la Cisjordanie serait un bantoustan [du nom des régions créées pour y reléguer les Noirs durant la période d’apartheid en Afrique du Sud] palestinien, des îles de terre déconnectées, complètement entourées par Israël et sans lien territorial avec le monde extérieur », dénoncent-ils.

Ils rappellent que l’occupation israélienne est déjà la source, depuis plus d’un demi-siècle, de « profondes violations des droits de l’homme », comme « la confiscation de terres, la confiscation de ressources naturelles, la démolition de maisons, le transfert forcé de population, les expulsions et déplacements forcés, les détentions arbitraires, mais aussi l’insécurité alimentaire ».

L’annexion serait la cristallisation d’une réalité déjà injuste : deux peuples vivant dans le même espace, dirigés par le même État, mais avec des droits profondément inégaux. C’est la vision d’un apartheid du XXIe siècle.
Des experts et rapporteurs spéciaux de l’ONU
dans un communiqué

Des interrogations demeurent également autour du statut qui serait attribué aux Palestiniens vivant en zones annexées, notamment si le gouvernement israélien leur refuse la citoyenneté. « Des gens qui vivent sur le même territoire n’auront pas les mêmes droits. Il s’agira d’une situation d’apartheid, claire, franche, visible, avec des poursuites internationales possibles, renchérit Stéphanie Latte-Abdallah, rappelant que ce crime est défini depuis 1973 par l’ONU. Si la communauté internationale n’est pas capable de se mobiliser pour le contrer, ce plan ne sera appliqué que par la force et le pouvoir d’Israël. »

4Comment réagissent les Palestiniens ?
Le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, a averti début juin que tout transfert de territoires devrait se faire d' »égal à égal » en termes « de « taille et de valeur ». L’Autorité palestinienne rejette le projet et a mis un terme à la coopération sécuritaire avec Israël.

Dans un texte remis au Quartette (Union européenne, ONU, Russie et Etats-Unis) le 29 juin, l’Autorité palestinienne se dit toutefois prête à relancer des négociations directes. « Nous sommes prêts à avoir notre Etat avec un nombre d’armes limité et une force de police puissante pour faire respecter la loi et l’ordre ». Elle propose également des « modifications mineures des frontières qui auront fait l’objet d’un accord mutuel », sur la base des frontières d’avant 1967, et maintient sa volonté de faire de la partie orientale de Jérusalem la capitale de l’Etat palestinien auquel elle aspire.

Concernant la société civile, plusieurs mobilisations ont déjà eu lieu. Mais ces réactions restent modérées. Pour le politicien palestinien Ghassan Khatib, cette faible mobilisation est révélatrice du « fossé » qui s’est installé entre les Palestiniens et leurs dirigeants, accusés de corruption, rappelle le Times of Israel. « Certains considèrent finalement l’annexion comme une mesure de plus d’Israël pour consolider son occupation en Cisjordanie, comme il le fait déjà chaque semaine et chaque mois en étendant ses colonies », analyse-t-il auprès de l’Agence France Presse.

5Une nouvelle intifada est-elle possible ?
Difficile de savoir si la situation va mener à une nouvelle révolte des Palestiniens, car les réactions varieront certainement en fonction des entités politiques. Par exemple, pour faire valoir ses revendications, « l’Autorité palestinienne préfère la voie du droit international, de la résistance populaire comme le boycott des produits israéliens et de la mobilisation à l’international », illustre Stéphanie Latte-Abdallah. « Jusqu’ici, poursuit-elle, quand il y avait des incidents ou l’implication de groupes armés liés au jihad islamique, au Hamas ou à d’autres groupuscules, elle s’est interposée entre les Palestiniens et les Israéliens mais là, cela risque d’être moins le cas. » La chercheuse estime qu’il pourrait y avoir une « recrudescence des attaques de certains colons extrémistes » et une « multiplication des points de friction ».

De nombreux Israéliens s’inquiètent d’ailleurs d’une troisième intifada (« soulèvement » en arabe, utilisé en référence aux révoltes palestiniennes) Selon un sondage (en anglais) réalisé début juin par l’Institut démocratique d’Israël (un centre de recherche basé à Jérusalem), 58% des Israéliens sondés « pensent que les Palestiniens vont lancer une intifada » en cas d’annexion. Ami Ayalon, ancien directeur de la Sécurité intérieure israélienne (le Shabak), partage également ce point de vue : « L’épidémie de coronavirus a mis à terre l’économie palestinienne. Ces gens étaient déjà humiliés, encerclés, que leur reste-t-il si on les dépossède en plus de leurs terres unilatéralement ? » interroge-t-il dans Le Journal du dimanche (article payant).

Ils ont beaucoup d’armes. On risque d’assister à une nouvelle compétition entre le Fatah et le Hamas pour récupérer de la légitimité à travers la lutte. Israël sera bien obligé de riposter.
Ami Ayalon, ancien directeur du Shabak
au « Journal du dimanche »

« La situation va devenir très dangereuse, anticipe Ami Ayalon. Ahmed Jibril, l’une des voix de la résistance palestinienne, annonce que son peuple ne hissera pas le drapeau blanc, qu’il ne sera pas le seul à souffrir des conséquences de cette décision. »

6Quelle est la position de la communauté internationale ?
Les chefs des Nations unies ont demandé à l’unisson à Israël « d’abandonner ses plans ». La Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a dénoncé l’illégalité du projet, avertissant que ses « ondes de choc dureront des décennies ». De leurs côtés, les pays arabes ont averti qu’une annexion menacerait la région d’un « conflit majeur » et mettrait fin aux ambitions israéliennes d’une « normalisation » des relations avec les Etats arabes du Golfe.

L’annexion est illégale. Point final. Toute annexion. Qu’il s’agisse de 30% de la Cisjordanie ou de 5%.
Michelle Bachelet, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme
dans une déclaration écrite

En revanche, au sein de l’Union européenne, les pays sont divisés. Le Luxembourg, la Belgique, l’Irlande, le Portugal, la Slovénie, la Suède, Malte et la Finlande appellent à une « réponse musclée » face aux velléités israéliennes. Face à eux, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, l’Autriche, la Grèce, la Lettonie, Chypre et la Pologne se disent prêts au contraire à défendre les intérêts d’Israël.

Une poignée de pays comme la France, l’Espagne ou l’Allemagne font profil bas. Ils condamnent le plan sans donner de précision sur la réponse à apporter. Pour Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Open University d’Israël, cette prudence s’explique par le flou autour des décisions à venir. « L’Union européenne dit, en substance, que sa réaction dépendra de la profondeur de l’annexion », analyse-t-il dans La Croix.

7J’ai eu la flemme de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?
Les Etats-Unis et Israël ont présenté fin janvier un plan pour le Proche-Orient prévoyant une annexion de parties de la Cisjordanie – territoire palestinien occupé par l’Etat hébreu depuis 1967– par Israël. Officiellement, il s’agirait de la vallée du Jourdain et d’une centaine de colonies israéliennes. Toutefois, ce projet d’annexion provoque de nombreuses oppositions au sein de la communauté internationale, de l’administration américaine et israélienne, laissant penser que Benyamin Nétanyahou pourrait choisir d’en modifier les contours.

Selon un sondage publié début juin, une majorité d’Israéliens craignent une troisième intifada en cas d’annexion. Le Premier ministre palestinien, Mohammed Shtayyeh, a lui prévenu d’un « été chaud » si l’Etat hébreu allait de l’avant avec son projet. L’Autorité palestinienne a toutefois affirmé qu’elle était prête à entamer de nouvelles négociations. Une annexion aurait des conséquences dans toute la région : les pays arabes ont assuré qu’une telle décision menacerait la région d’un « conflit majeur » et stopperait une normalisation des relations entre les pays arabes du Golfe et Israël.

Francetvinfo