Né en 1926 à Saint-Louis, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Makhtoum est l’illustre descendant d’El-Hadji Malick Sy et le fils de Serigne Babacar Sy, premier Khalife de la Tijaniyya au Sénégal. Héritier d’une lignée prestigieuse, il ne s’est pourtant jamais contenté de son ascendance pour asseoir son influence.
Son charisme, son intelligence hors norme et son engagement indéfectible pour l’élévation spirituelle et intellectuelle du peuple sénégalais en ont fait une figure incontournable de l’islam soufi en Afrique.
Dès son jeune âge, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy s’est illustré par une volonté farouche de réformer son environnement. Il fut l’un des premiers à introduire des outils modernes dans l’entourage familial et religieux, osant des pratiques qui rompaient avec le conservatisme ambiant. Il prônait un islam ouvert, conciliant spiritualité et progrès, affirmant que la religion ne devait pas être un frein au développement, mais au contraire un moteur de transformation et d’élévation.
Son discours du 26 mai 1950 à Tivaouane restera gravé dans les mémoires : « La religion ne doit pas rendre neutre son sujet aux travaux de réforme mondiale. Apprendre ses devoirs religieux et les mettre en pratique n’exclut nullement les travaux manuels et d’esprit qui conduisent à l’amélioration du sort de l’humanité. » Cette vision novatrice a parfois suscité des controverses, mais elle a fini par imposer son aura de penseur avant-gardiste.
Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Makhtoum était un esprit d’une précocité exceptionnelle. Dès l’adolescence, il maîtrisait parfaitement les sciences islamiques et les humanités. À 14 ans, il boucle prématurément les cycles moyen et supérieur des études islamiques, et à 16 ans, il publie son premier ouvrage Les vices des marabouts, une œuvre qui témoigne de son esprit critique et de son indépendance intellectuelle. Il poursuivra avec L’inconnu de la nation sénégalaise : El-Hadji Malick Sy, mettant en lumière la profondeur de son héritage spirituel.
Sa formation fut marquée par des maîtres éminents, dont Serigne Alioune Guèye, l’imam Moussa Niang et Chaybatou Fall, qui ont façonné son savoir et affiné son éloquence légendaire. Son passage entre les mains de son oncle El-Hadji Abdoul Aziz Sy a renforcé sa maîtrise de l’art oratoire et de la rhétorique islamique.
Cheikh Ahmed Tidiane Sy n’était pas seulement un maître spirituel, mais aussi un intellectuel engagé, un penseur influent et un éducateur de premier plan. Son érudition et son éloquence faisaient de ses interventions des moments attendus et respectés par les intellectuels et les fidèles.
Son engagement pour l’éducation s’est matérialisé à travers la fondation de l’Association éducative islamique en 1955 et la publication du journal L’Islam éternel, destiné à diffuser la pensée islamique et à éveiller les consciences sur les enjeux de la foi et du progrès.
Homme de foi, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy était aussi un acteur politique au parcours marqué par des engagements forts et des prises de position courageuses. Il a cofondé le Parti de la Solidarité Sénégalaise (PSS) aux côtés de figures politiques majeures, défiant le régime de Léopold Sédar Senghor. Son opposition à certaines décisions politiques lui a valu un emprisonnement en 1959, symbole de sa détermination à défendre ses idéaux.
Son engagement lui a également ouvert des portes sur la scène internationale. Il fut nommé ambassadeur du Sénégal au Caire, où il renforça la coopération culturelle et académique entre le Sénégal et le monde arabe, malgré les pressions politiques et diplomatiques qui pesaient sur lui.
Au-delà de son érudition et de son engagement religieux, Cheikh Ahmed Tidiane Sy était un entrepreneur avisé. Il investit dans l’agriculture, l’industrie et la finance, devenant actionnaire majoritaire de la SOCOCIM, la principale cimenterie du Sénégal à l’époque. Son sens des affaires lui permit de bâtir un empire économique au service de la communauté, bien que ses relations avec certains régimes politiques aient parfois compliqué ses ambitions entrepreneuriales.
Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy était aussi un maître de la parole et de la sagesse. Son éloquence était magnifiée par l’usage de la parabole, de l’humour et de la dérision, faisant de lui un communicateur hors pair. Son style littéraire et poétique émerveillait ses contemporains, alliant finesse, intelligence et profondeur spirituelle.
Il plaidait sans relâche pour une réforme des systèmes internationaux, dénonçant les dérives de la mondialisation et la dégradation des valeurs humaines. Son discours au Gamou de 2003 reste mémorable : « Les systèmes financiers, politiques et religieux sont tous mal fichus. On ne peut pas mondialiser la bêtise ! » Il appelait les musulmans à un retour aux sources divines, exhortant chacun à cultiver la justice, la bonté et la paix.
Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Makhtoum s’est éteint le 15 mars 2017, laissant derrière lui un héritage spirituel, intellectuel et social inestimable. Son influence dépasse largement les cercles religieux, touchant les sphères intellectuelles, politiques et économiques du Sénégal et du monde musulman.
À travers son enseignement, ses écrits et ses actes, il demeure un phare pour ceux qui cherchent à allier foi, connaissance et action. Il incarne l’Idéal de l’Homme Parfait tel que décrit dans la tradition islamique, un modèle de vertu et de sagesse pour les générations présentes et futures.
Aujourd’hui encore, son souvenir résonne dans les cœurs et les esprits, guidant les âmes en quête de vérité et de lumière.