Il est des hommes qui, par leur génie et la maitrise de leur art, émergent du lot du commun des mortels. Au Sénégal, on en compte de ces hommes et femmes qui sont entrés dans l’histoire du pays, grâce au service rendu à la société et à la religion. Sayda Mariama Niass fait partie de ces perles rares qui marqueront à jamais les esprits. Une référence dans l’enseignement du Coran au
Née en 1932 à Kossi, un village situé à une dizaine de kilomètres de Kaolack, Sayda Mariama Niass s’est très tôt distinguée par son attachement au Coran, comme le souhaitait son père El Hadj Ibrahima Niass Baye. Ainsi, c’est à l’âge de 5 ans qu’elle a intégré le Daara de Cheikh Muhammad Wuld Rabbani, grand érudit mauritanien qui enseignait le Coran à la plupart des enfants de Baye Niass. Dès ses premiers pas au Daara, Sayda Mariama signe un pacte avec la religion : servir l’islam et le Coran toute sa vie durant. Elle n’a ainsi pas attendu l’âge adulte pour enseigner la parole sainte. Toute petite, elle suppliait son oustaz de lui laisser dispenser le cours à ses camarades. Ayant ainsi très tôt mémorisée le livre saint, elle devient la chouchoute de son père, El Hadj Ibrahima Niass, qui l’honore grandement. Il la couvre de cadeaux et l’invite à l’accompagner dans ses nombreux voyages à l’étranger.
C’est le guide religieux en personne qui lui enseigna l’arabe et les sciences religieuses. Celle qu’on appellera plus tard “Yaye Boye’’ va bénéficier de toutes les attentions de Cheikh Al Islam qu’elle a côtoyé durant 43 ans. “Toutes mes filles ont appris le Coran, mais tu es celle qui est la plus attachée au livre saint. Et c’est pour cela que je te préfère’’, raconte-telle, en évoquant ses relations avec son défunt père. Ainsi, après avoir terminé ses études coraniques et sciences religieuses, Sayda Mariama Niass commença à enseigner le livre saint dans son Daara à Kaolack, alors qu’elle n’avait que 14 ans. Elle rejoint Dakar, en 1952, avec son époux El Hadj Oumar Kane, et continue sa passion d’enseigner. Elle reçoit les enfants de ses coépouses et d’autres du quartier dans sa chambre, à son domicile de l’avenue Malick Sy à cet effet. Le nombre de jeunes qui venaient étudier auprès d’elle ne cessant d’augmenter, elle se voit obliger de déménager son Daara dans la petite mosquée construite par son époux au milieu de la concession familiale, pour accueillir son beau monde. Elle dispensait ses cours pendant les weekends et les grandes vacances, pour permettre aux enfants d’allier enseignement coranique et école française.
Sa rencontre avec Abdou Diouf en 1984
N’ayant pas assez de moyens, à l’époque, pour trouver un espace approprié pour recevoir ses disciples qui devenaient de plus en plus nombreux, Sayda Mariama aménagea la cour de la concession familiale pour exercer son métier. Et à force de persévérer dans sa passion, la chance lui sourit finalement. Ainsi, en 1981, le président Abdou Diouf, Premier ministre jusque-là, remplace à la tête de l’Etat Léopold Sédar Senghor. Le nouveau président fait alors le tour des concessions des chefs religieux du pays pour solliciter des prières. A l’étape de Kaolack, Sayda Mariama, en tant que fille de Baye Niass, est invitée avec son Daara à la cérémonie de réception du nouveau président. Elle effectue le déplacement pour aller assister à la cérémonie à Kaolack. A cette occasion, ses talibés accueillent le successeur de Senghor par des récitals de Coran mélodieux. Emerveillé par la maitrise des mômes du livre saint, le président Diouf demanda à rencontrer l’enseignante de ce fameux Daara venu de Dakar. Et à son retour à la capitale, il reçoit Sayda Mariama qui l’informe qu’elle avait son école dans la cour de sa maison. Le président Abdou Diouf décide alors de lui attribuer un vaste terrain à la Patte d’Oie, en 1984. Cet espace abrite, aujourd’hui, le complexe scolaire El Hadj Ibrahima Niass, premier du genre à Dakar, qui concilie enseignement général et enseignement coranique. “En plus de m’avoir octroyé un terrain, le président Diouf m’avait fait une lettre de recommandation pour que j’aille voir les chefs d’Etat arabes pour chercher des financements pour construire mon école. J’ai ainsi pu bénéficier des largesses de certains rois et émirs pour la construction du complexe sis à la Patte d’Oie et le rachat des locaux de Sacré-Cœur et Mermoz’’, partage-t-elle.
La création de l’institut d’enseignement El Hadj Ibrahima Niass Aidée par d’influents dignitaires arabes, Sayda Mariama Niass entreprend ainsi, en 1984, à l’élargissement de ses Daara pour y intégrer l’enseignement général. Elle crée le complexe Cheikh Al Islam, El Hadj Ibrahima Niass de la Patte d’Oie pour l’enseignement général. “La première parole du Saint Coran nous incite à apprendre et pas seulement le Coran, mais tout. En effet, il nous est recommandé d’apprendre et il n’est pas dit qu’il faut apprendre que le Coran. Cela veut dire que nous devons tout apprendre. C’est pourquoi, dans les instituts, en plus du Coran, on a intégré l’enseignement classique, car c’est aussi utile pour les enfants et pour la société toute entière’’, estime-t-elle. Depuis son érection en institut, le Daara Al Qu’ran Al Karim de Sayda Mariama Niass fonctionne à temps plein, 9 mois sur 12 et reçoit des élèves venus de divers horizons, du cycle primaire au moyen et secondaire. Ayant connu des succès et le nombre d’élèves ne cessant d’augmenter, Sayda Mariama décide d’ouvrir d’autres instituts du genre dans d’autres quartiers de Dakar. Les sections de Mermoz et de Sacré-Cœur sont alors mises en place.
Une mère de famille parfaite
Elle est connue comme une brillante enseignante. Mais Sayda Mariama Niass n’en demeure pas moins une maman présente pour ses enfants. Elle alliait convenablement enseignement et activités ménagères. Ainsi, à l’instar de tous les enfants qu’elle a élevés, elle a inculqué une éducation exemplaire à ses 8 bouts de bois de Dieu. Ses 4 fils et 4 filles ont tous su bien allier enseignement coranique et enseignement général. Certains sont devenus des cadres. C’est le cas de son fils ainé, Cheikh Tidiane Ben Amar Kane, agronome de formation et qui, après avoir assuré plusieurs fonctions à la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’agriculture), est revenu auprès d’elle à Dakar pour prendre le relais. Il gère actuellement les instituts d’enseignement. Sa petite sœur Aïssatou Kane est un haut fonctionnaire à la BCEAO de Dakar. Quant au benjamin Ousmane Kane, après la maitrise du Coran auprès de sa mère, à l’instar de ses autres frères et sœurs, il a continué ses études classiques aux USA où il a obtenu son doctorat. Il exerce actuellement en tant qu’enseignant chercheur à l’université d’Harvard aux Etats-Unis. Ces parcours sans faute de ces enfants s’expliquent par le fait que Sayda Mariama, en plus d’être attachée à l’enseignement du Saint Coran, accorde une attention particulière à l’enseignement classique.
Décoration à l’Ordre national du Lion Son parcours de travailleuse et de fervente éducatrice a valu à Sayda Mariama Niass des hommages de reconnaissance à travers le monde et dans son propre pays. Pour avoir donné à l’enseignement du Coran ses lettres de noblesse, pour avoir représenté le Sénégal partout, la République lui a rendu un hommage bien mérité. Et cela continue. Si les présidents Wade et Diouf l’ont soutenue en de multiples occasions, le président Macky Sall est allé plus loin. En 2016, il l’a décorée de la médaille de l’Ordre national du Lion pour services rendus à la nation. En plus des autorités étatiques, les chercheurs et universitaires du pays ont décidé de lui rendre hommage, de son vivant. C’est dans ce sens que le directeur de l’Institut islamique de la grande mosquée de Dakar lui a consacré un ouvrage entier. En effet, Oustaz Thierno Ka, en collaboration avec l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, à travers son Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) dans ses rubriques d’hommages aux grandes figures islamiques du Sénégal, lui a consacré un ouvrage d’une cinquantaine de pages. Et travers ce dernier publié en 2013, l’islamologue Thierno Kâ retrace le riche parcours de cette dame au teint clair, de petite taille, mais grande par l’esprit. Le monde du cinéma s’est aussi associé à ces hommages à Sayda Mariama Niass. A cet effet, le journaliste et réalisateur Cheikh Adramé Diop lui a consacré un documentaire de 58 minutes qui revient sur son parcours atypique. Deux ans de tournage, plusieurs pays visités, de longs séjours à Kaolack et au village de Kossi ont permis au journaliste de produire un film de haute facture sur la dame. Ses enfants, ses frères, sa famille proche et des oustaz tels qu’Aliou Sall, feu Barhama Diop et de nombreuses personnalités qui sont passées par son Daara y font des témoignages touchants. Sans compter les habitants de Kossi, ces vieux qui ont vécu, à l’époque de Cheikh Ibrahima Niass, y racontent l’enfance de Ya Sayda. Adramé Diop est tout simplement parti à la source pour ressortir la vie de cette dame devenue une icône de l’enseignement coranique et surtout de la modernisation des Daara au Sénégal. Et ce, depuis longtemps. Chez Sayda Mariama, il n’a jamais été question de talibés qui mendient dans la rue. Au Daara Qu’ran Al Karim, on s’habille comme à l’école moderne. “Le Coran est saint, on doit l’apprendre avec un corps propre et surtout dans un esprit tranquille’’, estime l’éducatrice. Agée aujourd’hui de 88 ans, Sayda Mariama refuse de prendre sa retraite. Elle continue d’enseigner à ses petits-enfants et certains mômes qui fréquentent le Daara de Mermoz où elle vit actuellement.
Avec EnQuête