Porté au sommet de l’État en mars 2024, le projet moral de Pastef, résumé par le triptyque “Jub, Jubal, Jubanti”, semble aujourd’hui vaciller sous le poids des réalités du pouvoir. Ce qui s’annonçait comme une révolution éthique commence à montrer ses premières fissures. Et elles viennent de l’intérieur.
En l’espace de 24 heures, deux figures majeures du régime ont lancé des alertes publiques. Ousmane Sonko, Premier ministre et figure centrale du Pastef, a haussé le ton en Conseil des ministres. Il dénonce des dérives inquiétantes dans le secteur parapublic : sessions expéditives, nominations par affinité, mandats irréguliers, et une gestion générale en roue libre. Cette mise en garde n’est pas une posture médiatique : c’est un signal fort.
À l’Assemblée nationale, Guy Marius Sagna, compagnon de lutte de Sonko, n’a pas mâché ses mots. Dans l’hémicycle, il fustige des dépenses jugées irresponsables : cadeaux aux députés pour la Korité, billets de pèlerinage offerts, achats opaques de véhicules, lenteurs coupables dans les audits financiers. Pour appuyer son propos, il invoque des icônes comme Mamadou Dia, Thomas Sankara et Amílcar Cabral, histoire de rappeler la vocation révolutionnaire du Pastef.
Mais ces critiques publiques dessinent une scène troublante : celle d’un pouvoir qui commence à s’autodévorer. Quand ceux censés incarner la ligne de rupture dénoncent eux-mêmes des dérives internes, ce n’est plus un simple débat démocratique — c’est une alerte rouge.
Les contre-attaques n’ont pas tardé. Ismaila Diallo, vice-président de l’Assemblée, a sèchement répliqué à Guy Marius Sagna, insinuant des ambitions personnelles derrière ses attaques. “Demain fera jour”, a-t-il ajouté, une phrase sibylline qui en dit long sur le malaise ambiant.
Le rêve porté par Pastef — celui d’une gouvernance éthique, transparente et juste — est désormais à l’épreuve de la pratique. Le choc est rude. La rupture promise est-elle déjà en train de se diluer dans les travers habituels du pouvoir ? Les premiers signes ne sont pas encourageants.
Car l’histoire politique, au Sénégal comme ailleurs, le prouve : ce ne sont pas les ennemis extérieurs qui font chuter les révolutions, ce sont toujours les fractures internes.
La vraie menace pour le projet Pastef ne viendra peut-être pas de l’opposition. Elle viendra de ses propres contradictions.