Il ne fait aucun doute que la relation entre la presse et le Premier ministre Ousmane Sonko est complexe et tumultueuse. La controverse sur la dette fiscale de certains groupes de presse, malgré la promesse de l’ancien président Macky Sall de l’effacer, et la convocation de deux journalistes pour des informations concernant l’affectation du Général Souleymane Kandé à New Delhi, ont exacerbé les tensions. Ousmane Sonko, dans une déclaration en vue de la journée de nettoyage du 1er juin, a lancé de nouvelles piques envers les professionnels des médias, affirmant qu’il n’a « pas à rendre compte ni aux journalistes, ni aux politiques », mais uniquement au peuple, oubliant que la presse et les politiques font partie intégrante de ce même peuple.
Cette nouvelle attaque est perçue par de nombreux journalistes comme une reprise des hostilités entre le leader de Pastef et la presse nationale. Paradoxe : dès le début de sa carrière politique, Ousmane Sonko, comme beaucoup d’hommes politiques sénégalais, s’est entouré de journalistes pour gérer sa communication. Les récentes nominations le confirment : il a compris que la presse est un levier essentiel pour réussir en politique. Nombreux sont ceux qui disent que la presse a créé de toute pièce le leader de Pastef ou qu’il est le « chouchou » des journalistes, parfois qualifiés de « disciples » de Sonko.
Il n’est pas surprenant qu’Ousmane Sonko soit devenu le politicien sénégalais le plus médiatisé. Cette proximité avec lui a conduit certains responsables du régime précédent à accuser la presse, à tort ou à raison, de « rouler » pour l’ancien inspecteur des impôts et domaines. Allergique aux critiques, Sonko n’a jamais hésité à fustiger « une certaine presse » qu’il qualifie de « corrompue ».
De plus, dans ses nombreuses interventions, l’opposant d’alors ignorait souvent les journalistes présents, préférant s’adresser directement au public via les réseaux sociaux, laissant croire à ses sympathisants qu’ils pouvaient se passer des médias traditionnels.
Au-delà des paroles, les actions d’Ousmane Sonko ont souvent renforcé cette relation d’amour-haine avec les médias sénégalais. En juin 2022, il a critiqué le traitement médiatique de certains dossiers par la presse nationale via une série de tweets, reprochant aux journalistes de ne pas s’intéresser assez aux sujets d’intérêt public et de diffuser haine et attaques contre la vie privée.
Cette critique n’a pas laissé indifférent Mamoudou Ibra Kane, directeur général du groupe Emedia Invest, qui a invité Sonko à débattre lors de son émission dominicale. Invitation restée sans réponse.
En juin 2018, il avait déjà vivement critiqué la presse pour son traitement « minimal, sinon nul » de l’accord gazier entre le Sénégal et la Mauritanie, qu’il considérait crucial pour les intérêts stratégiques du pays.
Pour beaucoup de ses partisans, l’aura politique d’Ousmane Sonko est due aux réseaux sociaux. En revanche, de nombreux journalistes regrettent que, malgré les critiques, ce sont eux qui diffusent ses interventions. Même si Sonko affirme n’avoir « aucun problème avec la presse ».
Les relations entre la presse et le gouvernement de Sonko semblent s’annoncer tendues. Bien que le chef de l’État Bassirou Diomaye Faye ait rendu hommage aux professionnels des médias le 3 mai dernier, les propos menaçants de Dame Mbodj, proche de Sonko, laissent présager des tensions à venir. Mbodj a menacé de fermer les groupes de presse diffusant des informations qu’ils ne devraient pas, un discours qui pourrait aggraver les relations entre l’Exécutif et la presse.
Le Cardinal Hyacinthe Thiandoum disait : « la liberté d’informer juste et vrai, accordée au journaliste, constitue le rempart ultime de la citadelle de toutes les libertés ». Si cette liberté est compromise, c’est la voie vers la dictature et le terrorisme.
Les médias, dont le rôle est d’éduquer et d’informer, sont essentiels à la démocratie. Ils forment des opinions, forgent des centres d’intérêt communs, et construisent des sentiments de solidarité. La presse est indispensable dans une démocratie comme la nôtre.
Les régimes passent, mais la relation compliquée avec la presse persiste. En l’absence d’un cadre juridique solide pour protéger les journalistes, ceux-ci restent des cibles faciles pour ceux qui devraient les défendre. Au Sénégal, la presse est souvent malmenée lors des manifestations, bien qu’elle soit la voix des sans voix, sollicitée à toute heure. Elle peut « fabriquer » des présidents ou les « détruire », selon le contexte politique.
Chez nous, cette même presse est critiquée, vilipendée, traquée, et souvent injustement accusée. Elle est un bouc émissaire facile.