Faisant suite à la visite de Gérald Darmanin à Dakar fin décembre 2022, la France et le Sénégal s’apprêtent à signer un accord-cadre dans les domaines de la gestion de la sécurité et des grands évènements sportifs. A ma connaissance (sous réserve), ces accords n’ont pas encore fait l’objet d’une signature.
Dans ce nouveau partenariat, la France vendra au Sénégal son expertise en matière de sécurité. Après tout, la sécurité est un marché comme un autre. Pour la coupe du monde 2022 à Doha, la France a envoyé 21 opérateurs spécialisés du GIGN, 170 opérateurs en matière de lutte anti-drones, 10 opérateurs en matière de déminage, 10 équipes cynophiles de recherche d’explosifs et 5 à 8 experts fournis par la division nationale de lutte contre l’hooliganisme pour un total d’environ 220 experts français.
Lors de son déplacement à Dakar, le ministre de l’Intérieur français a rappelé que la France contribuera à la sécurisation des Jeux Olympiques de la Jeunesse de 2026.
La France serait-elle prête à reconsidérer sa présence en Afrique ? Cette semaine, Sébastien Lecornu, le ministre français des Armées, a promis de réduire les effectifs des forces françaises en Côte d’Ivoire. La France est en train de changer sa stratégie après le départ forcé de ses troupes du Mali et du Burkina Faso. Elle mise dorénavant davantage sur une coopération sécuritaire plus discrète, à travers la formation en cyber, en maintien de l’ordre, etc. Sans oublier la vente d’armes ! La sécurité est devenue un business politique dont Darmanin et Lecornu sont les meilleurs VRP de la France en Afrique.
L’accord-cadre de Paris avec le Sénégal en sera une illustration parfaite. Le Sénégal profitera d’une formation accélérée en vue de l’élection présidentielle de 2024. On est en droit de se demander si cette formation n’a pas déjà débuté au vu de certaines images lors de la « tentative » d’arrestation d’Ousmane Sonko, la semaine dernière. Cet accord serait en quelque sorte déjà opérationnel, de façon illégale. La réponse d’un ancien commissaire de police sénégalais semble sur ce sujet très curieuse.
Si certains députés français se sont opposés au vote du nouvel accord d’entraide judiciaires et d’extradition, ils devraient dès maintenant se pencher sur ce futur accord-cadre entre le Sénégal et la France. Celui-ci vise à garantir la stabilité du Sénégal et à lutter contre le terrorisme. Ces mots devraient nous interpeller puisque Macky Sall les utilise contre ses opposants. Le président sénégalais vient de franchir une étape supplémentaire avec son nouveau concept de terrorisme intérieur. Il y a donc un danger de corrélation entre les cibles politiques de Macky Sall et ce nouvel accord-cadre.
En effet, Macky Sall a déjà assimilé le Pastef à un parti djihadiste terroriste en réponse à la manifestation à Mbacké (voir les sorties de ses ministres sur la défense des valeurs de la société sénégalaise), c’est la prochaine étape de sa stratégie pour arrêter l’ascension d’Ousmane Sonko. Il lui suffira de mettre en œuvre ce nouvel accord pour réprimer tous azimuts.
D’ailleurs, je l’ai affirmé lors de ma dernière interview : Macky Sall exerce un chantage sur la France. Il a tourné à son avantage les émeutes de 2021 pour démontrer à la France que, sans lui, il n’y aura pas de stabilité et en conséquence de protection des intérêts français. C’est évidemment un jeu dangereux pour la France dont le ministre Darmanin semble agir avec beaucoup de légèreté et de naïveté ou alors dans une autre version avec beaucoup de cynisme. Toujours dans cette interview, la France, très pragmatique, semble se diriger vers la jurisprudence Ouattara sur laquelle je reviendrai bientôt.
Pour finir avec cette question sécuritaire, je m’étonne de l’accord du Sénégal pour l’assistance sécuritaire de la France lors des JOJ de 2026. Ce mois-ci, un rapport indépendant a épinglé la police française, et donc le ministre de l’Intérieur français pour mensonge d’Etat et pour incompétence dans la sécurité de la finale de la Champions League 2022. Je cite un article français : Le document, que Le Monde qualifie d’ »implacable réquisitoire contre l’incurie des pouvoirs publics en matière de sécurité », fustige aussi la mauvaise réaction de la police française, faisant valoir par ailleurs que l’usage de gaz lacrymogènes et de sprays au poivre n’avait « pas sa place dans une fête du football ».
Comment le gouvernement sénégalais peut-il donc laisser la sécurité à la France des JOJ de 2026 après ce rapport accablant contre notre savoir-faire en sécurité d’évènements sportifs ? Quelles sont les compensations obtenues du côté de la partie sénégalaise pour fermer les yeux sur le fiasco français ?
Il y a de nombreuses investigations à conduire sur ces sujets de coopération sécuritaire qui sont devenus le nouveau fer de la lance de la présence française, voire de la renaissance française en Afrique voulue par Emmanuel Macron.
Plus on avance vers 2024, plus le jeu de Macky Sall et de ses partenaires se découvrent. La stabilité (la hantise de la France) et la sécurité joueront assurément un rôle important.