C’est à cœur ouvert que le ministre de la Santé et de l’action sociale s’est livré à «L’Obs». Abdoulaye Diouf Sarr aborde, entre autres surjets, les stratégies de «guerre» contre le Covid-19 développées par l’Etat, l’argent injecté pour la prise en charge des cas testés positifs, le comportement des Sénégalais face au Coronavirus, les critiques de la communication du Gouvernement sur la maladie, la nébuleuse autour de l’achat de médicaments et d’équipements à hauteur de 2 milliards de FCfa par la Pharmacie nationale d’approvisionnement… Abdoulaye Diouf Sarr dit tout, sans réserve.
Votre ministère (Santé et action sociale) vient de faire, le 2 mai, le deuxième bilan mensuel sur le Covid-19 depuis son entrée au Sénégal le 2 mars 2020. Qu’est-ce qui peut expliquer aujourd’hui la forte percée de la maladie, surtout des cas communautaires ?
C’est à cœur ouvert que le ministre de la Santé et de l’action sociale s’est livré à «L’Obs». Abdoulaye Diouf Sarr aborde, entre autres surjets, les stratégies de «guerre» contre le Covid-19 développées par l’Etat, l’argent injecté pour la prise en charge des cas testés positifs, le comportement des Sénégalais face au Coronavirus, les critiques de la communication du Gouvernement sur la maladie, la nébuleuse autour de l’achat de médicaments et d’équipements à hauteur de 2 milliards de FCfa par la Pharmacie nationale d’approvisionnement… Abdoulaye Diouf Sarr dit tout, sans réserve.
Votre ministère (Santé et action sociale) vient de faire, le 2 mai, le deuxième bilan mensuel sur le Covid-19 depuis son entrée au Sénégal le 2 mars 2020. Qu’est-ce qui peut expliquer aujourd’hui la forte percée de la maladie, surtout des cas communautaires ?
Le Sénégal est entré dans la pandémie depuis le 2 mars 2020. Mais un peu avant, notre pays avait déjà validé son plan de préparation et de riposte. Le 2 mars, nous avons eu notre premier cas testé positif au Coronavirus. Au bout d’un mois, nous avions eu une progression relativement correcte, en nous stabilisant à moins de 200 cas. Mais, le dernier mois (Avril) a connu une progression exponentielle qui nous a fait franchir le cap de 1 000 cas. Ce qui veut dire que la maladie a beaucoup progressé au Sénégal. Même si nous savons que nous gardons toujours la sérénité et le contrôle des événements en termes de guérison, de capacité de «guerre» et surtout de coordination, de surveillance, de détection et de prise en charge. L’augmentation des cas est tout à fait normale. Nous n’avons pas encore atteint le pic pour engager une décroissance de la maladie. Aujourd’hui, le défi est celui du contrôle, de la prévention et de la prise en charge. Nous sommes en train de nous battre pour cela. Je suis persuadé que si nous gardons la même cohésion globale, la même sérénité, le même engagement et la même détermination, mais surtout s’il y a une participation citoyenne à tous les niveaux, la «guerre» contre le Covid-19 sera remportée.
L’Etat n’envisage-t-il pas de corser les mesures face au non-respect par certains Sénégalais des gestes barrières ?
Le Sénégal est un Etat organisé. Il fonctionne sur la base d’une stratégie, d’instrument de prise en charge de la «guerre». C’est pourquoi le Comité national de gestion des épidémies (Cnge) est l’instance stratégique de proposition des décisions que le Gouvernement apprécie et que le chef de l’Etat entérine en termes de décisions. Nous faisons confiance à ce comité. C’est pourquoi à ce niveau, nous ne pouvons pas parler de corser les mesures qui sont toujours adaptées aux circonstances. Aujourd’hui, dans ses réunions d’évaluations, si le comité estime qu’il faut aller à un autre palier de mesures, nous le ferons avec responsabilité, parce que tout s’inscrit dans une stratégie bien maîtrisée et tout est adapté à la circonstance.
Donc pour le moment, on ne peut pas imaginer un confinement total ou partiel des zones les plus touchées par le Coronavirus ?
Pour l’instant, ce n’est pas l’option qui a été prise dans le cadre de la réflexion stratégique du Comité national de gestion des épidémies. Beaucoup de pays qui avaient opté pour un confinement général ont du mal aujourd’hui à s’en sortir. Nous faisons confiance à nos experts qui sont dans une posture très responsable. A chaque fois que de besoin, ils nous recommanderons une stratégie à retenir.
Depuis son apparition au Sénégal le 2 mars 2020, combien la maladie à Coronavirus a coûté à l’Etat du Sénégal en termes de prise en charge des cas testés positifs ?
A ce sujet, il faut avoir trois niveaux d’analyse du budget de la lutte contre le Covid-19. Le premier niveau d’analyse, c’est le Plan de préparation et de riposte qui a été validé pour 1,4 milliard de FCfa. Avant qu’on entre dans l’épidémie, la préparation était calibrée sur ce montant. Mais dès qu’on est entrée dans la phase épidémique, avec l’ensemble des cas que nous devons gérer, nous avons validé un autre plan qu’on appelle un Plan de contingence évalué à 64 milliards de FCfa. Mais, il faut noter que ces 64 milliards de FCfa ne sont pas destinés uniquement à la santé. Ils sont destinés à la multi-sectorialité pour la lutte contre le Covid-19. A cela, il faut ajouter l’enveloppe de 1 000 milliards de FCfa destinée à appuyer l’ensemble des secteurs impactés par le Coronavirus dans le cadre de ce qu’on appelle le Force Covid-19. Voilà les trois guichets budgétaires que nous pouvons distinguer. Maintenant, c’est au fur et à mesure qu’on avance dans la lutte que des besoins sont exprimés et qu’on les prend en charge. Le Comité de suivi de la mise en œuvre du Force Covid-19 va travailler avec l’ensemble des acteurs pour faire le point financier.
Mais combien coûte exactement à l’Etat le test positif au Covid-19 ?
On dit beaucoup de choses à ce niveau là. Le Sénégal est membre de l’Institut Pasteur de Dakar. L’Iressef (Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique et de formation) est aussi une structure privée qui est dans la recherche. L’Etat leur donne (aux deux labos), dans le cadre du budget de la riposte, une subvention pour participer à la détection des cas, notamment au travail de laboratoire. Nous n’avons pas un coût par test. L’Institut Pasteur a son budget de fonctionnement. Il travaille avec l’Etat dans le cadre de la détection et avec ses partenaires financiers, ses bailleurs, qui peuvent être l’Etat du Sénégal et d’autres partenaires internationaux. Le rôle de l’Institut Pasteur est un rôle de service public.
Peut-on avoir une idée sur le montant de cette subvention allouée à ces laboratoires (Institut Pasteur de Dakar et Iressef) ?
La subvention est évolutive. Nous attendons d’apprécier d’ici la fin du troisième mois (Mai) pour voir comment calibrer en fonction du travail qu’ils feront.
Donc, rien n’est arrêté en termes d’argent pour le moment ?
Effectivement, rien n’est arrêté pour le moment. Rien n’est définitif.
A ce rythme d’évolution de la maladie, est-ce qu’il n’est pas temps d’aller vers des dépistages massifs au Sénégal ?
Le Sénégal n’a pas pris comme option le dépistage massif. Le dépistage massif n’est même pas une option intelligente, parce que vous pouvez dépister ‘’Samba’’ lundi, vous lui faites croire qu’il est négatif et il se considère comme étant sécurisé. Mais le lendemain, il intègre dans son comportement qu’il n’a pas de problème puisqu’il est négatif. Il peut contracter la maladie le mardi ou le mercredi. Et pour vous, vous l’avez déjà dépisté alors que dès le lendemain il a la maladie. Il faut être cohérent et ne pas suivre les spéculations. On spécule beaucoup, mais il faut qu’on reste serein en travaillant avec responsabilité. Il faut voir l’option que la France vient de prendre pour tester les contacts à haut risque et tous les autres contacts confinés dans les hôtels. Quand la stratégie sénégalaise est quelque part empruntée par la nouvelle stratégie française, c’est que nous avons fait un travail bien réfléchi. Nous poursuivons ce chemin.
La stratégie de communication du Gouvernement est fortement critiquée par des spécialistes en la matière. Etes-vous en train de cacher des vérités aux Sénégalais sur le Covid-19 comme le pensent certains ?
Vous savez très bien qu’au Sénégal on ne peut rien cacher. Nous sommes transparents et travaillons avec tous les acteurs concernés. Les résultats reçus sont donnés dès le lendemain à la première heure aux Sénégalais qui ont la possibilité d’aller les vérifier. Nous n’avons même pas voulu laisser le temps à la spéculation ou au doute. Nous ne pouvons pas créer un cas qui n’existe pas. Nous ne pouvons pas dire aussi qu’un cas n’existe pas alors qu’il existe. Nous sommes totalement transparents parce que c’est la condition de réussite de notre mission. Nous savons que la mission de combat du Covid-19 n’est pas seulement un combat médical, c’est surtout un combat du peuple. Pour cela, il faut que le peuple adhère. Et pour que le peuple adhère, il faut qu’il ait confiance. La base de la confiance, c’est la transparence. C’est pourquoi nous avons opté, dès le début, pour une transparence totale et nous irons dans ce sens.
Qu’en dites-vous de la sortie du professeur Moussa Seydi qui aurait créé beaucoup de bruit au ministère de la Santé ?
Il n’en est rien. Moussa Seydi est un professeur éminent et une figure emblématique de la lutte contre le Covid-19. En tant que ministre de la Santé, je le considère comme l’un de mes conseillers privilégiés en la matière. Lorsque cette question avait était posée, ça m’a fait rire parce que je n’ai pas connaissance d’un problème entre Moussa Seydi et l’équipe du ministère de la Santé. Le professeur Seydi peut valablement le confirmer.
Il n’y aurait-il pas de friction cachée entre le politique et le technicien dans cette affaire de gestion du Coronavirus ?
Il n’y a rien de politique dans ce que nous faisons. Il y a une dimension stratégique de la lutte qui est portée par le ministre de la Santé et qui coordonne l’ensemble du dispositif technique. C’est toute une dynamique qui est en train d’être déroulée sur la coordination du Comité national de gestion des épidémies et sous le pilotage du ministre de la Santé. Tout cela est coordonné et suivi au sommet par le chef de l’Etat. C’est un organigramme de combat très clair que nous avons. Ce qui fait que, depuis le début, il n’y a aucune contradiction en la matière.
Qu’en est-il du don de l’Artemisia que Madagascar prévoit d’octroyer au Sénégal ? Peut-on avoir une idée sur la quantité de ce médicament attendu au Sénégal ?
Nous attendons de le recevoir sous peu. Dès que cela sera fait, nous communiquerons là-dessus. Nous informerons qui de droit quand ça sera fait.
Le Sénégal est-il dans une dynamique d’expérimenter ce médicament malgache sur ses malades ?
Laissons ceux qui sont chargés de la prise en charge, notamment les professeurs qui s’occupent du traitement, le soin de prendre en charge cette question et de l’intégrer au besoin.
L’Intersyndicale de la Pharmacie nationale d’approvisionnement (Pna) parle d’une «commande nébuleuse» d’achat d’équipements et de médicaments par sa tutelle d’une valeur de 2 milliards de FCfa dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Quelle est la vérité dans cette affaire ?
La vérité est qu’on m’a confié une riposte contre le Covid-19 qui est extrêmement sérieuse. Je n’aurais pas aimé être distrait par ce genre de débat. Mais, il est important de dire que, dans ce dossier, le ministère de la Santé va mettre en œuvre la riposte dans de meilleures conditions de transparence. Il n’y a aucun problème. Je note que la Pna n’est pas la centrale d’achat du ministère de la Santé. La Pna est chargée d’approvisionner le marché sénégalais en médicaments essentiels pour les structures publiques. Je crois que si l’Intersyndicale de la Pna avait échangé avec sa direction, elle n’aurait pas eu cette position. Dans le cadre de la riposte, le ministère de la Santé va toujours prendre des décisions financières les plus avantageuses pour l’Etat et les populations dans la plus grande transparence.
Mathieu Bacaly