Avec une carrière qui s’étend sur 37 ans, la journaliste est naturellement considérée comme l’une des doyennes du secteur. De ses premiers pas à la RTS à sa traversée du désert au sein du Soleil, Dié Maty Fall se révèle comme un modèle de résilience, maniant une plume libre et engagée qui a su résister aux aléas du temps.

Au cœur de Hann-Bel-Air s’élève un bâtiment chargé d’histoires à bien des égards. Autrefois dédié au service géographique de l’Afrique occidentale française (AOF), cet édifice abrite désormais les locaux du célèbre quotidien national Le Soleil. À l’intérieur, des graffitis – peu esthétiques – de couleur rouge, présents à divers endroits sur des murs, dégradent l’uniformité du jaune. Il suffit de pénétrer dans une salle pour sentir l’atmosphère moderne d’une rédaction. Il est 16 heures, les journalistes s’activent derrière leurs MacBook pour rédiger les articles de leurs différentes sorties du jour. Cet endroit, les employés du journal Le Soleil l’ont ironiquement appelé la fosse aux lions. Malgré la proximité avec le parc de Hann, on est bien loin de trouver des félins dans ce lieu. Bien au contraire, ce sont les jeunes loups ayant récemment fait leur entrée dans cet astre médiatique qui y sont majoritairement présents. 

Au milieu de ces “bleus” se trouve une  une sénior : Dié Maty Fall. Elle nous accueille et avec elle, nous sortons de la salle. “Pour des raisons que vous connaissez, on ne peut pas réaliser l’entretien ici”, dit-elle. Après quelques pas, nous accédons à un bureau où se trouve une dame qui, généreusement, nous autorise à y accéder pour réaliser l’entretien. Si DMF a tenu à prendre de telles précautions, c’est à cause de ses différends avec l’actuel directeur général de cet organe. En 2020, la journaliste révélait dans une note qu’elle est victime de harcèlement de la part de Yakham Mbaye. Ce dernier était accusé de lui avoir imposé de traiter l’actualité politique malgré l’engagement de la concernée au sein du Parti Socialiste. Une tâche que Dié Maty Fall a déclinée au nom de l’éthique, chose qui a amorcé son bras de fer contre son supérieur, synonyme de descente aux enfers ou dans la fosse aux lions. Pour elle, le management de l’actuel DG a considérablement fait régresser l’entreprise.

Alioune Fall : Le père, la source d’inspiration

Celle que ses jeunes pairs de la presse considèrent comme une “doyenne” a été honorée lors de la 3e édition du Sargal national de la presse, organisé par la Convention des Jeunes Reporters du Sénégal (CJRS) le 12 décembre dernier. Une distinction récompensant une carrière qui a débuté en 1987 à la RTS. Une trajectoire toute tracée pour celle qui est la fille d’un illustre personnage de ce service public : Alioune Fall, premier président-directeur général de l’Office de Radiodiffusion Télévision du Sénégal (ORTS). Son père, bâtisseur émérite, a laissé une empreinte indélébile en fondant Radio Mali, autrefois connue sous le nom de Radio Soudan, ainsi que Radio Brazzaville. De retour au Sénégal, il gravit les échelons, de rédacteur en chef à président-directeur général de l’ORTS, marquant l’histoire en devenant le premier et le dernier à occuper cette fonction. 

À son décès le 9 mars 1975, le président Léopold Sédar Senghor décide de retirer le “P”, et depuis, tous les successeurs ont adopté le titre de directeur général. Le journalisme, Dié Maty Fall en hérite de son père et d’autres figures marquantes. “J’ai l’habitude de dire que si mon père avait été bijoutier, moi aussi j’aurais été bijoutière. Donc, oui, c’est en contemplant le parcours de mon père, de Tata Annette Mbaye D’Erneville et de Tonton Bara Diouf, les trois premiers journalistes professionnels du Sénégal”, exprime-t-elle avec fierté. 

 

 

Ce monde médiatique est pour Dié Maty une seconde demeure, où, telle une jeune koala, elle accompagne son père lors de nombreuses sorties à condition d’être “sage”. “Je rencontrais le président Senghor à ma guise, mais je ne connaissais même pas réellement l’homme derrière cette fonction présidentielle. Les membres du gouvernement que j’apercevais restaient des énigmes pour moi. En somme, je ne connaissais pas ces personnalités importantes. À mes yeux, ils n’étaient que des figures imposantes, dénuées de signification concrète”, évoque-t-elle. Au-delà de cette immersion, son amour pour le journalisme a été amplifié par la lecture assidue de magazines et de quotidiens français tels que Le Canard Enchaîné, L’Observateur, Paris-Match, Le Monde, sur les recommandations de son défunt père.

Baladin, Groove, Boulevard : Le triomphe polyvalent de Dié Maty Fall à la RTS

Lorsqu’est venue l’heure de suivre les traces de son père, la RTS lui ouvre volontiers ses portes pour sa première expérience professionnelle. Elle fait son entrée dans cette grande maison en même temps que Mariam Selly Kane, Vieux Aïdara, Jacqueline Fatima Bocoum, entre autres. Dié Maty Fall déclara avec émotion : “J’ai trouvé plein de gens que mon père avait formés et même d’autres que mon père n’a pas formés. Mais l’histoire de mon papa est restée à la RTS. Tout le monde ne parle que de lui. Vraiment, les gens sont marqués par son management. Parce qu’il était fait d’humanité et aussi d’exigence.” Sous l’aile protectrice de Pèdre Ndiaye, qui la forma en animation radio, DMF présente avec succès le Talk Show « Baladin » aux côtés de Jacqueline Fatima Bocoum. Après la radio, elle fait son entrée à la télévision avec les émissions “Groove” et “Boulevard”, animées aux côtés de Khalil Gaye. 

Sur tous les fronts, Dié Maty Fall s’épanouit dans son jardin d’enfance professionnel. Le plaisir de suivre les traces de son père est si intense que la rémunération est secondaire pour elle. “Je n’étais pas embauchée, cependant, étant la fille du PDG, je me disais que je ne devais rien réclamer. Je n’exigeais rien. J’étais contente. Pour moi, c’était une réussite. J’avais suivi les traces professionnelles de mon père. Je pouvais mourir”, observe-t-elle. 

Cependant, il était certain qu’un contrat l’attendait au bout, comme l’ont obtenu, par la suite, ses camarades de promotion Mariame Selly Kane et Jacqueline Fatima Bocoum. Le destin ou le hasard en décide autrement. “Un jour, le rédacteur en chef du journal Le Soleil, feu Abdallah Faye, passa à la RTS et me repéra. Surpris, il m’interpella en ces termes : « Mais que fais-tu ici ? Ici, tu ne trouveras rien à faire. Rejoins Le Soleil. » C’est ainsi que j’ai pris la décision de m’y rendre”, se remémore-t-elle.

Dié Maty Fall et son combat pour le rayonnement de l’opposition sénégalaise au Soleil

Une nouvelle aventure commence pour Dié Maty Fall. Guidée par une passion inébranlable pour les lettres, au sein de sa nouvelle rédaction, elle se sent comme un poisson dans l’eau, prête à relever les défis qui se présentent. Réputée pour son audace sans faille, elle dévoile sa singularité en refusant de se confiner aux “rubriques destinées aux femmes” et oriente son parcours vers le desk politique, en accord avec sa formation en sciences politiques à Sciences Po Paris. De stagiaire à pigiste, la jeune journaliste s’intègre progressivement, animée par le désir de laisser une empreinte indélébile. Les médias du service public ont souvent été critiqués par l’opposition, qui qualifie leur contenu de propagande gouvernementale. Face à cette perception, Dié Maty Fall entreprend des rencontres avec des leaders politiques tels que Me Abdoulaye Wade, Amath Dansokho, Landing Savané, Abdoulaye Bathily, et d’autres qui avaient la particularité de boycotter les médias publics. 

“J’ai plaidé, j’ai exprimé mes arguments, je leur ai dit qu’ils ne peuvent pas me reprocher quelque chose que je n’ai même pas encore fait. Dans le passé, je n’étais pas au Soleil. Je leur ai dit ‘je suis la fille d’Alioune Fall. Vous connaissez mon père, vous savez qu’il était un bon journaliste. Pourquoi est-ce que moi, en tant que sa fille, je le ferais ?”, confie-t-elle. Suite à plusieurs négociations individuelles avec ces acteurs de l’opposition, elle obtient gain de cause. 

L’autre caractéristique distinctive de DMF réside dans son franc-parler, qu’elle met en pratique dans ses articles en relatant les évènements de manière fiable et sans filtre. Lors d’un évènement organisé par l’opposant Iba Der Thiam au stade Alassane Djigo, la tribune s’effondre au moment où l’homme politique fait son entrée. Un incident que la journaliste transforme en une attaque mordante, sa phrase d’accroche. “Mais c’était tout bénéfique pour quelqu’un qui aime l’écriture. Le PDG du Soleil de l’époque a tenté de me faire changer d’avis en évoquant le risque que le concerné se sente boycotté”, se souvient-elle. Une autre fois, elle rédige un article sur les cadres du Parti Socialiste (alors au pouvoir) qu’elle qualifie de dinosaures. Une illustration supplémentaire de son engagement envers une narration franche et sans compromis.

14 ans “au frigo”, il ne fait toujours pas chaud sous le Soleil

Les articles de Dié Maty Fall, ayant suscité de vives réactions parmi les acteurs et les autorités, se chiffrent par des tonnes. Son objectivité aigre-douce lui a d’ailleurs valu sa première sanction en 1998. En tant que chef du service politique, elle fut conviée, par le directeur général Ibrahima Gaye, à couvrir la première sortie de Djibo Ka à la suite de sa démission du PS. Insatisfait de son compte-rendu, celui-ci fut mis de côté. Pour aggraver la situation, l’attaché de presse du Président Abdou Diouf prit l’initiative de lui exprimer son mécontentement. “Il me dit, ‘ton papier, il est nul’. Je lui ai répondu qu’il était encore plus nul et j’ai raccroché”, relate-t-elle. 

Les épreuves se sont intensifiées lors de la première Alternance en 2000 avec l’accession au pouvoir de Me Abdoulaye Wade. Dié Maty Fall confie que pendant la campagne présidentielle, les journalistes avaient décidé de boycotter Abdou Diouf en ne couvrant pas ses activités. Une position que Dié Maty Fall ne partage pas, décidant de couvrir toute la campagne du président sortant. Cette décision engendre une rupture avec ses collègues et la direction. De 2000 à 2002, elle est  mise à l’écart, ne publiant plus d’articles dans les colonnes du journal. En 2002, la situation s’aggrave, elle ne perçoit plus son salaire. 

La voilà rangée dans le tristement célèbre « frigo » et y reste pendant 14 ans. Refusant de rester inactive et animée par l’amour de son métier, elle se met au service d’autres maisons de presse. “Je travaillais pour Sud. Ils m’ont fait part de leur désir de me voir travailler pour eux, mais qu’ils ne pouvaient pas me payer. J’ai accepté”, raconte-t-elle. Par la suite, elle fait son retour à l’écran sur la chaîne Canal Info News en animant un talk-show dominical. En 2015, Ameth Amar, qu’elle considère comme un ami, la conduit auprès du Premier ministre Boun Abdallah Dionne afin qu’il plaide en faveur de son retour au Soleil auprès du nouveau Directeur général. Le Premier ministre d’alors s’exécute, mais cela ne change rien. Il a fallu l’intervention du défunt patron de NMA Sanders pour qu’elle soit réintégrée avec un nouveau matricule, perdant ainsi tous ses salaires impayés des 14 dernières années. Même ses nombreux courriers au Président Macky Sall n’ont pas modifié cette situation.

Sonko-Adji Sarr/DSK-Nafissatou : DMF, un engagement contre les violences faites aux femmes

Au-delà de ses articles incisifs, de ses compte-rendus et de ses reportages au style acéré, Dié Maty Fall se distingue surtout par ses contributions et interventions sans concession. L’une de ses cibles récurrentes est Ousmane Sonko, à qui elle attribue bien des défauts. Elle déclare : “J’ai été profondément choquée lors de l’affaire Adji Sarr. C’était une véritable surprise, de constater qu’au sein de notre société, des individus pouvaient abuser et exploiter des personnes vulnérables. Une certaine Madame Claude (Ndeye Khady Ndiaye) semble avoir bien compris les rouages de ce monde en vendant des êtres humains, recrutant des jeunes filles démunies et les exploitant dans son lupanar. Je ne peux comprendre comment quelqu’un qui a fait des études, censé demander aux Sénégalais de lui confier les destinées du Sénégal, utilise son autorité pour participer lui-même à l’exploitation sexuelle des gens. Un homme politique devrait faire preuve de retenue, d’élévation et de dignité”.

Son engagement en faveur des femmes victimes de violences remonte à l’affaire Nafissatou Diallo-Dominique Strauss-Kahn. Un commentaire qu’elle avait écrit, intitulé « Proud of you », avait été repris par Courrier International. Revenant sur le cas du maire de Ziguinchor, la journaliste ne se contente pas de lui reprocher ses fréquentations. Elle le soupçonne d’avoir un agenda caché, une « conquête islamiste du Sénégal par le haut »“Il y a eu l’épisode à l’Université Gaston Berger, où ce monsieur a interdit aux étudiants tidianes de faire leur Wazifa. C’était dans les années 90. Cet opposant a été élu maire de Ziguinchor. Et sa première sortie en tant que maire était à l’occasion de l’anniversaire du Joola, et pas n’importe lequel, le 20e. Comment, en tant que nouveau maire de cette ville qui a vécu cette tragédie, vous n’assistez pas à cet hommage ? Et vous déléguez quelqu’un. Mais il y a une explication”. Une explication qui, selon elle, est religieuse. “Les extrémistes musulmans ne célèbrent pas les morts, ni les figures tutélaires”, ajoute-t-elle. Elle n’a pas manqué de soulever l’affaire du financement des Frères musulmans révélée par Le Canard enchaîné.

2024, l’année de la retraite

L’écriture ne constitue pas son unique passion. Animée par des convictions socialistes profondes depuis l’époque d’Abdou Diouf, qu’elle respecte et admire, Dié Maty Fall s’est engagée au sein du parti en 2014, occupant actuellement les postes de porte-parole adjointe et de secrétaire nationale à la communication. “Quand vous intégrez le Parti socialiste, vous percevez le Sénégal en miniature. Chaque région et chaque département du Sénégal sont représentés au sein du bureau politique, du comité central, du secrétariat exécutif national, ainsi que dans d’autres organes et mouvements tels que les mouvements des jeunes, des jeunes filles, et des femmes. C’est véritablement le Sénégal en miniature. Pour moi, c’est ce qui donne toute sa valeur au  Parti socialiste. C’est authentiquement cela. C’est le parti qui incarne le mieux les valeurs sénégalaises”, exprime-t-elle avec conviction. 

Le samedi 16 décembre 2023, le parti a officiellement investi Amadou Ba comme candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar, un choix auquel Dié Maty Fall adhère pleinement : “Vu le délai, tous les partis ont accordé carte blanche au président de la coalition, Macky Sall, pour qu’il fasse son choix, étant donné qu’il a eu toute latitude, pendant les 12 années de sa présidence, de connaître les hommes et d’évaluer les différents candidats”.

Rappelant le passé de socialiste d’Amadou Ba, elle a également souligné l’affection qu’éprouvait feu Ousmane Tanor Dieng envers l’actuel Premier ministre. En juillet 2024, Dié Maty Fall envisage de prendre sa retraite après 37 années tumultueuses consacrées au journalisme. “J’ai le désir de retourner à l’université pour reprendre les études. Je souhaite obtenir mon doctorat en histoire parce que l’université est un milieu sain, le domaine de l’intelligence où la médiocrité ne peut prospérer. Je suis également ouverte à l’enseignement”, ambitionne-t-elle tout en envisageant la possibilité de poursuivre dans la presse à temps partiel.