Darou Salam a célébré ce samedi 11 juillet le magal de Mame Cheikh Anta Mbacké, frère de Cheikh Ahmadou Bamba et homme d’affaires prospère. Aussi, en profitons-nous pour revisiter la saga des opérateurs économiques mourides de la fondation du mouridisme à l’orée du 20e siècle à nos jours. Après la première génération d’hommes d’affaires mourides incarnée par Mame Cheikh Anta Mbacké, Cheikh Ibra Fall, une deuxième aussi riche et méritante comme Djily Mbaye, Ndiouga Kébé, Serigne Sall pour ne citer que ceux-là va tenir haut le flambeau hérité de leurs devanciers. Aujourd’hui, les références dans la communauté mouride ont pour nom : Mbaye Guèye, Cheikh Amar, Serigne Mboup. A l’origine de la réussite de ces hommes d’affaires la mystique du travail prônée par Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouri-disme. Lundi prochain, nous vous présenterons les nou-veaux hommes d’affaires mourides.

 

 

Qu’est-ce qui explique cette richesse qui accompagne tou-jours les hommes d’affaires de cette communauté ? Pourquoi ce succès se perpétue-t-il de génération en génération? Tous s’accordent à dire qu’à l’origine de leur fabuleuse réus-site, on trouve la mystique du travail enseignée par Khadim Rassoul. «Travaille comme si tu ne devais jamais mourir, et prie comme si tu devais mourir demain», enseignait le fondateur du mouridisme à ses talibés. Cette maxime est le pilier de la philosophie mouride en parfaite adéquation avec les recomman-dations de l’islam. En effet, fait remarquer le sociologue Lamine Ndiaye dans son article intitulé Mouridisme et culte migratoire : stratégie et perspective, parue en 2010, «en 1912, Ahmadou Bamba, après ses différents séjours forcés au Gabon (1895-1902) pendant 7 ans, en Mauritanie (1904-1907) pendant 3 ans puis à Thiéenne vient s’installer définitivement à Diourbel capitale du Baol. C’est pendant ce long séjour à Diourbel que s’est développée dans la communauté mouride, avec l’aide d’Ahmadou Bamba, une passion de l’action considé-rant le travail comme une forme d’adoration de Dieu. Ainsi on assiste à la formation d’un ethos, voire d’une philosophie du travail régie par les règles de

l’éthique musulmane […]», ècrit-il. Une philosophie vite assimilée et qui deviendra une caractéristique distinctive des mourides.

 

Paul Marty, en fait mention, dans «Etudes sur l’Islam au Sénégal» paru en 1917, relative-ment à leurs projets dans le fon-cier. Marty remarque dans les cercles traversés par la voie fer-rée Thiès-Kayes : cercles de Thiès, du Baol, du Sine-Saloum, du Niani-Ouli et de Bakel, que les talibés de Bamba cheminent avec le rail et fondent sans cesse des colonies nouvelles. Ce mouvement intéressant témoigne selon lui, d’une réelle intelligence de la situation des Cheikhs. «Il tend, poursuit-il, directement à l’utilisation des richesses naturelles, rendue désormais possible par le pas-sage de la voie ferrée.»

 

Les disciples sont formés à la prière et aux travaux des champs dans les daaras. Ils sont les pionniers de la culture et de la vente de l’arachide au Sénégal, ils devinrent de grands commerçants transnationaux dit Sophie Bava dans l’article sur la «Revue Européenne des migrations internationales : De la baraka aux affaires : ethos économico-religieux et trans-nationalité chez les migrants sénégalais mourides.»

 

Son message mystique a été un facteur d’adaptation à la modernité capitaliste introduite par le colonialisme, mais aussi un levier identitaire (religieux, national) et une manière de se sous-traire à l’éthique féodale des royaumes wolofs, où ceux qui travaillaient avaient un statut d’infériorité, posent Sophie Bava et Danielle Bleitrach dans «le monde diplomatique» dans un

reportage intitulé «les Mourides entre utopie et capitalisme.» Toujours selon eux, Amadou Bamba revendiquait « le partage des tâches ». Il a institué l’égalité entre les divers types de travaux et en nommant des Cheikhs dans tous les milieux sociaux. Ce qui le fait considérer comme un héros national opposé à l’avancée coloniale. Il avait mis au travail la population pour pro-duire l’arachide. Pour preuve, en 1912, les terres du Bassin ara-chidier commençaient à s’ap-pauvrir. Cheikh Amadou Bamba organisa alors la « colonisation des terres neuves ». Dans un milieu hostile (déserts arides, lions, etc.), les chefs mourides pourvoyaient aux besoins d’or-ganisation et de concentration des colons dans les nouvelles zones de culture. Ils obtenaient de l’administration française les itinéraires futurs des routes et des voies ferrées, y amenaient leurs talibés en groupes bien disciplinés, enchérissent-ils. Cette conquête pionnière, soute-nue par l’administration fran-çaise, était faite au nom de valeurs spirituelles : Les disci-ples, nourris, retournaient à la saison sèche dans leurs vil-lages. Au bout de dix ans de service, le talibé recevait une terre, et le daara – communauté agricole maraboutique où les jeunes travaillent la terre et apprennent le Coran – devenait un village, avec femmes et enfants. Cette mystique du tra-vail et la croissance de la pro-duction de l’arachide ont enrichi la confrérie, font-ils remarquer dans cet article qui date de 1995.

Mamadou DIALLO