« C’est un Mamadou Diop Castro diminué par la maladie qui parle », précise-t-il dès l’entame de son discours qui, dans sa teneur, préfigure déjà les annales historiques du syndicalisme au Sénégal. Localisé par « Le Témoin » qui l’avait perdu de vue, Mamadou Diop Castro, célèbre vétéran du syndicalisme enseignant sénégalais, nous retrace le parcours cahoteux de sa génération des années de braise avant de fustiger l’arrogance actuelle des pouvoirs publics ainsi que les scandales qui minent le pays.

« C’est un Mamadou Diop Castro diminué par la maladie qui parle. Le combat nous le gagnons de notre vivant. Nous n’avons pas besoin de réhabilitation posthume comme le disait Jean Paul Sartre. C’est la lutte qui est chantée. Le courage, l’engagement, la détermination, l’esprit de sacrifice et de combativité, c’est tout cela qui est chanté. Nous, nous avons combattu durant les années de braise. Le syndicalisme a contribué, pour une large mesure, au processus de démocratisation de notre pays. Les combats ne sont pas seulement qu’alimentaires, car il y a eu aussi les luttes démocratiques ».

Mamadou Diop Castro, l’ancien Secrétaire général de l’Uden (Union démocratique des enseignants), qui s’est débarrassé entre temps de sa célèbre barbe, intervenait samedi dernier lors de la présentions du livre biographique consacré à Mballo dia thiam, leader du Syndicat Unique des travailleurs de la Santé et de l’action Sociale (SUTSAS). Doyen du mouvement syndical national, Diop Castro, qui conserve toujours ses talents de tribun, et en posture de témoin raconte : « le droit à la négociation collective ne nous a pas été donné dans ce pays.

Le droit de réunion sur les lieux de travail ne nous a pas été donné non plus. Le droit d’accès aux médias d’Etat ne nous a pas été donné encore moins. Ce n’était pas facile à l’époque. Trois mois de grève avec un silence assourdissant des pouvoirs publics. Il a fallu couper le courant pendant trois jours, assoiffer Dakar pour que le pouvoir accepte de recevoir les camarades. Ce fut une lutte héroïque entre les forces syndicales, militants d’autres partis, la Société civile et le pouvoir ».

De lourds sacrifices, sources de progrès et qui ont valu bien des acquis aux travailleurs, dans la mesure, selon le vieux leader syndical, à l’époque, l’infirmier d’Etat gagnait environ 60000 F cFa par mois. le médecin, malgré la durée des études, gagnait 70000 F cFa. « Aujourd’hui, dit-il fièrement, on peut mesurer la portée du combat du Sutsas à travers le bulletin de salaire de 2020 comparé à celui de 1982 ! » comme quoi, explique-t-il, il y a eu une nette amélioration des conditions de vie et d’existence des travailleurs sénégalais, mais également de leurs conditions de travail. Selon Diop Castro, donc, c’est en parlant des conditions de travail et de vie sociale qu’on peut évoluer le système de santé.

« Les pouvoirs publics deviennent de plus en plus arrogants »

Selon le syndicaliste à la retraite, qui a été interrompu à plusieurs reprises par des salves d’applaudissements et dont la fin du discours a été saluée par une standing ovation, la bataille est multiforme et multidimensionnelle. « Le livre sur Mballo Dia Thiam est sorti au bon moment. Un moment où l’on s’interroge sur l’avenir du syndicalisme. Ou l’on déplore la fragmentation syndicale. Où les syndicats fleurissent. Et au même moment, plutôt que de prendre peur et de développer le dialogue social, les pouvoirs publics deviennent de plus en plus arrogants », déplore l’ancien inspecteur d’académie.

A en croire toujours Mamadou Diop Castro, les syndicalistes doivent s’inquiéter et s’interroger sur la manière dont on sert les syndicats et sur la manière dont on gère les luttes syndicales dans notre pays. Pour lui, le dialogue social n’a de sens que s’il a des partenaires crédibles. il n’a de sens que quand il y a des syndicats forts. Si le rap- port de forces n’est pas créé sur le terrain, il ne le sera pas sur la table des négociations. « Il faut que les syndicalistes se réunissent pour discuter de l’état du syndicalisme et des mesures qu’il faut prendre pour renforcer ce contre-pouvoir.

La démocratie est là. Notre pays est en avance par rapport à d’autres mais en retard par rapport à nos ambitions. Il nous faut plus d’unité, plus d’engagement, plus de cohésion et plus de solidarité pour engager des luttes décisives. Le pays attend beaucoup des syndicalistes. La communication doit être améliorée de notre part pour que le peuple comprenne ce dans quoi nous sommes et ce que nous faisons quotidienne- ment pour nous, pour eux, pour le pays et pour l’humanité entière » a donné, en guise de viatique, le vieux leader syndical enseignant.

« Chaque jours que Dieu fait, c’est des scandales » 
Pour Mamadou Diop Castro, au regard de la marche du pays, il importe de voir qu’est- ce qu’il faut faire contre le gaspillage et l’injustice. « Quand le mal est partout et l’autorité nulle part, la rue est le seul critère de revendication ! Chaque jour que Dieu fait, c’est des scandales. Chaque jour que Dieu fait, la démocratie est bâillonnée. C’est un processus ininterrompu.

Les acquis qu’on arrache, c’est des conquêtes provisoires. Et il faut pouvoir les entretenir, les élargir et les rendre irréversibles par la vigilance, l’engagement et la détermination », a t- il lancé à l’endroit des syndicalistes. convaincu que le combat syndical est consubstantiel à tout processus démocratique, Castro enseigne qu’«une démocratie sans combat est une illusion ». Et « Parallèlement, nous avons été initiés pour le Dialogue social. Nous avons été formés en ce sens. Mais nous devons œuvrer pour un dialogue construc- tif. Pas un dialogue social pour gagner du temps ou pour éteindre la braise.

Mais un dialogue social pour améliorer la démocratie », a indiqué en conclusion le jadis tonitruant leader syndical, Mamadou Diop Castro. Dont le discours, samedi dernier, à l’Ecole nationale des travailleurs sociaux spécialisés, était un moment d’anthologie et mérite de figurer en excellente place dans les annales du mouvement syndical national.

Le Témoin