Coupure des signaux de télévisions et de radios, Arrestations et intimidations de journalistes… Le principe de la liberté de la presse et de la liberté d’expression est constamment mis à rude épreuve au Sénégal depuis l’avènement au pouvoir du président
Depuis l’avènement du régime du président Macky Sall, le principe de la liberté de la presse et de la liberté d’expression est constamment mis à rude épreuve au Sénégal. L’arrestation de l’administrateur du site d’information Dakarmatin, Pape Alé Niang pour « diffusion d’information de nature militaire sans autorisation de la hiérarchie » semble ainsi s’inscrire dans cette situation. De sorte que l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des journalistes semble confiner le droit du public à l’information quand il ne viabilise pas une liberté d’expression à deux vitesses : Aliou Dembourou Sow, Ameth Suzanne Camara, Gaston Mbengue…
L’arrestation de l’administrateur du site d’information Dakarmatin, Pape Alé Niang, pour « diffusion d’information de nature militaire sans autorisation de la hiérarchie » remet au goût du jour le débat sur la liberté de la presse et, au-delà la liberté d’expression au Sénégal sous le régime du Président Macky Sall.
En effet, nonobstant ses efforts consentis notamment dans l’adoption du projet de Loi portant Code de la presse censé ouvrir de nouvelles perspectives au secteur de la presse sénégalaise, les relations entre l’actuel chef de l’Etat et certains acteurs de la presse nationale sont loin d’être exemplaires. La preuve depuis son accession au pouvoir le 25 mars 2012, le Sénégal s’est inscrit dans une position d’instabilité chronique dans le classement mondial de la liberté de la presse, publié chaque année par l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF) depuis 2002 et portant sur les conditions de travail des journalistes dans 180 pays et territoires du monde entier.
De la 49e place au classement mondial de la liberté de 2021, le Sénégal est passé à la 73ème position sur 180 pays dans le Classement de 2022 soit, un bond en arrière de 24 places alors qu’il était classé 47e dans le rapport 2020. En 2019, le Sénégal est classé 49e/180 alors qu’il était respectivement 50e en 2018, 58e en 2017, 65e en 2016, 71e en 2015, 62e en 2014 et 59e en 2013. Ces différents classements qui placent le Sénégal derrière des pays comme Les Seychelles (pays africain le mieux noté de ce classement), la Namibie, l’Afrique du Sud, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire voire le Burkina Faso et la Sierra-Léon renseigne à suffisance sur l’état global des rapports tendues qu’entretiennent l’actuel chef de l’Etat et des acteurs de la presse nationale.
Coupure des signaux de télévisions et de radios
Avec l’avènement du président Macky Sall, beaucoup de Sénégalais croyaient avoir tourné définitivement la page du « monstre » qui avait procédé le 17 octobre 2005, à la coupure du signal des radios : Première Fm, Sud Fm, Walf Fm, Oxy-Jeunes Sud FM et retiré des kiosques des exemplaires du journal Sud Quotidien daté du même jour. Seulement, ils ne vont pas tarder à déchanter. En mars 2021, après une mise en demeure d’arrêt de la diffusion en direct des manifestations violentes déclenchées par l’arrestation de l’actuel maire de Ziguinchor dans le cadre de la procédure de « viols répétés » et « menaces de mort » qui l’oppose à Adji Sarr, l’actuel président du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) a procédé à la coupure des signaux de Walf Tv et Sen Tv. Cette décision de Babacar Diagne marquait une rupture d’avec la position qu’avait toujours adoptée son prédécesseur, feu Babacar Touré (ex-patron du Groupe Sud Com) par rapport aux instructions de couper le signal à des organes de presse à la suite de la diffusion de certaines informations hostiles au régime. D’ailleurs, ce dernier, au nom du principe de « respect de la sacralité de la liberté de presse », n’hésitait pas à mettre sur la table sa démission à chaque fois qu’il recevait un ordre de fermeture du signal d’organes de presse. C’était le cas avec le Groupe Walfadjri à la suite de la sortie de feu Sidi Lamine Niasse, Pdg dudit groupe de presse à la veille du référendum de 2016.
Arrestations et intimidations de journalistes
Autre fait confortant les relations tendues qu’entretient l’actuel régime avec une certaine presse, on peut également citer les cas d’arrestations de journalistes dans l’exercice de leur mission d’information du public.
Entre 2012 et 2016, plusieurs journalistes des médias privés ont été convoqués devant la redoutable Division des investigations criminelles ou la Section de recherche de la Gendarmerie nationale suite à la diffusion des articles en lien avec le régime en place. C’est le cas pour l’ancien Directeur de publication du journal « L’observateur », Alioune Badara Fall, suite à un article de son reporter Mamadou Seck sur l’envoi en Arabie Saoudite de 2 100 soldats sénégalais pour la guerre au Yémen, publié le 8 mai 2015. La même année, trois journalistes de D-Média ont été également convoqués par la même Division des investigations criminelles (Dic) suite à la reprise d’un article publié par le journal français Le Monde incriminant l’actuel chef de l’Etat, Macky Sall, dans les fonds russes de Lamine Diack Ces arrestations avaient, d’ailleurs, poussé l’ancien Secrétaire général du Synpics Ibrahima Khaliloulah Ndiaye à monter au créneau pour dénoncer ce qu’il appelle une « tentative d’intimidation ». « Les journalistes ne doivent pas être là que pour l’intérêt du public. Ils doivent faire en sorte que ce que cachent nos dirigeants soit connu du grand public. Donc, les journalistes ne doivent nullement céder à la pression ou à l’intimidation. Ils doivent continuer à faire leur travail dans le respect des règles et des lois existantes, et n’avoir pour objectif que d’informer le public », avait-il fait remarquer dans les colonnes de l’Observateur. Toujours dans ce lot d’arrestations de professionnels de l’information dans l’exercice de leur fonction, on peut également citer celle du doyen Adama Gaye. Suite à un texte partagé sur sa page Facebook, Adama Gaye a été interpellé le 29 juillet par la Division des investigations criminelles, sur instruction de l’ancien Procureur de la République pour « offense au président de la République » et « atteinte à la sûreté de l’État ».
La politique de deux poids-deux mesures concernant le partage des procès-verbaux d’enquêtes et autres documents estampillés «secret défense»
La diffusion par des organes de presse du contenu des procès-verbaux d’enquêtes et autres document estampillés « secret défense » n’est pas une nouveauté au Sénégal. Depuis l’avènement du régime en place, des organes de presse ont toujours partagé des contenus des auditions et autres enquêtes surtout quand ceux-ci ont tendance à conforter la position du régime en place. C’était le cas lors de la procédure de la traque des biens supposés mal acquis initiée contre les dignitaires de l’ancien régime libéral. A chaque audition des personnalités incriminées, tout le contenu du procès-verbal de la police et même l’audition du juge d’instruction est publié dans son intégralité par certains organes de presse, dès le lendemain. Il en est également dans la procédure relative à la caisse d’avance de la mairie de Dakar initiée contre Khalifa Ababacar Sall. Dans le cadre de la procédure en cours visant le leader de Pastef, Ousmane Sonko, des extraits de vidéos prises lors de la confrontation entre son accusatrice, Adji Sarr, et sa patronne Ndeye Khady Ndiaye dans le bureau de l’actuel doyen des juges d’instruction ont été largement partagés dans les réseaux sociaux après sans que personne ne soit inquiétée.
Une liberté d’expression à deux vitesses
Tout comme le partage des contenus de procès-verbaux d’enquêtes et autres document estampillés « secret défense », on note également un déséquilibre dans la démarche du ministère public (procureur de la République) dans la répression de certains faits susceptibles de troubler l’ordre public. En effet, si plusieurs personnes sont envoyées en prison sur instruction du procureur de la République pour des déclarations et autres opinions hostiles au président Sall ou des membres son régime à l’image des activistes Guy Marius Sagna, Cheikh Oumar Diagne pour ne citer que ceux-là, tel n’est pas le cas pour les proches du régime coupables parfois des faits plus graves. C’est le cas du responsable des enseignants de l’Apr, Ameth Suzane Camara, qui a publiquement appelé au meurtre sur la personne du leader de Pastef. Il y a également le promoteur de lutte Gaston Mbengue, frère cadet de l’actuelle présidente du Haut conseil des collectivités territoriales, qui n’est pas inquiété malgré la gravité de propos racistes et xénophobes tenus à l’égard du maire de Dakar, Barthélémy Dias. La liste est loin d’être exhaustive.
Nando Cabral GOMIS