En perspective du scrutin présidentiel du 25 février prochain, la coalition de la société civile pour l’application des recommandations de la Commission nationale de réformes des institutions (Cnri) a proposé un pacte de bonne gouvernance aux candidats en lice. Rappel des points saillants desdites conclusions.
A la date du 30 janvier, 12 des 20 candidats engagés dans la course à la présidentielle du 25 février prochain ont officiellement signé le pacte national de bonne gouvernance démocratique. Il s’agit, en effet, de Mamadou Lamine Diallo, Cheikh Tidiane Dièye, Mahammed Boun Abdallah Dione, Bassirou Diomaye Faye, Serigne Mboup, Khalifa Ababacar Sall, Thierno Alassane Sall, Rose Wardini, Malick Gackou, Anta Babacar Ngom et Boubacar Camara. Cette initiative est de la coalition de la société civile pour l’application des recommandations de la Commission nationale de réformes des institutions (Cnri). Ce pacte vise à établir les bases d’une prise en charge transparente et responsable des Assises nationales et de la Cnri, jetant ainsi les fondements d’une réforme institutionnelle profonde.
« Cette fois-ci, il y aura un suivi qui sera fait par les membres de la société civile pour veiller au respect de ces engagements. En cas de non-respect, on peut rappeler à l’ordre. Si jamais, il y a problèmes, on peut voir comment faire respecter les engagements », a rassuré Dior Fall Sow, membre de la coalition de la société civile. Mais c’est quoi ? Seneweb revient sur quelques points saillants de ce rapport de 154 articles déposé sur la table du président de la République, Macky Sall, depuis le 13 février 2014. Lesquels aspects ne sont toujours pas appliqués par le Président.
Consolidation de l’État de droit
Le premier point, concerne l’État de droit qui est celui où l’État est soumis aux normes juridiques, au même titre que les citoyens, sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale. Il suppose l’existence de normes juridiques hiérarchisées, de recours à la disposition des administrés et de juridictions pour faire respecter le Droit. Et pour une consolidation de l’État de droit au Sénégal, la Cnri a proposé un système judiciaire à la tête duquel se trouve une Cour constitutionnelle, aux pouvoirs renforcés, assurant un meilleur contrôle de la constitutionnalité des lois et garantissant la primauté de la Constitution. Ce qui contribue à un meilleur respect de la hiérarchie des normes juridiques. L’initiative d’un contrôle a priori est étendue aux citoyens qui disposent désormais du droit de saisine. En proposant la création de la Cour Constitutionnelle, la Cnri entend renforcer, élargir et clarifier les compétences du Juge constitutionnel, ce qui devrait conduire à moins de déclarations d’incompétence. Le contrôle a posteriori s’effectue par voie d’exception. A cet égard, la Cnri vise l’instance d’appel et non plus le niveau de la juridiction suprême où l’on peut soulever une exception d’inconstitutionnalité. Désormais, à l’occasion d’une instance en cours devant une Cour d’Appel, il peut être soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ou est contraire aux engagements internationaux du Sénégal. Le cas échéant, la Cour d’Appel apprécie et transmet, s’il y a lieu, l’exception soulevée au Conseil d’État ou à la Cour de Cassation (devenue Cour suprême). Si le Conseil d’État ou la Cour de Cassation estime le renvoi nécessaire, la Cour Constitutionnelle se prononce dans un délai de deux mois. Si la Cour estime que la disposition dont elle a été saisie n’est pas conforme à la Constitution, il ne peut plus en être fait application.
La Commission a également préconisé le renforcement du dispositif des droits et libertés qu’elle a proposé de placer sous la surveillance d’un juge spécifique, le juge des libertés qui devrait pouvoir ordonner des mesures provisoires mais rapides tendant à préserver les droits du demandeur, s’il estime, comme le soutient ce dernier, que ses droits fondamentaux ont été violés.
Soucieuse de rapprocher davantage la justice du justiciable, la Cnri souhaitait le rapprochement du juge de l’excès de pouvoir du justiciable soit par la création d’un ordre administratif de juridictions (Tribunaux administratifs, Cours administratives d’appel, Conseil d’État), soit par la déconcentration du contentieux de l’excès de pouvoir aux niveaux régional et départemental.
Chef de l’Etat et non chef de parti
Sur l’équilibre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, la Commission dirigée par le professeur Ahmadou Makhtar Mbow a estimé que les nombreux dysfonctionnements notés dans l’exercice du pouvoir trouvent leur source dans l’aménagement du pouvoir d’État qui consacre une concentration de l’autorité au niveau de l’Exécutif. Ainsi, elle préconise le renforcement de l’indépendance des pouvoirs législatif et judiciaire et une meilleure distribution des responsabilités au sein de l’Exécutif pour un meilleur équilibre.
Elle pense tout de même que le président de la République doit demeurer le chef de l’Exécutif, pour déterminer la politique de la Nation, en disposant de pouvoirs propres qu’il exerce sans contreseing mais aussi d’autres qu’il ne peut exercer que sur proposition soit du Premier ministre soit d’autres instances comme le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Toutefois, « parce qu’il incarne l’unité et la cohésion nationales, le Chef de l’Etat ne doit plus être Chef de parti dès qu’il entre en fonction », a préconisé la Cnri dans ses conclusions.
Si celle-ci estime que pour des raisons liées à la stabilité des institutions, il est souhaitable que le gouvernement dispose au niveau du Parlement d’une majorité de soutien, il y a lieu d’écarter les risques d’abus de majorité par la création des conditions de participation effective de l’opposition parlementaire au travail législatif. Celle-ci est dotée d’un statut et la présence effective au sein du bureau lui est garantie. C’est ainsi que l’un des postes de Vice-président, au moins, est réservé à l’Opposition parlementaire.
Elle demande, par ailleurs, une meilleure maîtrise par le Parlement de son ordre du jour. C’est ainsi qu’elle propose que dix jours de séance par mois soient réservés par priorité, et dans l’ordre que le gouvernement aura fixé, à l’examen des textes et aux débats dont il demande l’inscription à l’ordre du jour ; que six jours de séance par mois soient réservés par priorité et dans l’ordre fixé par l’Assemblée nationale au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques.
Le Président et le ministre de la justice ne sont plus membres du Conseil supérieur de la magistrature
Seule une justice indépendante à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif est en mesure de garantir un État de droit. L’indépendance de la Justice a toujours été formellement proclamée mais n’a pas toujours été vécue surtout en ce qui concerne les magistrats du parquet. La Cnri recommande quatre mesures aux fins de renforcer l’indépendance de la Justice.
A l’égard des magistrats du parquet, il est nécessaire de redéfinir l’autorité évoquée à l’article 6 du statut de la magistrature qui dispose que « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du Garde des Sceaux, ministre de la Justice… Ils peuvent être affectés sans avancement par l’autorité de nomination d’une juridiction à une autre s’ils en font la demande ou d’office dans l’intérêt du service, après avis du Conseil supérieur de la Magistrature ». Cette autorité ainsi déclinée a pu, par le passé, constituer le fondement des « instructions » données au Parquet. Celles-ci sont désormais écartées avec le renforcement des pouvoirs du Conseil supérieur de la Magistrature mis à l’abri de toute intervention politique et qui gère entièrement la carrière des magistrats (voir infra). Désormais les rapports entre le judiciaire et l’exécutif perdent toute dimension hiérarchique et se limitent à des liens administratifs et fonctionnels.
A l’égard des magistrats du siège, il faut respecter le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège (article 5 de la loi organique n° 92-27 du 30 mai 1992 modifiée portant statut de la magistrature) qui signifie que ces derniers ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable
Il faut, par ailleurs, rendre au juge d’instruction son pouvoir d’appréciation de l’opportunité de décerner ou non un mandat de dépôt, quelle que soit l’infraction.
Pour garantir la séparation des pouvoirs, le Conseil Supérieur de la magistrature est autrement composé. Celui-ci est l’organe de gestion de la carrière des magistrats. Le Président de la République et le Ministre de la justice n’en sont plus membres.
Le Président de la Cour Constitutionnelle préside le Conseil Supérieur de la Magistrature. Outre le Président de la Cour Constitutionnelle, son président et deux personnalité de haut rang, désignées respectivement par le Président de la République et le Président de l’Assemblée nationale, le Conseil Supérieur de la Magistrature est composé, au titre des membres de droit, du Président du Conseil d’État, du Premier Président de la Cour de Cassation (devenue Cour suprême)et du Procureur général près ladite Cour, des Premiers Présidents des Cours d’Appel et des Procureurs généraux près lesdites Cours et, au titre des membres élus, d’au moins un nombre égal de membres choisis conformément aux dispositions prévues par la loi organique sur le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Le Conseil Supérieur de la magistrature veille au bon fonctionnement de la justice. Il examine et sanctionne, s’il y a lieu, les détentions préventives abusives, les défauts ou insuffisance de motivation des décisions de justice ainsi que les lenteurs préjudiciables constatées dans leur mise à disposition.
Bonne gouvernance, transparence et éthique dans la gestion des affaires publiques
La Cnri s’est efforcée en conséquence de renforcer le dispositif des droits et libertés et de créer les conditions d’effectivité de leur jouissance par l’aménagement de mécanismes supplémentaires de protection. C’est ainsi que pour rendre effectif le droit de manifestation, les délais pour notifier une interdiction doivent être suffisants pour permettre l’exercice de recours. En outre, les interdictions en la matière doivent être clairement motivées. Concernant les personnes vivant avec un handicap, l’État et les collectivités publiques doivent leur garantir un libre exercice de leurs droits et les préserver de l’abandon moral, de la discrimination, de la marginalisation et de la stigmatisation. De surcroît, il est recommandé que la Cour des Comptes fasse annuellement un rapport sur l’état d’avancement de la mise en œuvre de la loi d’orientation sociale, dans ses volets liés à l’emploi, l’accès aux infrastructures (notamment scolaires, sanitaires, etc.), la mise aux normes des équipements sociaux (transport, etc.).
La Commission, en proposant que les dispositions touchant aux libertés fondamentales de la personne humaine ne puissent être révisées que par voie référendaire, a entendu leur apporter une protection supplémentaire.
Toujours dans ses conclusions, la Cnri considère que la bonne gouvernance se présente difficilement comme une réalité sans un système de contrôle complet mais aussi efficace. Le paradoxe, au Sénégal, c’est qu’il existe une multiplicité de corps de contrôle dont l’efficacité n’est pas avérée du fait d’un régime juridique et d’un positionnement institutionnel qui ne favorisent pas toujours l’exercice en toute indépendance de leurs missions, la coordination de leur action et le suivi adéquat de leurs recommandations.
Par conséquent, elle recommande un réaménagement du dispositif de contrôle autour de la Cour des comptes, de la Vérification générale d’État (VGE), de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp, devenue Arcop), de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), et une meilleure coordination avec les systèmes de contrôle interne. Sur ce point, la Cnri préconise une aggravation des sanctions financières, pénales et administratives applicables en cas d’infraction à la législation financière.
Financements des partis politiques
La multiplication exponentielle du nombre de partis politiques amène à des interrogations légitimes sur les modalités de leur création et de leur fonctionnement.
Le défaut de contrôle du circuit de financement des activités des partis politiques favorise les financements occultes, source de corruption et la stricte application de la loi est de nature à entrainer la réduction drastique du nombre de partis politiques.
Le Sénégal ayant ratifié les Conventions des Nations Unies et de l’Union africaine contre la corruption qui préconisent l’adoption de mesures visant à accroitre la transparence du financement des partis politiques, devrait amener l’État à étudier les modalités de mise en œuvre d’un financement public des partis politiques notamment de ceux (hors coalition) représentés à l’Assemblée nationale. Cela aura comme avantage, une meilleure maîtrise des circuits de financement des partis, la réduction des inégalités et des injustices et plus d’équité dans l’allocation des ressources publiques mais aussi et surtout la création des conditions de compétitions électorales sincères. En effet, un système électoral crédible doit promouvoir des conditions d’exercice garantissant la transparence et la sincérité du scrutin ainsi que l’égalité des candidats Un scrutin sincère est celui qui se déroule dans des conditions garantissant une expression correcte du suffrage. Tout ce qui peut fausser cette expression est à bannir ; l’inégalité des chances ne découlant que des conditions disparates de jouissance des ressources publiques est à écarter.
La CNRI propose la création d’une Autorité de Régulation de la Démocratie qui, outre la mission de contrôle et de supervision de l’ensemble du processus électoral, assure le contrôle de la régularité du fonctionnement et du financement des partis politiques, la vérification du financement des campagnes électorales. Elle organise aussi la tenue de concertations régulières entre les acteurs du jeu politique.
Elle propose que la délivrance d’un récépissé attestant la création d’un parti politique soit assujettie à la production d’une liste de 10.000 adhérents domiciliés dans 10 régions au moins à raison de 700 adhérents au moins par région.