Fondé en 1992 par le Chinois Li Jinyuan, le groupe Tiens se présente comme une entreprise internationale spécialisée dans la vente de produits de santé et de bien-être. Présent aujourd’hui dans plus de 200 pays, dont le Sénégal, ce groupe suscite cependant de nombreuses interrogations sur ses méthodes, assimilées à un système pyramidal qui pénalise les adhérents. Cette enquête tente de faire la lumière sur les pratiques obscures de cette entreprise qui séduit, notamment les jeunes, par des promesses d’enrichissement rapide.
Une méthode d’enrôlement mystérieuse et séduisante
Au Sénégal, comme dans plusieurs pays d’Afrique, le groupe Tiens a gagné du terrain grâce à une stratégie d’enrôlement ciblée et soignée. Les futurs adhérents sont invités par des proches ou via les réseaux sociaux à assister à des conférences d’information organisées dans des salles de réunion, notamment au siège du groupe à la VDN à Dakar.
Les invitations sont souvent vagues, limitées à des formules du type « une opportunité à saisir ». Une fois sur place, les prospects assistent à un véritable spectacle orchestré par le fondateur local, Evrard Sossoukpe, qui alterne discours motivants, démonstrations et pauses dansantes. Ce show vise à séduire et convaincre les participants de rejoindre le réseau.
Le directeur de Tiens en visite chez le Khalif général des Mourides à Touba
Dans un contexte où l’image et la crédibilité sont essentielles, le directeur local du groupe Tiens a récemment effectué une visite remarquée chez le Khalif général des Mourides à Touba. Cette audience, très médiatisée, a été perçue comme une tentative de renforcer la légitimité de l’entreprise auprès de la communauté mouride, très influente au Sénégal.
Cette démarche soulève cependant des questions quant à la vigilance nécessaire autour des visiteurs auprès du Khalif et de son entourage. Certains observateurs estiment que des enquêtes plus approfondies devraient précéder ces audiences afin d’éviter que l’image du Khalif ne soit utilisée à des fins commerciales ou pour pénétrer plus facilement les réseaux communautaires.
Un système pyramidal dissimulé sous couvert de vente de produits
Officiellement, Tiens commercialise des produits diététiques et de santé « bons pour le corps ». Cependant, le modèle économique repose largement sur le recrutement continu de nouveaux adhérents. Ceux-ci doivent verser un frais d’inscription d’environ 160 000 FCFA, justifié par la remise de produits à revendre. Par la suite, ils s’engagent à payer une cotisation mensuelle de 40 000 FCFA.
Mais la clé du succès, selon le groupe, est d’inviter un maximum de personnes à rejoindre le réseau. Les commissions et bonus versés dépendent directement du nombre de filleuls et de leur progression dans les échelons du système. Ce mécanisme correspond au fameux système de Ponzi, interdit et frauduleux dans plusieurs juridictions.
Témoignages et mises en garde
De nombreux adhérents déchantent après plusieurs mois, réalisant que les gains promis ne sont atteignables que par une infime minorité placée tout en haut de la pyramide. Amadou, chauffeur de car rapide, confie avoir rapidement abandonné le système après avoir compris la supercherie.
Au Togo, où le groupe Tiens s’est implanté, les autorités ont officiellement interdit ses activités en raison des risques financiers pour la population. Le ministère de l’Économie et des Finances avait mis en garde contre ces pratiques, les qualifiant d’illégales et de dangereuses pour les épargnants.
Une impunité liée aux failles juridiques
Au Sénégal, ce type de système n’est pas formellement interdit, en partie grâce au fait que les adhérents reçoivent des produits en contrepartie de leur inscription, ce qui limite les poursuites judiciaires. Le professeur Iba Barry Kamara, juriste à l’UCAD, explique que la société Tiens « se situe à la limite de la légalité » et qu’il est difficile pour la justice d’intervenir sans preuves formelles d’infractions précises.
Néanmoins, les victimes peuvent engager une action civile pour dol, lorsque des informations essentielles ont été volontairement cachées lors de la signature du contrat, avec possibilité d’annulation et restitution des fonds.
Pourquoi tant de succès malgré tout ?
Face à l’éclatement des modèles familiaux traditionnels, au chômage et aux difficultés économiques, la promesse d’un enrichissement rapide fait mouche, surtout auprès des jeunes. Le sociologue Gabi Sagna explique que cette quête de richesse immédiate, combinée à la vulnérabilité sociale, alimente l’engouement pour ce genre d’activités.
Le groupe Tiens se présente ainsi comme un ascenseur social facile dans un contexte où les perspectives sont souvent limitées. Mais cette illusion risque de coûter cher à beaucoup.
Vers un encadrement renforcé
Pour contrer ce phénomène, les spécialistes appellent à un meilleur encadrement par l’État et la sensibilisation des populations, notamment à travers des campagnes d’information ciblées. L’objectif est d’éviter que ces systèmes déguisés en opportunités ne deviennent des pièges pour les plus vulnérables.