La ruée, le rush urbain mondial, africain, au Sénégal aussi débouche de plus en plus sur une ‘’standinguisation’’, une catégorisation, un échelonnement de l’espace, voire sur une griserie par le foncier selon sa valeur attractive et ou monétaire, d’où un étranglement et privatisation des centres urbains.  Ainsi, comme tous les espaces centraux urbains ne peuvent pas êtres généralistes,multifonctionnels, surtout quand il s’agit des grandesvilles ; l’heure, la prospection voudrait que nous aménagistes et urbanistes tendons plus à des centres urbains spécialisés, éclatés, éparpillés donc moins saturés, plus aérés. Cela pour un meilleur exercice des activités urbaines, un habitat citadin avec un minimum de promiscuité, de turbulence et une accessibilité facile des infrastructures de base, mais avec des espaces verts et une circulation piétonne et automobile facilitée.

   

    Selon le dictionnaire en ligne français, internaute, le centre ville ou centre urbain renvoie à : « Quartier central d‘une agglomérationgénéralement le plus ancien et le plus animé». L’emplacement, l’armature, l’ossature urbains de bon nombre de pays africains sont une part de l’héritage de la colonisation et cela qu’on prenne en compte les bâtiments principaux ou le plan subsistant. Toutefois, l’espace surtout celui urbain est devenu telle une richesse foncière en puissance, une ressource à rentabiliser d’où après l’assertion de «la ville à guichets fermés» du géographe se pose la question d’une privatisation, mercantilisation, obstruction de l’accès aux centres urbains. Entre cantinisations,  bancarisations, hôtelleries, les complexes commerciaux, restaurants, stations d’essence…le parking ou le repose pieds sont avec cette forme d’urbanisation de l’ordre du proscrit, du banni. Alors que la circulation automobile et piétonne invite de plus en plus à prendre les devants.  Hormis, ce caractère de plus en plus privé, étroit du centre urbain sénégalais, on peut constater ou déceler une certaine spécialisation urbaine par ci et des villes généralistes par là. Dans l’optique d’émettre un avis sur l’urbanisme africain, particulièrement, celui central sénégalais(l’œil prospectif de l’aménagiste). Pour ce faire, nous allons prendre comme échantillon d’analyse quatre villes sénégalaises que sont la capitale administrative, Dakar ; deux capitales régionales : Thiés et Diourbel ; mais aussi, la capitale du mouridisme et deuxième ville sénégalaise : Touba.

    Si dans la capitale, à Dakar, on parle d’une délocalisation vers Diamniadio, de voies de contournement, de passerelles,d’autoroutes à péage, de bus rapides transit, les bouchons, embouteillages surtout aux heures de pointe montrent qu’avec la démographie galopante, la macrocéphalie dakaroise et l’exode rurale, on n’est pas encore sorti de la stagnation.Concrètement, on peut dire que Dakar est une ville débordée et désordonnée, où on réalise le plus difficile et omet le plus facile. On érige des ponts ou passerelles squelettiques périlleux surtout pour les personnes âgées au dessus des routes et suppriment les feux rouges. Ainsi, à Dakar on en arrive à être obligé d’être véhiculé car la circulation piétonne s’interdit progressivement.  Cela sans compter que même dans les quartiers périphériques on construit partout et ferme les voies de sortie d’où quand un étranger adulte sort pour une virée de trente minutes, il trouve les voies de sortie construites, se perd et au lieu des trente minutes prévues se sont trois heures de temps qui risquent de s’envoler. A certaines heures, sur beaucoup de centres cruciaux, le bus s’il arrive est bondé montrant une surpression d’installations, d’infrastructures, d’institutions, de services à fortes affluences humaines quotidiennes c’est le cas de la route de l’université qui fait aussi avec les grèves estudiantines bloquant la circulation.Pareillement, pour les deux voies et la piste de Mermoz allant à Sacré cœur où malgré la séparation des routes, l’absence de feux rouges font qu’on est obligé d’être véhiculé, vers liberté six idem, à l’entrée mariste les bus plaident l’impossibilité de respecter leur trajet, contournement obligé pour tous d’où la voie de contournement se trouve aussi débordée que la principale.  Voila une capitale ou personne n’est obligée de respecter le rendez à certaines heures.    

Quand à Thiès où le blocage est moins prégnant, on tend vers avec, notamment, une remarque faite par un ancien résident du centre ville appelé alors ’’escale-rue sans soleil’’, ce revenant après des années d’absence note : «une commercialisation même des habitats, un bras de fer où le commerce est souvent triomphant, le résidentiel de naguèreallié ou dosé avec quelques services publics surtout de base a cédé la place au tumulte de l’affairisme :«Hôtel, restau, entreprises privées, multiservices, salons, salles de sports…se partagent l’espace, maintenant. Aujourd’hui, Thiès est à la recherche de quartiers d’habitat résidentiels, même la promenade et la mairie sont constamment en location ou en sous location, de fait, on est dans un libéralisme conquérant, c’est la loi du plus offrant» constate médusé cet ex résident.  Au détour d’une ruelle, l’ex résident affiche une moue à la lèvre et déclare ,ici, était l’un des rares terrains sableux de proximité où dans les années 90, les gosses jouaient au foot ball, ils l’ont goudronné pour singer Dakar en résultera bientôt pour taper sur le ballon ‘’les gosses de bourgeois’’ vont devoir prendre un transport d’autant plus que le terrain environnant l’école Germaine le Goff où s’entrainaient des équipes de navétane comme ASCA et Malikairé est devenu la promenade qui a, maintenant, le vent en poupe est souvent louée ou affectée à des individus ou groupes. Du coté du cinéma amitié construit par les chinois, la bâtisse n’était pas si vieille on a érigé une banque. Thiès est comme Dakar c’est une grande ville poly centrée, à part escale ex rue sans soleil devenue,aujourd’hui, lieu de rendez du jet set thiéssois sis à proximité de la mairie, on note d’autres centralités vers le marché central, et à la sortie vers Dakar, à la gare routière principale.

A Diourbel, la capitale régionale a un rythme lent en termes de mutations et est moins représentative que la cité, capitale du mouridisme, Touba à la quelle elle sert de capitale régionale.  Une délocalisation effective a été amorcée pour la gare routière principale, avant au centre ville, maintenant, transformée en place commerçante. Les boulangeries et pâtisseries se multiplient de même que les multiservices et superettes pour désigner les moyennes surfaces commerçantes, des établissements d’enseignement privésprolifèrent, les motos Jakarta ont fait leur incursion de même que des bus de transport public dans une ville où y’avait même pas de cars rapides c’était les charrettes qui faisaient l’affaire et cohabitent aujourd’hui, avec les transports mécaniques, des routes et raccordements goudronnés ont fait leur apparition. On ne rencontre presque pas un agent de la circulation car sauf au marché central, la circulation n’est pas encore problématique si ce n’était le Magal de Touba (pèlerinage) avec la traversée de la ville de Diourbel. Car aujourd’hui, avec l’autoroute ILA TOUBA, y’a une déviation,on parle d’une nouvelle géographie. Avec une population très commerçante le bon emplacement est une casse tète. Dans le département de Diourbel, on ne peut pas parler présentement de poly centre, le centre urbain principal réunit le marché Noumbé Diop, ses excroissances allant vers la gouvernance, la mairie, l’alignement de moyennes surfaces, restau, multiservices….

A Touba, deuxième ville du pays par la population, notamment, sans parler des autres incarnations de la cité désignée comme la plus surprenante par les géographes au Sénégal, où la multiplication rapide de la population, l’extension et la densification urbaines sur une bourgade jusqu’à récemment communauté rurale, la prolifération de l’entreprenariat surtout informel avec sa trame étoffée de marchés généralistes et spécialisés…ont posé les justificatifs d’une désignation de la cité comme «un miracle posthume du grand guide» et un journaliste parlait alors d’un ilot de prospérité dans un désert de pauvreté. Ici, le centre est surtoutreligieux et commercial, mais la deuxième ville du pays avec environ 1,6 millions d’habitants comme on peut s’y attendre est elle aussi multi centrée. Cette pluralité de centres s’énonce, ici, avec des quartiers densément peuplés abritant de multiple et centralisateurs marchés généralistes ou spécialisés (Ocass, Gare bou Ndaw, oumoul Khoura, Dianatou, Darou khoudouss, Darou marnane…) et des mosquées à la bâtisse souvent considérable, C Gueye parlait de marabouts urbanisant avec des khalifes de quartiers. Même si, la grande planification avec des ruelles larges s’est faite sous le khalife général S Fallou qui avait chargé Gaindé Fatma de tracer, parcelliser Touba, lequel s’était acquitté de la tache malgré de nombreuses récriminations avance-t-on. Ceci a donné sur une cité assez aérée avec des voies de sortie larges dans tous les sens desservant le centre où est la grande mosquée, la résidence de C Ahmadou Bamba, la grande bibliothèque, l’ancien cimetière….Le site mouride.com parle d’un plan radio centrique où tout converge vers la grande mosquée.

L’Urbanisation de Touba fut assez singulière car quoique son statut ait persisté longtemps dans la ruralité (Communauté rurale), Touba était incontournable dans l’armature urbaine sénégalaise. Et Cheikh Gueye parlait de ville érigée par des ruraux et de marabouts urbanisant, car la gestion urbaine et la construction d’infrastructures de base depuis le début sont menées par les khalifes généraux ou de familles, qui marquent ainsi leur règne. L’urbanisation toubienne est aussi paradoxale en ce sens qu’on est sur le seul territoire sénégalais jouissant d’un statut d’exterritorialité. Touba est bâtie sur un titre foncier de 400ha (immatriculé sur le numéro 528 établit le 11 août 1930). Avec des lotissements anticipés surtout sous Serigne Saliou, Touba a connu une densification et extension urbaine fulgurante. Et c’est par une répétition au sens social, spatial, symbolique et sacré du modèle terreau des modèles, la descendance du cheikh, Darou Khoudouss que l’extension se précise: «Plusieurs phases d’extension spatiale ont contribué à la formation d’une agglomération centrée autour de la grande mosquée, élément structurant principal et regroupant des quartiers constitués de villages rejoints et intégrés et des quartiers nés ex nihilo suite à des lotissements». Aujourd’hui, Touba est multi centrée avec entre autres centres : le centre principal avec la grande mosquée, le centre du commerce qu’est le marché Ocass, l’axe du marché Gare bou ndaw, la corniche qui fait figure d’un point de transit, la nouvelle gare routière lieu de départ et d’entrée pour bus, taxis, tous les transports en commun…Concrètement, l’urbanisation toubienne s’est faite en deux étapes : simultanées au début, mais depuis deux décennies plutôt successives, que sont la concentration et l’extension. La simultanéité de la concentration et de l‘extension à Touba (en même temps les quartiers phares et centraux accueillaient de nouveaux venus, par anticipation de nouveaux quartiers érigés recevaient leur part de population). Donc, cette simultanéité se justifiait du fait d’une disponibilité en ces temps là de parcelles loties dans des quartiers anciens tels: Darou Khoudouss, Touba mosquée. Aussi l’esprit d’anticipation des khalifes aidant de nouvelles parcelles étaient loties avançant ainsi les frontières de la ville :«Le centre religieux de Touba (grande mosquée, cimetière, bibliothèque, etc.) se trouve dans un cercle de 2 Km de diamètre délimité par une rocade et qui englobe aussi les maisons de Cheikh A Bamba Mbacké et des principaux cheikhs mourides .Jusqu’en 1970, la ville ne comptait que 30.000 habitants. A la fin des années 70, la ville connaît un développement fulgurant. La ville se développe alors bien au-delà de la rocade : et devient une métropole économique de 250.000 personnes dans les années 90.» (Cheikh Guéye, 2002). Aujourd’hui cette densification est achevée et Touba revendique légitimement un dynamisme urbain à l’image des villes africaines «Après Dakar, la capitale du Sénégal, c’est à Touba où l’on rencontre les plus fortes densités de population (1500 hbts/km2).» (Senagrosol, 2007). Et la population actuelle tourne autour de 1,6 millions d’habitants.

      Cette densification tangible qui ne freine néanmoins pas les appétits fonciers dans le centre fait sérieusement envisager voire verser dans la construction en hauteur les experts du bâtiment, cas des centres commerciaux à Ocass, notamment,(Les directions régionales de l’urbanisme). Par la suite vue la saturation des quartiers anciens ou intra rocade et la spéculation née de la convoitise des parcelles proches, la ville saturée s’étire installant son lot d’immigrants ruraux dans les nouveaux quartiers, de la périphérie, les quartiers Teupe dalle ou les Xanthianes (mot wolof désignant implantations nouvelles souvent très modestes) : «Son extension spatiale est considérable : La superficie bâtie de la ville qui est passée de 575 ha à 3900 ha entre 1970 et 1990, dépasse depuis 1997 les 12 000 ha. Mais Touba a toujours eu toutes les terres dont elle a eu besoin pour son extension». (Senagrosol, 2007). Mais de plus en plus, la rareté du bon emplacement fait monter les enchères sur des espaces qui étaient gratuits (paternalisme du religieux d’alors). Cette attractivité de Touba est corroboréepar l’évolution du taux d’urbanisation des régions du Sénégal entre 1976_1988 montrant que la région de Diourbel abritant Touba était devant avec une croissance de plus de 12 °/° quand la région du cap vert était à plus de 0,4°/° et Thiès plus de 7,0 °/°» (Source, Sénégal, trajectoires d’un Etat…). Cependant, la fièvre de la construction en dur chez les ruraux immigrés étant : «A Touba, les ressources sont surtout investies dans l’immobilier…Presque 60% des migrants ont construit des maisons en dur .De manière générale la ville se caractérise par ces belles villas». (Senagrosol, 2007). Devant ce modèle, certains alertent quant à une frénésie du bâtiment allié à un peuplement rapide ne laissant aucune place à des espaces verts menant à des étranglements, des étouffements.

       En somme, l’étouffement urbain dakarois pourrait faire école mais invite dans nos planifications, aménagements urbains d’éviter la concentration des convoitises populaires, les massifications menant à des impasses, blocus. Cela en décentralisant, disséminant aussi les services et infrastructures dans la ville, induire ainsi des spécialisations fonctionnelles spatiales. Nos centres urbains surtout à fortes populations devraient aussi tendre à plus et mieux de spécialisation du fait des inondations, de la gestion des eaux usées, des coupures d’eaux, des conflits de logiques, mais aussi les feux rouges ne sont pas à abolir dans des centres urbains en course de vitesse.

Le résidentiel est aujourd’hui piétiné et Thiès est à la recherche d’un cadrage, d’une claire définition, délimitation entre le résidentiel, le publique et le privé.  A ce rythme, où on imite le mauvais postulat dakarois, on tend vers l’éloignement des services de base, l’obligation d’être véhiculé pour tout besoin, la deshumanisation du résidentiel, embouteillage et pollutions, une confrontation de logiques divergentes. Cela sans perdre de vue le clinquant ou maquillage  excessif avec des raccordements, ruelles entre maisons goudronnées d’où même le sable pour pratiquer le foot ball pour les enfants sera privatisé. Thiés aussi tient lieu de la grande ville où la décentralisation, déconcentration, desserrement s’impose pour contourner les bouchons dakarois. Mais aussi, c’est le lieu d’inviter nos urbanistes à avoir les pieds sur terre.

Diourbel est le moins encombré de notre échantillon de villes, mais où est constatable une surpression sur le marché central avec impossibilité de trouver une place pour beaucoup de commerçants d’où aux urbanistes de considérer l’afflux de clients (selon la densité, l’importance des quartiers) en ce sens où les zones à fortes émissions pourront abriter des places commerçantes ou marchés secondaires décongestionnant, desserrant l’étau sur le centre. Et à titre préventif, ici, aussi éviter la concentration des convoitises, lieux d’affluence dans nos aménagements.  

     Touba est une plateforme si on puisse dire, la cité religieuse est devenue multifonctionnelle assez subitement avec un grand intérêt touristique, une demande exceptionnelle en habitats; alors que l’informel, les  services, les marchés jouissant de l’exterritorialité, du peuplement et de l’émigration sont en expansion constante en atteste sa manie d’ériger des marchés. Et le religieux est à la base de la fondation de la cité d’où il est une offre, un rendez à respecter. Même si, ce tout cohabitant n’est pas chose aisée et invite à un management, un arbitrage ingénieux, rigoureux. Cela surtout en prenant bien en compte les exigences et besoins des diverses logiques qui s’y croisent : le religieux, l’habitat, l’économique, le touristique…pour savoir réguler la marche de Touba. Si le découpage mené de mains de maitre par S Gaindé Fatma est aujourd’hui encore plébiscité, la concentration-extension sans espaces verts et phagocytant les champs devant ravitailler, alimenter les masses dénote d’une course effrénée où le mobile n’a pas son carburant sur sa trajectoire, mais où la satisfaction de ce besoin s’éloigne de plus en plus. D’où Touba gagnerait à se reproduire à l’écart de Touba pour ne pas étouffer, implosertout en reboisant. D’autant plus que cela est aussi uneéchappatoire contre les embouteillages, bouchons…Mais aussi, les différentes logiques et acteurs face à face dans la cité devraient connaitre leurs frontières et définir les interférences féconds permanents ou temporaires qu’il y’a entre eux, sans oublier que le religieux était et est la raison d’être de la cité.Aux abords de la grande mosquée si on trouve un commerce d’articles souvenirs adéquats, le touriste est mal guidé, souvent dérangé dans sa visite. D’où des panneaux de signalisation, de présentation sont nécessaires, de même que les badauds et impertinentsqui squattent la grande mosquée et sapent le prestige et la logique du grand guide devraient être invités à aller raconter leurs balivernes loin de la mosquée érigée par la sueur des croyants et du tombeau vénéré. Cela même si, des édifices de prière vont avec la mendicité celle-ci doit revêtir les habits, les formes de la religion, en déclamant des poèmes du fondateur ou des sourates et en sachant se tenir comme y invite le fondateur des lieux : c’est à l’invité de se conformer aux vœux du fondateur et pas le contraire. Bref, l’aménagement africain en général, de même que nos urbanismes centraux doivent se référer au passé, à l’évolution des cités, en tirer des éléments permanents d’adaptation, de perfectionnement pour savoir esquiver l’imbroglio urbain africain.  

P B Moussa KANE, doctorant aménagement-développement, DEA sciences PO,  membre du groupe de recherche «les EDIFICATIONS» (UGB)

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