Certains coreligionnaires du Cheikh, qui étaient plus âgés que lui, l’avaient connu tout jeune et avaient décelé en lui les présages de l’excellence. Fait partie de ceux-là, le plus instruit de son époque en grammaire, en métrique et en philologie arabe, [connaissances] doublées d’une maîtrise du droit musulman et d’une fine imprégnation du soufisme qui lui faisait entrevoir à travers un voile transparent les réalités cachées. Je veux nommer Madiakhaté KALA, le cadi du Cayor et son professeur. La parenté le liait à notre Cheikh qui, de surcroît, respectait en lui la compagnie et la camaraderie qui l’avaient uni au cheikh père : la mère de Madiakhaté était la tante de ce dernier.
Madiakhaté faisait partie des célèbres critiques littéraires et ulémas accomplis. Notre Cheikh avait étudié auprès de lui. Depuis lors, Madiakhaté l’avait aimé et avait auguré en lui un intérêt pour les connaissances des Gens dont personne en ce territoire ne s’occupait plus, à cause du renoncement, du scrupule, de la dévotion qu’il avait constaté en lui et de la façon dont le Cheikh conduisait les hommes à leur Seigneur et s’écartait de tout ce qui était suspect et se méfiait des gouvernants iniques.
Le premier test que Madiakhaté fit subir au Cheikh consista, selon ce qui m’est parvenu, en une missive dont le contenu se réduisait à un seul vocable : « irkan » (penche vers…) à cause de la méfiance qu’il avait constaté chez le Cheikh à l’égard de gouvernants et son exhortation des gens à ne pas s’intéresser à leurs biens malgré la maigreur de ses avoirs due à son refus de recevoir un bien qu’il ne savait pas licite. Sa méfiance était même plus marquée vis-à-vis des biens en provenance des rois. Madiakhaté écrivit donc son mot sous l’instigation de la crainte pour le Cheikh et pour le sonder. Quand ce dernier reçut la missive, il comprit, grâce à des indices décelés chez son correspondant et chez d’autres, qu’on lui suggérait de se réconcilier avec le milieu mondain et d’échanger des visites avec ses animateurs, afin d’utiliser ses avantages licites pour les besoins du culte.
L’attitude de Madiakhaté était juste pour ceux qui pensaient comme lui, mais ne l’était pas aux yeux de ceux qui tenaient rigueur à leur propre conscience et surveillaient attentivement leurs rapports avec Dieu.
Notre Cheikh, jadis son élève dans certaines branches du savoir, lui écrit en guise de réponse :
1 « Penche vers les portes des sultans, m’ont-ils [ses émules] dit, afin d’obtenir des dons qui te suffiraient pour toujours.
2 « Dieu me suffit, ai-je répondu, et je me contente de Lui et rien ne me satisfait sauf la religion et la science.
3 « Je ne crains que mon Roi et n’espère qu’en Lui car Lui, le Majestueux, m’enrichit et me sauve.
4 « Comment mettrai-je mes affaires dans les mains de ceux qui sont aussi incapables de gérer leurs propres affaires que les pauvres ?
5 « Et comment la convoitise des richesses m’inciterait-elle à fréquenter ceux dont les maisons sont des jardins de Satan ?
6 « Si je suis attristé ou que j’éprouve un besoin, j’invoque le Propriétaire du Trône.
7 « Il est l’Assistant, le Détenteur de la Puissance Infinie Qui crée comme Il veut tout ce qu’Il veut.
8 « S’Il veut hâter une affaire, elle arrive rapidement ; s’Il veut l’ajourner, elle s’attarde un moment.
9 « Ô toi qui blâmes ! Ne va pas trop loin ! Cesse de me blâmer ! Car mon abandon des futilités de cette vie ne m’attriste point.
10 « Si mon seul défaut est ma renonciation à leurs [les sultans] biens, c’est là un précieux défaut qui ne me déshonore point ».
Quand Madiakhaté et ses pareils virent ces vers, ils réalisèrent sa forte détermination de s’engager dans la voie soufie, et comprirent que le Cheikh entendait par là révéler que ses préoccupations profondes se traduisaient dans sa conduite et qu’il n’espérait rien d’un ami et ne craignait rien d’un ennemi, comme il le déclara plus tard quand le monde s’est soumis à lui.
Ceux qui apprécient le Soufisme l’ont aimé éperdument. Les hypocrites l’ont craint, les infidèles l’ont évité et les Musulmans lui ont fait la paix. Ceux, doués d’une vue intérieure, ont établi des liens avec lui et n’ont cessé de profiter de lui. Les détenteurs de la science profane ont fait des recherches sur lui et ont découvert en lui des connaissances vastes et certaines, une maîtrise totale du savoir religieux, une parfaite équité, un profond scrupule, une action d’orientation et d’éducation, une persévérance dans la dévotion : qualités qui ne peuvent se réunir qu’en une personne douée d’une Force divine. Aussi l’ont-ils reconnu pour ce qu’il était.
Extrait Minanoul Bakhil Khadim
Khadimrassoul.net
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