Au Sénégal, l’opposition est divine et parée de toutes les auréoles de la gloire, du courage et de la vertu. La critiquer relève du mauvais goût et vous range parmi les chiens de garde du pouvoir, selon la formule des maîtres censeurs de l’époque. Tactique vieille comme le monde pour décourager toute analyse critique et contradictoire.
Sur un plan purement généalogique, cette sacralisation de l’opposition ne remonte guère loin. On peut la dater de 2000, et de la présidentielle où le Président sortant Abdou Diouf incarnait le mal, et son opposant historique, Abdoulaye Wade, le bien. Depuis lors, cette logique binaire s’est perpétuée et la presse, qui se rêve en quatrième pouvoir, a joué un rôle prépondérant dans cette perversion intellectuelle. Ce que Diouf a vécu, Wade l’a, à son tour, expérimenté, et l’actuel Président de la République, Macky Sall, le subit de plein fouet. La chose est d’autant plus grotesque que lorsque l’on quitte le pouvoir pour l’opposition, l’on acquiert une nouvelle virginité et une sorte d’élan de sympathie. Karim Wade, naguère symbole de toutes les tares (népotisme, dévolution monarchique, mal gouvernance…) en est l’exemple le plus patent, lui qu’on a érigé en martyr et en homme politique crédible et présidentiable, depuis ses déboires judiciaires. Très parcimonieux de ses sorties médiatiques, Karim Wade a au moins l’avantage de ne pas polluer le débat comme le fait à longueur de journée une certaine partie de l’opposition.
Guy Mollet disait que la France avait la Droite la plus bête au monde, parfois il est tentant d’appliquer sa boutade à l’opposition sénégalaise. Après avoir déclenché une vague de discours haineux et polarisé le débat sur une question aussi inutile et saugrenue que la criminalisation de l’homosexualité, après avoir émis l’idée de la création d’une monnaie dans une zone où sévit, depuis des décennies une rébellion, l’opposition sénégalaise a désormais des yeux de Chimène pour les militaires putchistes qui font la loi en Guinée et au Mali. Les réactions suscitées par les sanctions de la CEDEAO contre le Mali illustrent une fois encore que très peu d’opposants sénégalais ont l’étoffe de la fonction présidentielle. Ces gens ne sont même plus sensibles aux principes les plus élémentaires de la démocratie lorsqu’ils en arrivent à parrainer et à assurer le service après vente de militaires, venus au pouvoir par la force et qui répondent par le cynisme à toutes les injonctions de la communauté internationale pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel.
La place des militaires est dans les casernes, et non dans la gestion des affaires publiques. La junte au pouvoir au Mali, comme celle qui règne en Guinée d’ailleurs, doit s’engager clairement à assurer un transfert de pouvoir rapide aux civils. Les chefs d’Etat de la CEDEAO, qui ne sont certes pas, pour certains, des modèles de gouvernance démocratique, ont raison de se battre pour l’édification d’un calendrier de transition clair.
Ce combat pour les principes, l’opposition sénégalaise n’en a cure. Elle est trop occupée à vouloir mettre des bâtons dans les roues du Président de la République, Macky Sall. Son combat légitime contre le pouvoir, frise parfois l’hystérie haineuse. Alors que la problématique des grands enjeux diplomatiques dépasse largement la personne du chef de l’Etat.
Plus grave, la raison semble avoir déserté l’opposition. L’opposition sénégalaise a été phagocytée par les éléments les plus démagogiques et populistes de l’opinion publique. Elle ne tire plus sa sève des grands idéaux ou des penseurs qui ont façonné la vie intellectuelle et politique du Sénégal, mais de Jamra, du Frapp, et de ces nombreuses officines qui prônent le sectarisme et un nationalisme grégaire. L’opposition ne guide plus l’opinion, mais elle est tirée par elle. Le Sénégal mérite mieux de la part de personnes qui aspirent à le diriger.
Par Adama NDIAYE
17 janvier 2022