Le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane se préparant à répondre à une interview télévisée le 27 avril 2021, à Riyad. Bandar Algaloud/Courtesy of Saudi Royal Court/Handout via Reuters

Le prince héritier d’Arabie saoudite a déclaré mardi, dans une interview accordée à la chaîne saoudienne al-Arabiya, que le royaume « espère entretenir de bonnes relations » avec Téhéran.

Dans une interview de 90 minutes accordée mardi à la chaîne saoudienne al-Arabiya, à l’occasion du cinquième anniversaire du plan de développement du royaume Vision 2030, Mohammad ben Salmane (MBS) a affirmé que Riyad « travaille avec ses partenaires pour trouver des solutions au comportement négatif de l’Iran », tout en indiquant que ce dernier est un pays voisin avec lequel « l’Arabie saoudite espère entretenir de bonnes relations ». Des déclarations qui sonnent comme un message d’apaisement à l’adresse de Téhéran, et marquent une rupture notable, sur la forme du moins, avec ses précédentes interviews dans lesquelles le prince héritier saoudien accusait le régime iranien de déstabiliser la région.

Le ton modéré de MBS semble confirmer que le royaume serait prêt à entrer dans une ère de détente avec l’Iran, après que les deux rivaux régionaux ont tenu des pourparlers directs à Bagdad, le 9 avril dernier, dans le but de réduire les tensions. Il s’agissait d’une première depuis 2016. Si les responsables des deux pays n’ont pas confirmé la tenue de cette rencontre révélée par le Financial Times, une deuxième série de pourparlers irano-saoudiens en Irak devrait avoir lieu dans les semaines à venir. « MBS indique clairement une volonté de résoudre les problèmes avec l’Iran. Sa rhétorique est différente de l’ancienne, qui décrivait le leadership iranien comme idéologique et résolu à dominer le monde, et qualifiait de futile le fait de parler avec un tel régime », observe Kristin Diwan, chercheuse à l’Arab Gulf States Institute à Washington.

De son côté, Téhéran joue le jeu, au moins au niveau de la rhétorique là aussi. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Saeed Khatibzadeh a ainsi déclaré, il y a près d’une semaine, que l’Iran « a toujours accueilli favorablement le dialogue avec le royaume saoudien et le considère comme bénéfique pour les peuples des deux pays et pour la paix et la stabilité régionales ».

Les deux puissances avaient rompu leurs relations diplomatiques en janvier 2016 après l’attaque de l’ambassade saoudienne à Téhéran par des manifestants protestant contre l’exécution en Arabie saoudite d’un dignitaire chiite.

L’effet Biden

Pour expliquer cette évolution, plusieurs facteurs doivent être pris en compte. « L’Arabie saoudite n’a plus les moyens d’adopter une stratégie de confrontation avec l’Iran. Pour cela, le royaume a besoin de partenaires stratégiques et les États-Unis, sous l’administration Biden, ne souhaitent plus jouer ce rôle », poursuit Kristin Diwan. La montée en puissance de MBS, qui a fait de la lutte contre l’Iran le cœur de sa politique étrangère, a été notamment permise par la bienveillance dont il bénéficiait auprès de l’administration Trump. « À l’époque de Trump, il y avait cette politique maximaliste menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis dans le but de s’emparer d’un maximum de pouvoir et de leviers possibles en toute impunité », indique Dania Thafer, directrice exécutive de l’institut Gulf International Forum (GIF), basé à Washington. « Avec l’arrivée de la nouvelle administration Biden à Washington, à laquelle s’ajoute l’effet dévastateur du Covid-19, le Conseil de coopération du golfe (CCG) reconnaît que le temps de la confrontation larvée est révolu et que l’Arabie saoudite et les autres États du CCG sont disposés à œuvrer à la désescalade et à la négociation », poursuit la spécialiste. Dans le cadre d’un « recalibrage » de la politique américaine vis-à-vis de l’Arabie saoudite, l’administration Biden a notamment durci le ton au sujet des dérives internes et régionales du royaume.

Revoir ses ambitions à la baisse

Dans ce contexte, MBS est contraint de s’adapter à l’échec de son projet politique régional et de revoir ses ambitions à la baisse. Fer de lance de la guerre au Yémen, où Riyad est à la tête d’une coalition militaire contre les houthis soutenus par l’Iran, le dauphin comprend désormais que ce conflit est devenu son fardeau. Alors que les insurgés ne cessent d’avancer, depuis plusieurs jours, dans leur offensive pour tenter de s’emparer de la ville de Ma’rib, dernier bastion du pouvoir dans le nord du pays, l’Arabie saoudite doit également faire face à l’intensification des attaques de drones et de missiles menées par les rebelles yéménites contre le royaume et en particulier ses installations pétrolières. Fin mars, Riyad avait proposé un cessez-le-feu au Yémen. Il a été immédiatement rejeté par les rebelles houthis. « Aucun pays au monde n’accepte la présence de milices à ses frontières », a déclaré mardi MBS qui a réitéré son souhait de voir « les houthis participer à des négociations pour parvenir à des solutions qui garantissent les droits pour tous ». « Les houthis ont sans doute une relation étroite avec le régime iranien, ils sont cependant des Arabes, et il est inévitable qu’ils travaillent avec leurs frères arabes pour mettre fin au conflit », a poursuivi le prince héritier.

Ce dernier ne peut, en outre, que constater que Washington est décidé à ressusciter l’accord nucléaire avec l’Iran. Il tente également de se racheter une forme de virginité sur la scène internationale pour faire oublier le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul en octobre 2018. Et ce d’autant plus que fin février, l’administration Biden a rendu public le rapport des services de renseignements américains sur le meurtre du dissident saoudien pointant directement du doigt la responsabilité du prince héritier. Face à ces pressions, MBS a indiqué, mardi, que son pays était d’accord « à 90 % avec la politique du président Biden » avant d’indiquer qu’il espérait « la renforcer d’une manière ou d’une autre ».

Les récents rapprochements opérés par Riyad avec Doha et Ankara s’inscrivent dans cette même dynamique. Le royaume a levé, en janvier dernier, l’embargo imposé depuis 2017 par les pays du CCG – ainsi que l’Égypte – au Qatar, soutenu par la Turquie. Des négociations sont par ailleurs en cours pour un apaisement des relations avec Ankara.

Après avoir été le trublion de la région, le prince héritier semble vouloir endosser le costume de l’élément stabilisateur. Il s’agit là probablement du meilleur moyen pour lui de s’adapter à la nouvelle politique américaine, à l’aune de ses propres échecs et d’un contexte régional dans lequel tout le monde semble avoir intérêt à favoriser l’accalmie. Mais prôner une trêve ne veut pas nécessairement dire pour autant enterrer la hache de guerre.