Moustapha Sow est un financier sénégalais convaincu que l’Afrique doit être construite par les Africains, tout en reconnaissant la nécessité de contributions extérieures. Selon lui, faire des affaires en Afrique est difficile. « Je suis parfois obligé de mettre un blanc en avant pour avancer », confie-t-il. Il souligne les perceptions à changer : « Pour les mêmes services, ils sont prêts à payer trois fois plus à l’étranger.

Ne nous décourageons pas. Suivons l’œuvre de Mandela. Nous vivons un moment crucial. Le changement viendra. » La société SF Capital qu’il a fondée en 2017 se concentre initialement sur la banque d’investissement et de financement avec seulement 2 à 3 employés. Aujourd’hui, elle emploie une centaine de personnes et accompagne les institutions financières et les États. De sa création à ce jour, SF Capital a levé entre 1 et 1,5 milliard d’euros pour les institutions africaines, en collaborant avec des banques étrangères basées à Londres, spécialisées dans le financement du commerce. SF Capital fait partie d’un groupe incluant Microsen, une institution de microfinance aux ambitions panafricaines. Moustapha Sow revient ici sur les raisons du retrait des banques occidentales.

Quelles sont les raisons du départ des banques occidentales ?

Avant de répondre à cette question, je vous invite à revenir sur l’histoire. En observant la segmentation historique de l’Afrique en zones linguistiques, on constate que la présence des banques dépendait de l’origine des pays colonisateurs : Barclays et Standard Chartered dans les pays anglophones, Société Générale et BNP Paribas dans les pays francophones. Ces banques représentaient les intérêts, principalement des multinationales de leurs pays, qui dominaient les économies africaines. Or, la structure économique des pays africains a changé. Les conglomérats industriels et logistiques des pays du Nord ont été éclipsés par l’Afrique et à leur suite la présence des banques occidentales a perdu l’une de ses premières raisons d’être en Afrique. Les premiers grands retraits ont commencé avec Barclays en 2007, suivis de Standard Chartered, BNP Paribas et Société Générale pour ne citer que les plus significatifs. Mais je dois tout de suite dire que la banque d’investissement et de financement (CIB), la plus lucrative et la moins risquée, ne connaît d’altération. Tout au contraire du secteur bancaire de détail (retail banking), qui va à l’émergence des banques africaines, notamment sud-africaines, marocaines et nigérianes, ainsi que des banques régionales comme UBA, Coris Bank International et NSIA. Ces banques se montrent plus d’appétit pour le secteur commercial banking, conduisant les banques étrangères à perdre des parts de marché dans ce domaine. On assiste aussi à une redistribution des cartes sur le retail. Les banques étrangères maintiennent un point d’ancrage dans le segment souverain (États) et le financement des institutions. La part de retail banking ne justifie plus leur présence en Afrique. Aussi, elles ne quittent l’Afrique que physiquement en y restant sous d’autres formes. Par exemple, Dutch Bank est très active dans le retail en l’absence physique, utilisant des produits comme le rachat de crédit confirmé avec Lloyds, l’assurance export et les produits de la Banque Islamique de Développement pour éliminer les risques.

Ces banques étrangères quittent donc l’Afrique sans vraiment la quitter ?

En effet. Les banques fonctionnent sur trois piliers : les risques, les revenus et les coûts opérationnels. L’Afrique est perçue à tort et à raison comme un continent à risque. En matière de finance, la perception est plus importante que la réalité. Le portefeuille Afrique dans les bilans de ces banques est la partie la plus risquée. En termes de revenus, les banques n’ont pas besoin d’être physiquement présentes pour mener des opérations lucratives. Par exemple, Standard Chartered réalise plus de profits au Sénégal, qu’elle a quitté, que quand elle y était présente. Le schéma est le même pour toutes les banques internationales, même si les techniques et les effets varient.

Pour illustrer vos propos, nous pourrions rappeler le cas de Standard Chartered qui a cédé la partie retail en Côte d’Ivoire et conservé la partie CIB ?

Cela participe de la même logique. Le segment du retail banking est le fait des banques africaines.

Qu’est-ce qui vous inspire le retrait annoncé de Société Générale à un rythme soutenu à notre avis ?

Société Générale est une banque cotée en Bourse dont l’objectif est de faire des résultats. Si sa présence en Afrique n’est plus justifiée selon ses objectifs de rentabilité, de positionnement stratégique et de compliance, elle se retire pour rationaliser ses coûts et optimiser ses profits. L’objectif de tout investisseur est de faire des bénéfices au-delà de l’affectif. Une banque d’une dimension internationale ne se préoccupe que de ses actionnaires et des retours sur investissements, qu’ils soient publics ou privés. On assiste à une redistribution des cartes au niveau des banques commerciales et d’investissement. La part des revenus de l’État et des obligations est très significative. Mais il y a une évolution du secteur du retail.

La Citi est très présente sur le segment des eurobonds comme d’autres banques ?

Oui, c’est un segment lucratif mais qui ne justifie pas une présence physique. La Citi et d’autres interviennent dans l’intermédiation entre les institutions, les souverains et les grands comptes africains avec les investisseurs américains, britanniques et autres. En ce moment, l’on assiste à une reformulation du Corporate Investment Banking (CIB) où les banques sont très présentes sur les eurobonds et les dettes en général.

Quid du segment correspondant banking, toujours du domaine exclusif des banques étrangères ?

Les choses évoluent à ce niveau. En termes de correspondants, seules les banques de premier ordre ont des habitudes et connaissances des spécificités de leurs marchés. Les banques internationales gardent leur suprématie sur ce créneau. Le flux de correspondance avec les banques locales leur permet de maintenir leur influence sur ce segment et de leur faciliter l’accès à la finance internationale. Les banques africaines restent encore dans une phase de progression à ce niveau.

Votre analyse du secteur bancaire africain ?

Je dirais tout d’abord que la meilleure façon de créer des champions est de créer d’abord des champions financiers. Le Maroc l’a démontré avec ses conglomérats bancaires. On ne peut pas créer des champions sans banques fortes. Le secteur bancaire africain est en évolution. D’un pays à l’autre, la tendance diffère. Par exemple, les banques sud-africaines ont un appétit limité pour l’Afrique. Dans la middle Africa, des banques comme Ecobank Transnational Incorporated jouent un rôle prépondérant dans le changement de la nomenclature bancaire. Les modèles d’affaires diffèrent selon les régions d’Afrique. En Afrique de l’Ouest, des institutions comme NSIA, Coris Bank International ou Equity Bank, offrent une plus grande visibilité. Il y a une évolution des standards de gouvernance et une meilleure gestion des risques qui tendent à être de plus en plus rigoureux. Nous sommes encore au début des transformations, mais il y a une forte dynamique vers des systèmes bancaires plus intégrés et résilients. Nous devons continuer à travailler sur les infrastructures de base. Il y a de la marge de progression à ce niveau.

Source : Financialafrique