Imaginez un instant une ambulance remplie de malades agonisants et qui manquent de tout, notamment de gaz respiratoire. Des patients atteints de la COVID-19 ! A côté d’eux, des passagers chargés de les assister et des fonds collectés auprès de tous, d’ici et d’ailleurs, mis à leur disposition pour s’acquitter de la noble mission d’assistance de personnes en danger.

Imaginez un instant que parmi eux se trouvent des passagers clandestins à coté de vaillants médecins, infirmiers, assistants sociaux et autres personnels de santé respectables.
La théorie économique du Professeur Mancur Olson les définit comme des personnes qui bénéficient d’un avantage résultant d’un effort collectif, tout en y contribuant peu ou pas du tout. En principe, ils ne se déclarent pas, s’embarquent en cachette, « sans autorisation, ni titre de transport » (« burlé », « buruxlu », « bënn bunt », termes familiers pour désigner les resquilleurs de tout acabit).

La particularité de « nos » passagers clandestins est qu’ils occupent des fonctions officielles dans l’État mais, au lieu de gérer le bien public et le service public dans l’intérêt de tous, ils se mettent au service d’un groupe politique et d’affairistes pour tirer un profit personnel des deniers publics.
Il est donc facile d’admettre que ces passagers clandestins, en profitant des fonds Covid, ont tiré sur l’ambulance. Voilà l’image à laquelle renvoie la gestion des Fonds COVID-19 !

Imaginez alors les conséquences de cet acte ignoble et le sentiment suscité dans la communauté solidaire ayant consenti des sacrifices pour faire face à la pandémie.

Si le Sénégal ne mérite pas cette violence qui rend compte du côté bestial de l’humain, alors, le débarquement des passagers clandestins est logique et opportun, le remboursement jusqu’au dernier franc est une exigence morale et la sanction exemplaire, une demande sociale. Chacun doit y jouer sa partition.

Des dérogations inédites pour faciliter la tâche aux passagers clandestins

Seize jours seulement après l’enregistrement du premier cas de COVID-19, le Président de la République a pris le décret n° 2020-781 du 18 mars 2020 portant dérogation au Code des Marchés publics pour les dépenses relatives à la COVID-19. En résumé, cet acte dispense de toute concurrence entre les fournisseurs, de garanties d’exécution des marchés et d’application de pénalités de retard. La carte blanche est ainsi donnée aux passagers clandestins.

Ayant suivi de très près l’évolution de la pandémie et me trouvant bloqué à l’étranger du fait des mesures de fermeture des frontières, j’avais publié, le 21 mars 2020, une proposition de trente (33) mesures pour faire face à la situation naissante, suivie plus tard du programme de relance TUMBI-19. Parmi ces propositions, la mise en place d’un Fonds de 1000 milliards dont les conditions de mobilisation ont été détaillées, a été préconisée.
La veille des audiences avec les forces politiques de l’opposition et de la société civile, pour simuler une ouverture pour une gestion concertée de la pandémie, le Président de la République annonce, le 23 mars 2020, des mesures dont la mise en place du Fonds de 1000 milliards.

Après ce défilé ayant suscité beaucoup d’espoir, avant la mise en place du « Fonds FORCE COVD-19 » intervenue le 7 avril 2020, une autre dérogation est prise à travers le décret n° 2020-884 du 1er avril 2020, (ce n’était pas un poisson d’avril !). Le Président récidivait ainsi en accordant une dérogation bouleversante au Règlement général de la Comptabilité publique. Cet acte dispense du contrôle administratif et du visa préalables, de l’enregistrement des marchés et de la production de pièces justificatives dans l’exécution des marchés COVID.

Pourtant, la circulaire n° 25 MFB/DGB/DPB du 20 mai 2020 qui prévoyait la mise en place d’un comité interne composé du gestionnaire du Fonds et des services de la Direction générale du Budget pour vérifier, valider et certifier les pièces justificatives avant tout paiement d’une dépense, aurait pu corriger les effets néfastes des dérogations présidentielles. Ce Comité n’a jamais été mis en place. L’option du gouvernement a été de fermer les yeux et de transférer les ressources de compte de dépôt à compte de dépôt, laissant ainsi le soin aux structures bénéficiaires de vérifier les marchés qu’ils ont attribués, de procéder à la liquidation, de retirer les sommes d’argent et de procéder aux paiements.

On peut comprendre un assouplissement des contrôles pour réduire les délais et permettre d’effectuer à temps les dépenses pour sauver des vies. Cependant, on ne peut ni comprendre ni accepter la mise en place d’un dispositif pour « tuer » tout contrôle des conditions de réalisation des dépenses et pour couvrir d’impunité les passagers clandestins.