Au Sénégal, les médias d’État sont jugés trop proches du pouvoir, et ce, depuis l’avènement de Me Abdoulaye Wade, en 2000. Les nouvelles autorités étatiques vont-elles mettre un terme à la tutelle parfois caricaturale du pouvoir politique sur les médias publics ?
Nommé directeur général de la Rts en remplacement de Racine Talla, Pape Alé Niang prend fonction, ce vendredi, à 16 h. Cette nomination symbolique a marqué les esprits, même si le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko n’ont pas encore dévoilé de réformes majeures concernant les médias publics, en particulier à la télévision nationale.
Jusque-là responsable éditorial et principal artisan du site d’information Dakar Matin, ce journaliste engagé, vieux routier de la presse indépendante au Sénégal, s’est distingué au cours des dernières années par ses prises de position critiques à l’égard de la gouvernance de Macky Sall. Un parti pris qui lui a valu un séjour en prison assorti d’une grève de la faim.
Malgré ses états de service, d’aucuns voient dans cette nomination la perpétuation du monde ancien, à savoir la nomination à la tête de ce média d’État d’un éditorialiste engagé et favorable, cette fois, au nouveau pouvoir, note « Jeune Afrique ».
« Pape Alé Niang est très jaloux de son indépendance et je le vois mal procéder comme si rien n’avait changé, estime toutefois le journaliste et analyste politique Momar Diongue. Il est vrai qu’il a affiché des prises de position favorables à Pastef, mais il est un journaliste très libre et un homme de principes. Je le crois susceptible de contribuer à la mue, nécessaire, des médias publics ».
« Les Sénégalais n’accepteraient pas que Pape Alé Niang marche dans les pas de Racine Talla », veut croire Mamadou Thior du Cored. Prochainement, la Coordination des associations de presse (CAP, créée en 2017) devrait réserver au nouveau chef de l’État la primeur des conclusions des assises nationales des médias, qui se sont tenues en août 2023.
Jusqu’ici, déplore-t-il, « les responsables des médias publics traînaient encore les pieds pour accorder un espace aux voix discordantes ». « Mais les professionnels des médias publics aspirent à une rupture systémique et ne veulent plus se sentir corsetés par l’ingérence des responsables politiques dans le traitement de l’information », selon Mamadou Thior.
Adeptes de la « rupture » avec le système qu’ils ont combattu au temps où ils étaient le fer de lance de l’opposition, les patriotes devront donc montrer au plus vite qu’ils ne se sont pas contentés de substituer un nouveau carré de laudateurs à un autre au sommet des médias d’État.
Allégeance amplifiée par Wade
« Pendant sa présidence, Abdou Diouf avait laissé à la chaîne nationale une relative liberté de traitement, témoigne une journaliste qui y a officié pendant les règnes successifs d’Abdoulaye Wade puis de Macky Sall. Par contre, les socialistes faisaient en sorte que soit couvert – jusqu’à l’excès – le congrès de leur parti », écrit « JA ». Avec certaines exceptions significatives, relativise néanmoins notre interlocutrice : « Lors de la marche triomphale marquant le retour au Sénégal de l’opposant Abdoulaye Wade, quelques semaines avant sa première victoire à la Présidentielle, en février 2000, la RTS avait choisi de faire l’impasse sur cette ‘marche bleue’ demeurée historique. »
Paradoxalement, à en croire la même source, le lien d’allégeance au pouvoir s’est amplifié avec l’élection de ce dernier. « Une fois élu, Abdoulaye Wade a exigé que la RTS détache des journalistes au palais présidentiel où ils avaient leur bureau. Certains d’entre eux ont ensuite démissionné, d’autres ont été remerciés. Sous ses deux mandats consécutifs, les choses ont progressivement dégénéré ».
Toutefois, ajoute notre interlocutrice, « on pouvait encore couvrir l’actualité des partis de l’opposition et des mouvements de la société civile ». Une marge de manœuvre qui se serait considérablement amenuisée après l’élection de Macky Sall.
« Sous sa présidence, un militant politique appartenant au parti au pouvoir a pour la première fois été nommé à la tête de la RTS », rappelle à nos confrères un ancien journaliste de la chaîne publique.
« Racine Talla était ouvertement encarté à l’Alliance pour la République [APR], le parti présidentiel. En 2014 et en 2022, il a même été élu puis réélu maire de Wakhinane Nimzatt sous les couleurs de la coalition Bby », ajoute-t-il.
À partir de 2012, après un court passage à la tête de la cellule de communication de la présidence de la République, Racine Talla aura la haute main sur le groupe audiovisuel public pendant la quasi-totalité des deux mandats de Macky Sall.
Fin juillet 2022, alors que tombent les premiers résultats des dernières Législatives, Racine Talla ira jusqu’à téléphoner, en plein direct, aux journalistes de la chaîne qu’il dirige pour les recadrer à l’antenne, doctement et sans filtre. Au vu des résultats encore non définitifs, la poussée de l’opposition est telle que le scénario d’une cohabitation en défaveur du président Macky Sall plane un temps sur l’issue du scrutin – ce dont les journalistes, en plateau, se font l’écho. « Ce n’est pas le directeur général, mais plutôt le professionnel qui vous parle, les sermonne le directeur général. La cohabitation n’est pas du tout à l’ordre du jour et n’est même pas envisageable parce que c’est à minuit que Benno va proclamer ses résultats, assène-t-il. Je peux vous dire officiellement que Benno est largement majoritaire et qu’une cohabitation n’est pas du tout, du tout, à l’ordre du jour ».
Cet épisode donnera lieu aussitôt à un « communiqué de mise en garde » du Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias (Cored) dans lequel son président Mamadou Thior estime notamment que « Racine Talla a délibérément rompu l’équilibre dans le traitement de l’information en se faisant l’écho uniquement du son de cloche de la mouvance présidentielle ».
« Durant la même soirée, ajoute le Cored, la RTS – radio comme télévision – a retransmis en direct la conférence de presse de Benno Bokk Yaakaar. Mais le lendemain, elle n’a pas couvert la conférence de presse des leaders de l’opposition [Yewwi Askan Wi et Wallu Sénégal], en totale violation de l’article 63 du Code de la presse ».
Un « Soleil » (trop) prudent
Autre exemple caricatural parmi tant d’autres, durant la récente campagne présidentielle : la une du quotidien d’État « Le Soleil », au matin du 25 mars 2024. Tandis que la quasi-totalité de ses concurrents annonce la victoire par KO de Bassirou Diomaye Faye, le quotidien, dont le capital est majoritairement détenu par l’État, reste étonnamment prudent. « Un scrutin sans anicroches », titre-t-il, se contentant de relayer les « satisfecits » de la Cedeao et d’affirmer que « le directoire de Benno parle d’un probable second tour », rappelle « Jeune Afrique ».
Quatre mois plus tôt, le quotidien s’était montré encore plus hardi en faveur du candidat de la mouvance présidentielle. « Amadou Ba est à 3 782 000 parrains », titrait-il en une. Autrement dit, le dauphin de Macky Sall aurait recueilli, à quelques mois du scrutin, un nombre de parrainages citoyens en faveur de sa candidature largement supérieur à 50 % du nombre total des inscrits. Une information invérifiable et biaisée, manifestement destinée à préparer les esprits à une victoire au premier tour du camp présidentiel. On a vu la suite.
Il est vrai qu’au « Soleil » comme à la RTS, un « apparatchik » proche du palais est aux commandes. À la fois directeur général et directeur de la publication du quotidien depuis 2017, Yakham Mbaye avait occupé successivement, à partir de 2012, les fonctions de conseiller chargé de la communication à la présidence avant d’être nommé secrétaire d’État à la Communication.
Avant lui, d’autres directeurs avaient alimenté, eux aussi, le mélange des genres. « Sous Abdoulaye Wade, Mamadou Sèye, à la tête du ‘Soleil’ entre 2005 et 2009, était connu comme un militant affiché du Parti démocratique sénégalais (Pds) dans la région de Tambacounda, relate un journaliste du quotidien d’État. Et Cheikh Thiam, s’il n’était pas ouvertement un militant du parti au pouvoir, avait précédemment exercé la fonction de responsable de la communication dans un ministère ».
Selon notre source, l’arbre de la propagande politique ne doit pas pour autant cacher la forêt journalistique. « Au ‘Soleil’, nous ne subissons pas véritablement d’injonctions quant aux sujets à traiter ou à escamoter. La une et les éditoriaux du directeur général sont certes discutables, mais si l’on regarde la période allant des Législatives de juillet 2022 à la Présidentielle de mars 2024, nos articles ont été relativement neutres ».
À l’Agence de presse sénégalaise (APS), d’après plusieurs sources, la pression du camp au pouvoir est nettement moindre. « De manière générale, l’actualité politique du gouvernement et celle des partis de l’opposition ou des organisations de la société civile sont mises sur un pied d’égalité, sans qu’aucune ligne éditoriale directrice nous soit imposée, indique à ‘JA’ un journaliste qui y a officié sous Abdoulaye Wade puis sous Macky Sall. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas une volonté du régime en place d’exercer ponctuellement une influence sur ce que nous écrivons – quel pouvoir ne le chercherait pas ? –, mais notre statut d’agence de presse nous préserve sans doute de tentatives trop insistantes ».