Il fallait du courage pour instaurer l’état d’urgence et le couvre-feu. Dans un Sénégal où toute décision de restriction des libertés est suspecte, le pari était risqué. Fermer les mosquées et les églises, les écoles et les universités, les bureaux et les champs, les usines et les marchés, les hôtels et les restaurants, les loisirs et les villégiatures, les villes et les villages, les ports et les aéroports, les frontières et les corridors… Enfermer tout ce beau monde dans les maisons : immeubles, cases et terrasses.

Il fallait le faire ! L’Etat sénégalais n’avait pas le choix. Ici comme ailleurs, toute attitude de faiblesse était coupable. Car irresponsable. Mais il fallait aussi du courage pour lever toutes ces mesures. Entre le virus qui tue et la crise qui tue, la marge de manœuvre est étroite. Entre la peste et le choléra, ne surtout pas s’abstenir. Ne rien faire c’est déjà un crime. Le bon choix consiste plutôt à combattre les deux.

Le Sénégal a-t-il pour autant bien géré la pandémie de Covid-19 ?

Coronavirus, peste et choléra : même combat. Le Sénégal a-t-il pour autant bien géré la pandémie de Covid-19 ? Sauf à être imprudent, il est encore trop tôt pour répondre à la question. Le virus n’est pas mort. Nous apprenons à vivre avec. Donc, tout bilan ne pourrait être que provisoire, voire approximatif. Par mesure de prudence, disons qu’il y a des mesures que le président de la République a prises et qu’il devait prendre. Des mesures qu’il n’a pas prises et qu’il aurait dû prendre. Et même des mesures qu’il n’aurait pas dû prendre, aux yeux de l’opinion, mais qu’il a osé prendre ! Qui parmi les 16 millions que nous sommes n’avait pas désapprouvé sa décision d’autorité de ne pas rapatrier nos 13 étudiants de Wuhan ? Concédons-lui que nous étions très peu nombreux. Résultat : une mesure impopulaire au début, devenue populaire à l’arrivée.

L’instant de la décision est toujours un moment de solitude. « Ma décision est prise, je délibère. » Oser le dire et le faire avec l’accent Gaullien est la marque d’un Chef, d’un Homme d’Etat. Cela d’autant que les circonstances de la décision sont plus qu’incertaines. Il est des instants de délibération même au sommet d’un Etat, même bien informé, mais en réalité jamais assez, où le Chef ne suit que son instinct avec la conscience que tout loupé, dans un sens ou dans un autre, peut être lourd de conséquences. « Ëy buñu gerroon ! »

“Il fallait penser local et agir global simultanément”

Le monde entier s’était confiné. Le virus échappé ou lâché de la Chine, selon la thèse soutenue et retenue, exigeait de tous les dirigeants et de chaque dirigeant à se montrer à la hauteur de la charge. Dès lors, chaque pays, gouvernants et gouvernés confondus, avait le défi vital de bouter le virus hors de ses frontières avant que la planète ne le boute hors de toutes les frontières. Penser localement. Agir globalement. Sauf qu’avec la particularité du nouveau coronavirus, il fallait penser local et agir global simultanément !

Aujourd’hui, le monde se dé-confine quand bien même, par endroits, il se re-confine. A l’heure du bilan à mi-parcours, l’Europe se refuse encore à retenir les bonnes leçons de l’histoire. Eh bien, la voilà qui se barricade à nouveau ! Son idée saugrenue de fermer son espace dit Schengen à certains citoyens du monde et de ne l’ouvrir qu’à une poignée d’autres sélectionnés arbitrairement, est la preuve que le Vieux continent, vieux de par son propre âge et de celui de sa population, n’a rien compris ! L’Union Européenne a décidé d’inscrire le Sénégal sur sa liste rouge ou noire en n’admettant, pour l’Afrique, que quatre pays (Algérie, Maroc, Tunisie et Rwanda) sur la base du critère « de pays à situation épidémiologique similaire avec l’Europe ». Critère fallacieux et spécieux.

Mais nous ne tomberons dans le piège de la comparaison entre pays africains. Que représentent les statistiques du Sénégal avec ses 7 054 cas et 121 morts à côté de la France, de l’Italie et de l’Espagne ? L’Europe compte deux millions et demie de cas positifs alors que l’Afrique n’en dénombre que 419 000. 196 000 décès en Europe contre 10 000 en Afrique. Qui de l’Europe ou de l’Afrique doit se méfier de l’autre ? L’Union Européenne décide de se barricader et l’Union Africaine se tait et laisse chaque pays se débrouiller avec l’Europe. Fermez vos frontières ! Nous fermons les nôtres ! Punto finale !!!

(Mamadou Ibra Kane)