Exposons ici une partie du tapis déployé par les Mystiques, tapis orné de cercles et de broderies symbolisant leurs hâl (états de grâce) et leurs Maqâm (Stations ou étapes) ; nous l’exposons en vue d’en obtenir félicité et de familiariser le généreux lecteur [avec ce sujet], tout en espérant que Dieu (Ta’âlâ) nous inscrira dans le registre des Mystiques, nous joindra à leur groupe et nous mettra en leur compagnie. Seigneur, exauce cette prière de manière éternelle.
Disons ensuite que les gens instruits auprès des ulémas qui craignent Dieu vraiment et qui sont attachés à la crainte révérencielle, ces gens ont rapporté d’après ce qu’ils ont décelé dans les états des ulémas que les étapes de la certitude sont au nombre de neuf et que ces étapes découlent les différentes branches qui constituent les états de grâce de ceux qui craignent Dieu.
Les termes Maqâm et hâl indiquent eux-mêmes la différence existante entre eux. En effet, le hâl est appelé ainsi à cause de son instabilité et de sa variation, tandis que le Maqâm est appelé ainsi en raison de sa stabilité et de sa perpétuité. Pour la plupart des cheikhs, le hâl consiste en des grâces ne dépendant pas de l’action du serviteur. Pourtant le postulant initié à la mystique attend toujours la consolation de même que le Mystique élu par Dieu attend les effets de la Providence éternelle.
Le hâl exprime ce que le postulant reçoit subitement en fait de compréhension et de perception intérieure qui constituent un Don de Dieu, (Ta’âlâ), le Bienfaisant. Le réveil qui en résulte excite le désir du postulant de s’élever afin d’en recevoir davantage et d’en éprouver un plaisir durable. Suivant les efforts du postulant et leur Agrément par Dieu, le hâl ne cesse de hanter le postulant jusqu’à ce qu’il se fixe sur Lui et devienne ainsi un Maqâm. Ainsi les hâl sont-ils des grâces élevant le postulant vers les Maqâm. Celles-ci sont des acquisitions découlant de la foi et de l’observance du culte. En effet, les hâl sont les fruits de l’action, car agir c’est frapper à la porte et attendre la consolation et l’issue. Dieu (Ta’âlâ) dit : « Dieu dirige le coeur de celui qui croit en Lui » (64/11) et dit encore : « Si vous craignez Dieu, Il vous accorde la possibilité de distinguer le bien du mal » (8/29), et dit enfin : « Quant à celui qui craint Dieu, Dieu donnera une issue favorable à ses affaires »… (65/2). La crainte révérencielle est la conscience du cœur de la Grandeur de l’Objet de sa crainte. Une fois consolidée, cette conscience engendre dans l’âme la constante peur de Lui désobéir. De sorte que quand le Législateur [le Prophète] avertit [les hommes] des méfaits qui doivent être évités pour se mettre à l’abri de ce que l’on craint, le serviteur fidèle ne se laissera pas entraîner dans ces méfaits tant qu’il demeurera raisonnable ; il échappera à leur piège aussi longtemps qu’il se cramponnera à la Loi salvatrice.
Par ailleurs, comme le serviteur trouve bon ce qui convient à sa nature, le Législateur l’informe que la crainte révérencielle englobe tout ce qui lui est utile et qu’il doit, par conséquent, s’appliquer avidement à acquérir ce qui lui profite, comme il prend soin de fuir ce qui lui nuit. Ceci vous permet de savoir que la crainte précède la science, et de comprendre pourquoi Dieu (Ta’âlâ) place la crainte révérencielle avant la science quand Il dit : « Craignez Dieu, Dieu vous instruit » (2/282). Cette dernière phrase est indépendante. Car si elle était une principale liée à une conditionnelle, elle porterait un sukûn (1) comme établi dans la grammaire [arabe]. Vous voyez bien que le verbe « craignez » se trouvant dans la première phrase porte un sukûn. [Si la seconde y était liée, elle l’aurait porté] comme dans les deux versets précédents (8/29 et 65/2).
Ceci étant, il est indubitable que le sentiment de crainte est une sorte de connaissance. Cependant, de sa subtilité et de son indépendance de l’action du serviteur, on l’appelle : « bonne direction », « faire suivre le bon chemin » ou « jeter de la lumière dans le coeur », expressions qui sont presque identiques.
D’autre part, cette instruction que Dieu S’est chargé de donner à Ses serviteurs est celle qui, par l’intermédiaire du Prophète (‘alayhi-s-salâtu wa-salâm), nous permet de savoir comment nous éloigner de ce que nous craignons et parvenir à nos objectifs. Cette connaissance est la connaissance utile qui motive l’émulation des Généreux, grâce à laquelle ils s’élèvent pour se rapprocher du Roi Très-Savant. C’est grâce à elle également que, quoique chacun d’entre eux ait auprès de Lui une Station, les rangs des uns sont supérieurs à ceux des autres.
Sachez d’ailleurs que les différentes étapes que les postulants doivent franchir sont les suivantes : le repentir, l’abandon, la satisfaction ou la Complaisance réciproque de l’âme et de Dieu, et l’Amour privilégié. Certaines de ces étapes sont le fruit des autres.
Une fois que l’étape du repentir sincère est franchie, des états agréables apaisant le cœur, envahissent le repentant et l’incitent à les immobiliser. Quand ils sont immobilisés, des états supérieurs envahissent le repentant et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il parvienne à l’étape supérieure, à savoir l’Amour privilégié qui termine les étapes. Mais, même à ce stade, le serviteur continuera de recevoir des Grâces aussi longtemps qu’il œuvrera, grâce à la Providence de Dieu Qui veut ainsi lui multiplier sa Récompense, le favoriser et le rapprocher davantage de Lui-Même d’une façon qui convienne à Lui, (Ta’âlâ), le Transcendant. Ceci doit être accepté avec soumission ; on le sait mais on n’en parle pas avec détail : « Quoiqu’il se soit passé, je n’en parle point. Toi, penses-en du bien : ne m’interroges point ».
Pour parvenir réellement à l’étape du repentir, il faut lutter [contre ses défauts], scruter sa conscience, exercer sur soi un contrôle et une observation attentive, ce qui entraîne l’état de patience et celui de satisfaction et fait parvenir à leurs étapes. Celui qui ne peut affronter le malheur ne saurait persévérer dans une lutte. En effet, le jihad [lutte] dérive de juhd : la peine. Le vrai combattant est donc celui qui résiste à ce qui corrompt ses affaires et à celui qui le pervertit. Le plus proche des corrupteurs, c’est l’ennemi associé : la créature [des hommes]. Le plus cruel, le plus dangereux et le plus malin d’entre tous, celui qui connaît le mieux le mal, c’est Satan, le trompeur. Aussi faut-il que le postulant qui veut résister à ses ennemis, recueille toutes ses forces pour s’appliquer à la lutte et sacrifie ce qu’il a de plus cher et demeure attentif aussi bien à ce qui lui appartient qu’à ce qui lui incombe.
Cette lutte est d’ailleurs beaucoup plus dure et beaucoup plus fréquente que la lutte avec le sabre. Celui qui lutte avec le sabre finit soit par triompher, soit par périr. Dans l’un et l’autre cas, il aura le repos, soit dans les deux demeures, soit dans celle de la Récompense. Dieu (Ta’âlâ), le Bienfaisant dit : « Attendez-vous pour nous autre chose qu’une des deux meilleures choses » ? (2) Et le Prophète dit dans une tradition rapportée par les deux cheikhs (3) : « Pour celui qui quitte sa maison, motivé uniquement par sa foi en Ses Mots et son désir de se battre pour Sa Cause, Dieu S’est chargé de le faire entrer au Paradis ou de le ramener chez lui avec la récompense [divine] ou le butin ». Cette promesse n’est toutefois faite qu’à celui qui aurait triomphé dans le premier combat, car tout devient facile après ce combat. Réfléchis sur la réponse du Prophète à des Compagnons qui lui demandaient qui était le véritable combattant pour la Cause de Dieu et si c’était celui qui luttait pour défendre Son Honneur ou celui qui luttait pour d’autres motifs. « C’est, dit le Prophète, celui qui lutte pour le triomphe de l’Islam ».
La foi islamique peut-elle se consolider parfaitement chez un homme qui n’aurait pas combattu ses ennemis (4) jusqu’à les contraindre à embrasser l’Islam ou à payer une tribu avec humilité ? Peut-elle se consolider parfaitement si ce n’est chez celui qui soupçonne toujours son âme, la soumet à son Créateur, la maintient dans la Voie droite et combat les ennemis ? En réalité, ce sont de tels efforts qui font apparaître chez le serviteur les signes évidents considérés par le Livre et la Sunna comme le reflet des états de grâce authentiques. Grâce à ses efforts, le serviteur parviendra à colmater les brèches susceptibles d’être utilisées par ses ennemis…
En traitant avec les hommes, le postulant se conforme à l’ordre du Législateur, qui lui a demandé de les orienter vers ses objectifs et de ne pas se laisser entraîner vers les leurs. C’est ainsi que, tout en vivant avec eux, il ne leur reconnaît aucune influence dans l’obtention du bien et dans la protection contre le mal ; leurs éloges et leurs blâmes lui sont égaux. Mais il doit présumer du bienfaisant d’entre eux parce que sûr de la Promesse faite par Dieu aux bienfaisants, et se garder de porter de mauvaise opinion sur celui d’entre eux qui fait le mal, parce qu’incapable de connaître le sort [que Dieu lui réserve] et pour éviter de restreindre la Miséricorde divine (5). Car Dieu a dit : « Ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu » (39/53).
Le postulant doit s’efforcer de changer le comportement du mauvais dans la mesure du possible et conformément à la tradition qui dit : « Qu’il la transforme en une action louable, quiconque voit une action blâmable, etc. ». Il doit s’efforcer également de changer en ordonnant le bien et en défendant le mal conformément à ce que la Loi religieuse exige. Ainsi préservera-t-il les Musulmans de sa langue et de sa main et demeurera-t-il à l’abri des suites de ce qu’ils font… Dieu n’a confié leur surveillance à personne d’autre que Lui. Il a dit à ce propos : « En vérité, Dieu vous observe » (4/1).
Le postulant doit enfin s’éloigner des futilités et les abandonner totalement sans pour autant négliger la part qui lui revient des choses de cette vie, car elle est la monture qui amène à la Vie future. Ce qui permet de maintenir l’équilibre dans tout ce comportement, c’est la Loi religieuse. Cependant, nul n’est rassuré de se conformer à cette Loi sauf un [serviteur] scrupuleux qui se contrôle et qui fait subir à sa propre conscience un compte de ses moindres actions. Une tradition prophétique dit : « Le licite et l’illicite sont clairs. Mais il y a entre les deux des choses douteuses, etc. » (6).
Ceci vous assure que l’étape [du repentir] ne peut être parfaitement atteinte qu’avec la réunion de ces trois choses [le repentir, la patience et la satisfaction]. Le repentir est alors appelé la résipiscence al-inâba, le repentir sincère et parfait, dont les conditions sont les suivantes : l’abandon du péché, le regret de l’avoir commis et le retour à la bonne conduite. Il vous apparaît donc que cette étape ne peut être correctement atteinte que grâce à la parfaite pratique des trois sortes de patience, à savoir la persévérance dans l’exécutions des ordres, c’est-à-dire astreindre ses membres à cette exécution, faire subir à son âme un compte de toute négligence, le contrôle par le coeur de tous les sentiments qui le traversent et l’observation du temps afin qu’il ne soit pas gaspillé dans ce qui n’est pas intéressant, car le Soufi est le fils de son temps. Ceci [ces efforts] entraîne l’état de crainte, et si le postulant persévère, cet état se transforme en étape. C’est alors l’étape de crainte.
La fermeté dans le malheur (7) et dans les épreuves en attendant la consolation de la part du Vrai engendre l’état d’espérance, et si le postulant persévère dans son effort, cet état se transforme en étape d’espérance. L’abstention (8) de ce qui provoque le rabaissement, tel que tout ce qui dépasse le nécessaire en fait de nourritures délicieuses, de rapports sexuels, d’amour de la gloire, d’avidité dans la recherche des biens, de vanité, d’orgueil ainsi que tous les péchés gravent qui perturbent la marche [de l’homme] vers Dieu, cette abstention-là est le vrai zuhd (ascèse). De même le maintien de l’âme dans cet état, jusqu’à ce qu’elle s’y adapte, constitue en somme l’étape de la patience.
Ces différents états que connait le postulant pendant qu’il franchit ces obstacles internes (9) s’altèrent à lui à travers toutes les étapes, car celui qui manque de fermeté ne peut pas s’établir fermement dans une Station ou étape. Or, celui qui ne se maintient pas dans une étape, ne reçoit pas d’état puisque les étapes envahissent les gens parvenus aux Stations afin d’élever davantage leurs préoccupations.
D’autre part, les Stations Maqâm sont les lieux où l’on attend la consolation et l’on montre sa pauvreté et son humilité devant le Seigneur Puissant. Une fois solidement établi dans la Station de la patience, le postulant connaît un état de satisfaction qui ne le quittera pas jusqu’à ce que son âme soit apaisée. Et elle ne le sera qu’une fois satisfaite. À propos de l’âme satisfaite, Dieu dit : « Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur satisfaite et agréée » (89/27 et 28). Cette satisfaction, qui est le fruit du repentir sincère, de la résipiscence, finit par devenir une Station après avoir été un état. Celui qui est satisfait de sa servitude, c’est celui qui répond aux exigences de cette servitude en renforçant ses piliers : en utilisant les Bienfaits [de Dieu], dont le premier est la Création, puis la foi dans l’obéissance au Bienfaisant. Ceci constitue l’état de shukr (la reconnaissance) qui, maintenu fermement par le postulant, devient une Station. C’est une haute Station à propos de laquelle le Prophète (‘alayhi-s-salâtu wa-salâm) dit : « Ne dois-je pas être un serviteur reconnaissant » ?
Le serviteur ne saurait assumer correctement les charges du shukr qu’après avoir acquis une connaissance certaine du Bienfaisant et après s’être totalement consacré à Lui en se détournant de tout autre que Lui. Ceci constitue le zuhd (10) qui ne peut être réalisé que grâce à la véracité, à la dépendance à l’égard de Dieu et au rejet de tout autre que Lui, ce qui constitue le tawakkul (la dépendance envers Dieu). En vérité, nul ne goûte la douceur des avantages de la dévotion et ne se réjouit de la faveur du Bienfaisant qui inspire les bonnes habitudes, que celui qui a réellement atteint cette Station [le Tawakkul], qui entraîne le postulant dans un état d’amour et transforme sa crainte en sécurité, sa patience en reconnaissance et son renoncement zuhd en un anéantissement qui consiste à ne plus se rendre compte du tout de ce à quoi il a renoncé, car il ne voit plus que son Seigneur. Sa patience devient alors un remerciement à Dieu de ce qui a nécessité cette patience (11). Sa satisfaction lui procure une intimité avec Dieu (Ta’âlâ), son repentir devient appréhension et vénération du Seigneur Puissant, et sa dépendance entraîne son parfait raffermissement dans la plus haute Station. Grâce à son anéantissement en Dieu et sa subsistance en Lui, ses souffles deviennent des actes dévotionnels, et il devient digne de l’Amour privilégié de Dieu (Ta’âlâ), le Bienfaisant Qui s’occupe de lui aussi bien dans l’Ordre que dans la Défense, dans l’exécution de l’Ordre que dans l’abstention de ce qui est interdit. Dès lors, il saisit [les connaissances] avec l’Ordre du Vrai et Son Soutien, Lui Qui le fait faire. Il ne se reconnaît plus dans aucune de ses actes et n’y reconnaît plus les traces d’un autre que Dieu. Aussi loue-t-il Dieu d’une louange qui porte désormais sur l’Action du (Ta’âlâ) qui lui inspire à tout moment les louanges les plus dignes de Lui et devient son manger et son boire : sa subsistance, comme l’a expliqué le Prophète (‘alayhi-s-salâtu wa-salâm) qui dit dans un hadith : « Mon Seigneur me donne à boire et à manger ». En vérité, toutes les choses retournent à Dieu.
[Extrait de l’ouvrage « Les Bienfaits de l’Etérnel ou la biographie de Cheikh Ahmadou Bamba ». Par Cheikh Mouhammed al-Bachîr Mbacké]
Source : www.mouridiya.org
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