Trois entrepreneurs chinois ont été assassinés à Makeni, banlieue de Lusaka, capitale de la Zambie, au cours du week-end des 23 et 24 mai 2020, a rapporté la presse locale.
Les corps des trois Chinois assassinés en banlieue de Lusaka, dont une femme, auraient été traînés dans une usine textile qui a ensuite été incendiée, rapporte la BBC. La police a procédé à l’arrestation de trois personnes. Selon la presse locale, les trois entrepreneurs ont été tués par leurs employés, excédés par leurs conditions de travail très dures.
L’affaire intervient alors que depuis plusieurs années, l’importante présence chinoise provoque des mécontentements en Zambie. L’ambassade de Chine à Lusaka, citée par l’hebdomadaire chinois de langue anglaise Global Times, a demandé que des « mesures effectives » soient prises pour assurer la sécurité de ses ressortissants vivant dans le pays. Le journal note que plusieurs citoyens de l’Empire du Milieu y ont été tués au cours de ces dernières années.
Certains Chinois vivant en Zambie ont exprimé leur inquiétude pour leur propre sécurité, rapporte l’hebdomadaire. Une inquiétude également relayée par d’autres canaux plus ou moins officiels. Notamment le compte Twitter de Shen Shiwei, de la chaîne CGTN, présenté comme un analyste de politique étrangère.
Si l’on en croit des résidents chinois cités par le Global Times, « certains (Zambiens) n’auraient pas compris les mesures sanitaires prises par des entreprises chinoises » dans le cadre du coronavirus. L’un d’eux précise que certaines de ces entreprises ont imposé une « gestion fermée » (« closed-off management ») en interdisant à leurs employés de rentrer chez eux, « mais cela a été interprété par des habitants comme une restriction de leur liberté ».
La Chine s’estime « stigmatisée »
Toujours selon la même source, « des articles dans des médias occidentaux et locaux ont stigmatisé la Chine et ont des conséquences sur la manière dont les Africains voient la Chine et les Chinois ». Histoire d’enfoncer le clou, cette accusation est également portée par le responsable adjoint de l’Association des Chinois d’Outre-Mer, toujours dans le Global Times. Ceux qui pensaient que le « coronavirus serait originaire de Chine vivaient à l’écart des Chinois, ce qui a provoqué un conflit entre (ces derniers) et les Zambiens », a affirmé ce responsable. Une situation qui n’a pas échappé à Taïwan, où l’on note que cette affaire survient alors qu’on constate une « augmentation des tensions entre Lusaka et Pékin » (Taiwan News)…
Une situation tendue, c’est ce que montre le comportement, ces dernières semaines, du maire de la capitale zambienne, Miles Sampa. Celui-ci « a mené une opération visant à fermer des entreprises appartenant à des Chinois, notamment des salons de coiffure et des restaurants, après que des habitants se sont plaints de discrimination », rapporte la BBC.
L’élu est également intervenu dans une cimenterie, où une centaine d’ouvriers « ont été détenus en otage » pendant huit semaines, selon le site Lusaka Times. « Il leur est interdit de rentrer chez eux parce qu’ils peuvent transporter le coronavirus avec eux », a dit le maire. « Nous avons dit au responsable chinois (de la cimenterie) que cela était de l’esclavage », a-t-il expliqué, cité par le journal. « Les Zambiens noirs ne sont pas à l’origine du coronavirus. Celui-ci vient de Chine et il a été importé en Zambie via la France », a-t-il encore affirmé. Par la suite, l’élu, qui a reçu de nombreux soutiens sur les réseaux sociaux, a dû s’excuser en évoquant une « erreur de jugement ».
Les Chinois « se comportent comme les propriétaires du pays »
« Le pays est en colère (…). Les Chinois sont des étrangers ici, mais ils se comportent comme les propriétaires du pays », a commenté auprès de l’AFP Brebner Changala, une figure de la société civile zambienne. « Ceux qui travaillent pour les Chinois sont soumis à des conditions de travail insupportables. Ni les syndicats, ni le gouvernement censés les protéger ne le font. Ils doivent se défendre tous seuls », a-t-il déploré. Depuis quelques années, « le sentiment anti-chinois est de plus en plus perceptible en Zambie », notait déjà RFI en 2018.
Un tel sentiment trouve un relais dans les médias locaux. Egalement en 2018, le journaliste Kalima Nkonde observait dans le Lusaka Times « une colonisation subtile et informelle de l’économie » du pays de la part des Chinois. Avec pour objectif « l’accès aux matières premières, la recherche de marchés pour leurs produits, l’installation d’émigrants, ainsi qu’une stratégie à long terme pour établir un pouvoir et une influence géopolitiques ».
La spirale de la dette
Ces tensions inquiètent le pouvoir zambien. A la suite de l’assassinat des trois ressortissants chinois, le ministre des Affaires étrangères, Joseph Malanji, a tenté de rassurer les investisseurs en qualifiant le drame d’ »anarchie ». « La Zambie possède une économie libéralisée. Nous ne choisissons parmi ceux qui veulent faire des affaires ici, qu’ils soient blancs, noirs, petits, grands, que ce soit des hommes ou des femmes (…). Les étrangers ne devraient pas se sentir menacés par ce revers temporaire », a-t-il dit, selon des propos cités par le journal The Diggers !
Il faut dire que la Zambie est très dépendante de l’étranger. D’autant qu’avec la crise du coronavirus, elle pourrait se retrouver en faillite. En raison notamment de sa dette, qui s’élèverait à au moins 10 milliards de dollars pour un pays de 17 millions d’habitants. Celui-ci a notamment reçu de la Chine des « prêts généreux » (dixit RFI) pour la construction d’infrastructures.
Résultat, aujourd’hui, selon la firme de business risk EXX Africa citée par la chaîne américaine CNBC, les entreprises chinoises font pression sur les autorités zambiennes « pour éviter de nouveaux retards de paiement ou des défauts de paiement sur leurs prêts ». De plus, elles « refusent de restructurer les dettes existantes et recherchent plutôt de nouvelles garanties en cas de défaut ». Elles s’efforceraient ainsi de prendre le contrôle des importants actifs miniers zambiens. Dans le même temps, la Chine conserve également une participation très controversée dans la radio-télé publique, la ZNBC. La preuve que le soft power fait aussi partie de la stratégie de Pékin.