[Éditorial] Les Sénégalais veulent renouer avec leur douceur de vivre (par Adama Ndiaye)
Les Sénégalais votent (enfin) ce dimanche 24 mars après un processus électoral chaotique et entaché par des manœuvres politiciennes indignes d’une vraie démocratie. Mais cela semble désormais être de l’histoire ancienne. Le peuple en a fini de ressasser cette perte de temps inutile et ce gâchis tragique – quatre personnes sont décédées lors des manifestations contre le report. Désormais, il aspire profondément à en finir et à fermer la triste parenthèse de ces trois dernières années marquées par la division, la haine, et son corollaire de morts. Beaucoup de Sénégalais ont été particulièrement éprouvés par la crise du covid-19, les violences sociopolitiques et dernièrement l’incertitude quant à l’issue de ce processus électoral. Tourner la page, fermer ce chapitre, passer à autre chose, sont des expressions qui reviennent souvent alors qu’ils s’apprêtent à confier leurs destins à un cinquième Président de la République

Qu’ils souhaitent la rupture et le changement radical, ou plutôt la continuité,  ils semblent convaincus qu’après cette séquence électorale, le pays retrouvera sa vie normale. Qu’ils retrouveront leur douceur de vivre. Même Ousmane Sonko, l’un des protagonistes de ces épisodes douloureux, espère ce retour en arrière. “Le Sénégal doit renouer avec sa tradition de paix et de tolérance, a-t-il dit lors d’un meeting ce week-end à Bignona. Ce qui s’est passé lors des 12 dernières années, et plus particulièrement ces cinq dernières années, ce n’est pas ça le Sénégal. Il faut que l’on renoue avec le legs de nos ancêtres : amour, tolérance, fraternité. Que l’on respecte la diversité des opinions”.

On croirait entendre Talleyrand qui disait : « Qui n’a pas connu les années qui ont précédé la Révolution (française) ne sait pas ce qu’est que la douceur de vivre».

Depuis l’année 2021, marquée par la bacchanale violente du mois de mars, les Sénégalais ont eux-aussi quelque peu perdu leur douceur de vivre, pris en tenaille par la lutte sans merci entre Macky Sall et Ousmane Sonko. Les deux hommes ont désormais fumé le calumet de la paix, et pour reprendre une jolie formule de mes confrères de L’Observateur commentant la loi d’amnistie: “Il ne s’est rien passé !”.  Buvons donc l’eau du léthé, effaçons de nos mémoires mars 2021, juin 2023 et février 2024 et dansons au rythme de la réconciliation nationale, le nouveau refrain du tandem inattendu Sonko-Sall !

Toute ironie mise à part, les deux hommes ont bien saisi la lassitude de beaucoup de Sénégalais et l’urgence d’assainir le débat public, rendu toxique par leurs supporters respectifs. Toutefois force est de constater que  malgré les gestes de bonne volonté de part et d’autre et les discours iréniques, les haines demeurent encore tenaces, comme le montre cette campagne électorale marquée par les bagarres entre le camp de PASTEF et celui de Benno Bokk Yaakaar, et les échanges venimeux entre porte-voix des deux camps dans le dépotoir que sont devenus les réseaux sociaux.

En réalité, tous les drames nationaux de ces dernières années ne s’effaceront pas d’un coup de baguette magique. Les Sénégalais ne retrouveront la paix avec eux-mêmes qu’au prix de la vérité et de la justice.

Mais tout dépendra du futur Président de la République. Cet homme, on ne le dira pas assez, a une immense responsabilité et une tâche hors du commun. Il lui faudra beaucoup de hauteur, de tact, et de courage pour restaurer ce pays. Espérons donc qu’il saura habiter la fonction.