La décision du président sortant Macky Sall de reporter l’élection présidentielle n’est pas sans conséquence dans son entourage. Si certains continuent de justifier cette mesure, d’autres ont tout bonnement rompu avec leur camp. Ce qui augure un malaise profond.

En Conseil des ministres, ce 7 février, le chef de l’Etat a renouvelé sa confiance à Amadou Bâ, chef du gouvernement et candidat de la coalition présidentielle, Benno bokk yaakaar (Bby). « Vous restez le candidat de notre majorité présidentielle », a déclaré Macky Sall coupant court aux rumeurs qui faisaient état, depuis plusieurs jours, de brouilles entre ces deux personnalités politiques.

Mais ce rapprochement cache mal le clivage entre les pro et les anti-report de la présidentielle. « Personne n’y était préparé. Aucun d’entre nous ne peut dire qu’il était au courant de ce qu’allait dire le chef de l’État », confie à « Jeune Afrique » une source, qui admet toutefois que plusieurs signaux laissaient penser que l’élection pourrait ne pas avoir lieu : « À trois jours du démarrage de la campagne, aucun moyen financier ou logistique n’avait été fourni aux cadres de la majorité. En temps normal, nous les recevions au plus tard une semaine à l’avance. »
De quoi susciter des doutes, voire de l’inquiétude, au sein de l’exécutif. En effet, même si à la veille de l’annonce présidentielle, certains ministres, comme Doudou Ka (Économie) et Thérèse Faye Diouf (Développement communautaire) ont fait publiquement part de leur position favorable à un report. D’autres responsables de la majorité, dont le ministre de l’Éducation Cheikh Oumar Hann ou la directrice générale de l’Asepex, Zahra Iyane Thiam, ont quant à eux fait état de leur opposition.

Ces deux cadres de Bby font partie d’un groupe proche d’Amadou Ba. Selon les informations de Jeune Afrique, ils ont échangé avec d’autres responsables défavorables à un report, dont le frère de Macky Sall, Aliou Sall, son conseiller El Hadj Kassé, responsable de la communication pour la campagne du Premier ministre, et le ministre de l’Urbanisme Abdoulaye Seydou Sow.

« Ceux qui se manifesteront ouvertement pour soutenir un report de l’élection auront affaire à moi. Ils sont les premiers ennemis du président Macky Sall », avait déclaré l’ancien maire de Guédiawaye sur Dakaractu.
Nos confrères du magazine panafricain ajoutent que certains de ces responsables ont sollicité une audience avec le chef de l’État peu avant qu’il ne rende sa décision publique. Selon nos informations, ce dernier a refusé de les recevoir. « Il a tout verrouillé. Il était clair que sa décision était prise », regrette l’un d’entre eux.

L’autre fait qui confirme le malaise, ce sont les démissions en cascade dans la foulée de l’annonce du 3 février. C’est notamment le cas d’Awa Marie Coll Seck, qui a quitté ses fonctions de présidente du Comité national de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) et de ministre d’État « pour rester en adéquation avec ses convictions personnelles et ses valeurs », indiquant que « le Sénégal mérite de voir son calendrier républicain respecté, même si [le] processus électoral reste à parfaire. » Elle a depuis été remplacée par l’ancienne ministre de l’Économie Oulimata Sarr, débarquée lors du dernier remaniement gouvernemental.

Mais avant elle, le secrétaire-général adjoint du gouvernement Abdou Latif Coulibaly, qui a cheminé aux côtés de Macky Sall depuis 2012, avait déjà claqué la porte. Son frère, Cheikh Tidiane Coulibaly, est l’un des deux juges du Conseil constitutionnel mis en cause par l’Assemblée nationale.
Membre de la mouvance présidentielle
et proche de Macky Sall, dont il a été le ministre de la Culture, le chanteur Youssou N’Dour s’est lui aussi dit opposé au report de l’élection. « Nos rendez-vous démocratiques s’imposent à nous tous et le peuple souverain sera le dernier juge », a-t-il déclaré le 5 février. La députée Ndèye Fatou Guissé, élue sous la bannière du mouvement de ‘’Fekké macci boolé », fondé par Youssou Ndour, a d’ailleurs été la seule élue de la majorité à avoir voté contre la loi de report, entérinée à l’Assemblée nationale ce même 5 février.

Rébellion des partis de gauche

Du côté des alliés, l’on note également une « rébellion » chez des partis de gauche. En effet, les formations membres de la coalition présidentielle, regroupés au sein de la Confédération pour la démocratie et le socialisme (CDS), avaient exprimé dès le 2 février leur opposition à tout projet de report, selon eux « juridiquement impossible et politiquement inopportun ». L’un des signataires du communiqué, le député et secrétaire général de la Ligue démocratique, Nicolas Ndiaye, fait d’ailleurs partie des rares députés de la coalition présidentielle à avoir séché le vote, rappelle « JA ». Le journal écrit, en outre, que deux membres du gouvernement issus d’organisations de gauche ont également exprimé leur désaccord avec le projet. Il s’agit de Samba Sy, chef de file du Parti indépendant des travailleurs (PIT) et du ministre délégué en charge des droits humains, El Hadj Momar Samb, secrétaire-général du RTA-S (Rassemblement des travailleurs africains – Sénégal). « La ligne de démarcation entre l’aile gauche du parti et les libéraux est très claire, souligne un membre de la coalition présidentielle. En se rapprochant du Parti démocratique sénégalais, Macky Sall risque de perdre le soutien des partis de gauche. » Ces derniers restent néanmoins minoritaires au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar.

Le ministre du Travail et des Relations avec les institutions, Samba Sy, avait ainsi refusé d’être présent à l’Assemblée le 31 janvier lors du vote de la commission d’enquête parlementaire. S’il a fait le déplacement dans l’hémicycle le 5 février au moment de l’adoption de la loi, le ministre n’a pas prononcé un mot pendant les quelque douze heures de débat. « Beaucoup de gens qui défendent publiquement le report n’y sont en vérité pas favorables mais sont forcés de suivre les positions du chef de l’État », souligne un responsable de premier plan de la majorité.