Le sujet est très sérieux et l’heure est grave, sinon on aurait pu rire de ces scènes de jeunes Burkinabè et Nigériens, barrant de leur corps des convois de camions militaires français, partis de la Côte d’Ivoire pour apporter des renforts en moyens humains et logistiques à d’autres soldats basés à Gao, au Mali. Ces jeunes voulaient retenir les troupes pour qu’elles défendent leurs pays contre le péril islamiste que leurs armées nationales respectives n’arrivent plus à contenir. La France n’aurait pas assez défendu le Burkina Faso ou le Niger contre les hordes de terroristes islamistes, pestaient les manifestants. On allait dire que c’est l’allégorie du serpent qui se mord la queue car, que n’a-t-on pas entendu comme exigences, de jeunesses panafricaines et de leaders politiques, demandant le retrait des forces françaises et européennes du sol africain ? Même les populations maliennes, destinataires des troupes, ont eu à manifester bruyamment pour demander le départ de l’Armée française qui n’aurait pas assez combattu les jihadistes et qui passait à la limite, aux yeux de nombreux leaders, comme une armée d’occupation.
C’est au Mali, au Burkina Faso et au Niger que les critiques les plus virulentes contre la présence militaire française ont été émises, jusqu’à ce que des officiels de ces pays aient pu en arriver à épouser de telles idées et provoquent, du coup, l’ire des autorités françaises. Piqué au vif, le Président Macron avait réagi en interpellant ses pairs africains en leur demandant de se déterminer clairement par rapport à la poursuite de la présence militaire française dans ces pays. Mieux, la junte au pouvoir à Bamako a justifié son putsch par la nécessité de prendre en main le destin militaire du Mali. On a bien vu ce qu’il en est advenu. Les militaires maliens ont songé, au nom d’une certaine souveraineté nationale, à faire rétrocéder la sécurité de leur pays à la société Wagner, une entité d’une nouvelle internationale de mercenaires russes. La France avait menacé de plier bagage pour que le régime du Colonel Assimi Goïta ne finisse par se résoudre à mettre sous le boisseau son projet de faire appel aux Russes. Nous avions alerté dans ces colonnes que le Mali risquait de lâcher la proie pour l’ombre (voir : La solution Wagner ou le cynisme de la junte malienne. 4 octobre 2021). Pourtant, ils étaient nombreux à croire que la France était derrière le putsch des militaires maliens contre le Président Ibrahim Boubacar Keïta, jusqu’à ce qu’on découvre au grand jour, que ces putschistes agissent sous la dictée de Moscou qui les avait formés dans ses différentes académies militaires. Toutes ces situations semblent avoir produit un certain effet auprès de hérauts (héros ?) qui criaient à tue-tête, «France dégage !», et développent leur argumentaire dans un français exquis, pour ne pas dire des plus raffinés. Un tel slogan n’est presque plus entendu qu’au Sénégal.
Bien que vilipendée, la France va rester en Afrique
Mais le plus paradoxal dans tout cela est que quand les élites panafricanistes se trouvent confrontées à des tribulations dans leurs propres pays, du fait des régimes politiques qui violent les droits les plus élémentaires des populations, elles en appellent à une réaction ou une condamnation de telles dérives par la France notamment. Si la France décide de s’en laver les mains, elle est accusée d’être complice des régimes politiques et si elle s’y intéresse ou se prononce d’une façon ou d’une autre, elle passe pour faire de l’ingérence. Désormais, la France en devient naturellement bien frileuse pour s’engager davantage sur les questions africaines et on lui reprocherait cette posture. C’est ainsi qu’on lui reproche de détourner le regard du drame qui se joue à huis clos au Bénin, où le régime de Patrice Talon distribue, à tour de rôle, des condamnations scandaleusement fortes en peines de prison, aux opposants, notamment les anciens candidats à l’élection présidentielle. Les partisans de Reckya Madougou et Joël Aïvo appellent la France au secours. En Guinée, la classe politique supplie la France d’intervenir auprès du Colonel Doumbouya, afin d’abréger la transition militaire qui est partie pour durer le temps d’un mandat présidentiel. En Côte d’Ivoire, toute la classe politique a compté sur la France pour que la paix revienne dans le jeu politique. Au Sénégal, où des enseignes françaises ont même été attaquées en mars 2021 par des manifestants qui traduisaient un sentiment anti-français, la Société civile et de nombreux opposants attendent de la France qu’elle donne des signaux au Président Macky Sall pour le dissuader de briguer un éventuel autre mandat présidentiel en 2024.
Toutes les revendications sur l’autonomie monétaire, manifestées dans de nombreux pays membres de la zone franc, ont cédé la place à la panique, dès que la France a entrepris de se détacher de tous les instruments monétaires qui la liaient aux pays africains. En effet, quand le Président Macron a accédé à la demande de voir la France se détacher de la gestion du franc Cfa, les mêmes élites qui portaient la revendication ont crié, qu’en agissant de la sorte, la France sabotait le processus de gestation du projet de la monnaie «Eco».
Tout cela pour dire que, de façon consciente ou pas, les élites de nos pays ont encore besoin manifestement d’un «Tuteur». Mais puisque la France semble, de plus en plus, ne plus vouloir d’un tel rôle, conviendrait-il de songer à lui trouver un remplaçant ? Est-ce dans cette logique qu’il faudrait entendre les appels à la Russie ? En tout cas, l’expérience russe en Centrafrique devrait dissuader toute velléité de faire appel à Wagner sur le terrain africain. Comment lire la demande insistante de la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Me Aïssata Tall Sall, exprimée lors du dernier Forum Chine-Afrique à Dakar, invitant la Chine à une plus grande présence aux côtés des pays africains, notamment dans le domaine de la sécurité ? La partie chinoise a réservé un silence bruyant à une telle demande, avait-on pu observer. Il reste que ce n’est certainement pas vers la Chine, la Russie ou la Turquie que les élites politiques africaines se tournent pour espérer un soutien quand elles exigent, de leurs chefs d’Etat, plus de liberté, de respect des droits de l’Homme, de démocratie ou de respect des bonnes pratiques dans la gestion des affaires publiques. Même sur le plan économique, on a fini de mesurer combien la Chine, par une politique d’endettement sans scrupule, a réussi à aliéner à son propre profit, des secteurs essentiels de l’économie et de la souveraineté de pays comme le Kenya, la Tanzanie, la Zambie, l’Ethiopie ou Djibouti. Les méfaits de la Chine dans le secteur minier en République démocratique du Congo (Rdc), semblent rattraper en quelques années, tous les ravages de l’ancien colonisateur.
Pour autant, la France ne saurait être exempte de tout reproche. Bien au contraire, dans une chronique en date du 11 octobre 2021, nous mettions en avant : «Macron, les méthodes d’une France effrontée en Afrique.» En d’autres termes, la France a plus que jamais besoin de redéfinir ses relations avec ses anciennes colonies africaines. Elle y est condamnée et les pays africains aussi. Il apparaît que chacun d’entre nous a en lui une part de France. Le Président Léopold Sédar Senghor rétorquait à ses opposants comme Cheikh Anta Diop ou Abdoulaye Wade, qui lui reprochaient d’être «inféodé» à la France que «chacun a son Français et, à l’occasion, sa Française !». Dans son chef d’œuvre Les Misérables, Victor Hugo écrivait : «Ce dilemme, perte ou salut, aucune fatalité ne le pose plus inexorablement que l’amour.» A cette époque, de nombreux opposants africains percevaient des salaires que Moscou leur versait au nom d’une fraternité internationale des peuples ! Que reste-t-il de cette relation ?
En plus, les intérêts économiques et stratégiques vont obliger la France à devoir rester en Afrique. Elle aura pour ce faire à travailler à se rendre plus sympathique aux yeux des jeunesses africaines, d’autant que ses rivaux sur le terrain ne manquent pas de développer des campagnes d’influence pour saper son image en Afrique. Des pays comme la Russie, la Chine ou la Turquie ne font aucun cadeau à la France et leurs sirènes pourraient attirer les élites politiques et sociales africaines. Il ne saurait nullement être question d’un manichéisme quelconque, mais les pays africains auront à évaluer le niveau de sacrifice de tel ou tel pays pour la préservation de la sécurité des populations. A ce que l’on sache, tous les soldats étrangers tombés sur des théâtres de guerre contre les terroristes islamistes au Sahel sont européens ou plus particulièrement français. Ce prix ou tribut du sang est respectable tout autant que les liens culturels, sociaux, diplomatiques et historiques. On sait comment les populations ont réagi, en Centrafrique, face à la tentation du régime du Président Faustin Archange Touadéra de remplacer dans les écoles l’enseignement de la langue française par la langue russe.
* Par Madiambal DIAGNE