BISMILLAH, BARKE BOROOM TOUBA
Au début de l’épidémie du Corona virus au Sénégal, j’ai été très peiné, comme bon nombre de condisciples mourides, d’apprendre que le virus avait atteint la ville sainte de Touba. Cette peine était sans doute due à l’attachement et la considération particulière qu’on a pour cette cité bénie, capitale du mouridisme.
Avec un peu de recul, j’ai pensé que cet événement était un mal pour un bien car il aura permis de mettre en lumière aux yeux du monde, au du moins à qui souhaite bien le voir, la gestion sans commune mesure qui a été faite (et qui l’est toujours…) par l’autorité religieuse de la ville et la communauté dans sa globalité, pour éviter la propagation de la maladie. Cet événement aura permis également de voir de façon plus globale, l’organisation et le mode de fonctionnement de cette cité religieuse.
Retours sur quelques fondamentaux et éléments d’organisation qui font de la ville de Touba une exception, un modèle d’excellence en terme de gestion et de gouvernance :
UNE AUTORITE LEGITIME ET ACCEPTEE
Les « Fanatiques » ou les « Moutons » comme certains aiment bien appeler les Mourides sont connus pour se tenir de façon stricte aux recommandations de leur guide : Le Khalif. Sa parole est sacrée et ne peut faire l’objet d’aucune objection ou contestation. Son « Ndigeul » est écouté en toute circonstance, respecté et exécuté à la lettre. C’est ce qui explique l’obéissance et la discipline exemplaire de cette communauté.
La consigne du Khalif de revoir le format d’organisation des événements religieux de la communauté en cette période de pandémie et d’éviter les rassemblements et déplacements de foule, a été suivie à la lettre : Magal Kazu Rajab, Journée Serigne Souhaibou et Magal de Darou Mouhty célébrés dans l’intimité, Thiant Mame Cheikh Ibrahima Fall du 1er mai reporté, format des ndogous des Baye Fall en cours de révision…
Bien que disposant de l’autorité absolue sur toute la communauté, le Khalif adopte néanmoins une démarche consensuelle, impliquant qui de droit dans les prises de décision. La décision sur l’organisation des prières dans les mosquées en est la preuve. Il s’est concerté avec les divers savants en charge de la gestion des affaires religieuse, l’imam de la grande mosquée ou encore l’organe qui a en charge la gestion de la grande mosquée de Touba.
Ce consensus autour du Khalif et le respect de ses recommandations constituent la qualité première des mourides et qui fait qu’ils se distinguent de toute autre communauté. Cette union sacrée est d’autant plus nécessaire en période de gestion de crise comme celle que nous traversons où les gens ont besoin avant tout d’un guide qui leur montre la voie et qui les rassure.
DIEU AVANT TOUT
Touba a été fondé par Cheikh Ahmadou Bamba pour en faire une terre d’adoration, vouée exclusivement au culte du Tout Puissant. Cette volonté de culte permanent a animé le Sheikh durant toute sa vie terrestre. S’il se distingue de tous les autres c’est bien parce qu’il n’a jamais, ne serait-ce qu’une fraction de seconde voulu autre chose que son Seigneur. Il voyait son Seigneur en toute chose et s’en remettait en Lui en tout instant et en toute circonstance.
Cet héritage, du culte exclusif, de la recherche de l’agrément du Tout Puissant et de la confiance absolue en Lui est resté très ancré chez les mourides et dans la cité religieuse. Les nombreux événements religieux qui rythment la vie de la cité le prouvent. Au-delà de ces événements, les projets, décisions et l’organisation de l’activité économique et sociale en général, s’articulent autour de cet héritage.
La position du Khalif lors de la gestion de l’épidémie s’est totalement inscrite dans cette philosophie d’où sa déclaration : « Le virus ne décide pas sur tout » sous-entendant que tout est sous le commandement du Tout Puissant et que seule sa volonté s’exécute. Le Khalif appelle avant tout au respect des recommandations de Dieu, les mesures préventives étant aussi des prescriptions de l’islam. Sa décision de maintenir les prières du vendredi à la grande mosquée de Touba ainsi que les prières quotidiennes s’inscrit toujours dans cette logique. D’ailleurs sa déclaration rapportée lors de la communication sur la nouvelle organisation de la prière collective à Touba est sans équivoque : « Face à cette situation, je souhaite le salut à tout un chacun et le meilleur des saluts est l’accomplissement des obligations divines ».
C’est toujours dans cette logique de « retour » permanent vers le Seigneur que l’autorité de Touba a appelé à des séances de récital du coran, d’aumône et de prière pour implorer la miséricorde divine, replaçant d’avantage l’adoration au centre de toutes les initiatives pour faire face à la crise sanitaire.
La communication de sa dernière sortie était également axée sur un retour vers le Tout puissant, l’Unique, Celui qui est digne d’adoration et de louanges.
L’EXEMPLARITE DANS l’ACTION
Les mourides sont connus pour l’action, l’engagement au service de la communauté (au sens large) ou la « khidma » qui est le premier dogme de l’aspirant véridique. C’est le dogme même par excellence des Baye Fall, références en la matière.
Le mouride c’est donc celui qui montre la voie par l’action et non seulement par la parole. La parole et l’action vont de pair. L’action est d’autant plus importante quand elle désintéressée, inspirante et initiée par un leader, un guide. C’est ce qu’a montré le Khalif. Après avoir exhorté les disciples au respect des consignes de prévention et à la vigilance il a montré l’exemple en se lavant les mains avec du gel hydro-alcoolique avant l’accès à la prière du vendredi. Toujours dans une démarche de soutien à l’autorité publique dans la lutte contre la propagation de l’épidémie au niveau national, il apporte une contribution de 200 millions de Francs CFA et appelle toutes les bonnes volontés à faire de même. Son action sera suivie par d’autres personnalités et structures. Il mettra également à la disposition des structures sanitaires de la ville, divers moyens pour faire face à l’épidémie : un terrain pour ériger un hôpital militaire, un espace d’hébergement pour le personnel soignant, des denrées alimentaires pour les familles en quarantaine…
Lors de sa dernière sortie, il appela tous les disciples et musulmans en général à faire d’avantage preuve de solidarité en ces moments difficiles, envers les plus démunis et les plus touchés par les mesures de restrictions prises par les autorités.
LA VOIE DU JUSTE MILIEU
Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, la doctrine mouride n’est pas en opposition avec l’autorité administrative et républicaine. Cette pensée erronée tire peut être son origine du rapport « tendu » entre le Cheikh et l’autorité coloniale de l’époque. Il faut rappeler que même dans cette relation tendue, limite conflictuelle de l’époque, le Cheikh n’hésitait à aider l’autorité administrative à chaque fois que cela était nécessaire : aide financière à pour la relance de l’économie coloniale, envoi de soldats lors de la première guerre mondiale, financement d’une école française ou encore d’une infirmerie à Diourbel… Ses différents khalifs l’ont tout aussi bien démontré à travers des actions citoyennes fortes et symboliques envers les administrations de leurs époques.
Le mouridisme s’inscrit donc parfaitement dans une logique républicaine. Il est du devoir même de l’aspirant de placer l’intérêt collectif et le respect des règles de vie commune (tant qu’elles ne sont pas aux antipodes du dogme religieux) au centre de sa démarche religieuse et citoyenne.
Dans ce contexte de crise sanitaire, le dilemme était de savoir comment se conformer aux directives de l’autorité publique (interdiction des regroupements et prières en groupe, fermeture des mosquées, limitation des déplacements…) tout en maintenant les actes cultuels obligatoires dans ces moments où les croyants ont d’avantage besoin de se rapprocher de leur Seigneur, d’implorer son pardon et sa miséricorde.
Dilemme sur lequel l’autorité de Touba a apporté une réponse qui constitue pour moi une leçon de haute portée à toute personne s’intéressant ne serait-ce qu’un peu aux affaires religieuses.
D’abord concernant l’organisation de la prière du vendredi à la grande mosquée de Touba, il préconise qu’un groupe restreint d’au moins 12 personnes plus l’imam assure la prière (ce qui correspond au minimum requis pour la prière du vendredi selon le rite malikite). De ce fait l’obligation cultuelle collective (Fardu Kifaya) sera accomplie, au nom de toute la communauté, par ce groupe restreint, ce qui en décharge les autres. Pour les autres prières de la journée, il préconise aussi qu’un groupe restreint pouvant être ceux qui s’occupent habituellement de la gestion de la mosquée l’assure, tout en respectant la distanciation sociale requise par les autorités sanitaires. Le rapprochement des fidèles dans les rangs n’étant pas une obligation (Farata) mais une tradition (Sunnah) à laquelle on peut déroger en cas de nécessité.
Ses appels à la célébration dans l’intimité pour les événements impactés et cités plus haut constituent aussi un rappel sur l’essentiel : la foi intérieure et la sincérité dans l’intention car « les actes ne comptent que par leur intention ».
Avec ces différentes mesures, le Khalif a pu ainsi donner une multitude d’enseignements qui, à mon avis, devraient attirer d’avantage notre attention et nous servir de leçon. Au-delà de cette situation spécifique, il nous a surtout rappelé un des fondamentaux de l’enseignement islamique à savoir toujours trouver le juste équilibre entre le spirituel et le temporel, l’exotérique (Charia) et le mystique (Haqiqa) ou encore l’apparent ou la forme (Zahir) et le caché, le fond (Baatin).
TOUBA CA KANAME : LA SOCIETE CIVILE PAR EXCELLENCE
Les mourides sont aussi connus pour leur esprit d’entreprendre et leur capacité d’autofinancement de leurs projets, leur garantissant ainsi une totale autonomie dans leur fonctionnement. Cet autofinancement qui se fait souvent sous forme de « Hadiya » ou aumône légale, fait partie des fondamentaux de la voie et constitue même un des piliers de l’aspirant véridique (Khidma – Khoubb – Hadiya). Le Hadiya n’étant rien d’autre que le bien qu’on dépense dans le sentier d’Allah en vue de l’obtention de son agrément. Il vient en complément du travail, du don de soi, de l’engagement personnel (Khidma, expliqué plus haut). L’association de ces deux constitue le moteur de développement de la communauté. L’exemple qui illustre parfaitement cela c’est « Touba Ca Kanam », une association qui fonctionne intégralement sur du bénévolat et l’autofinancement. Elle a pour ambition de mobiliser chaque année des centaines de millions, voire des milliards de Francs CFA pour financer des projets de développement de la ville de Touba.
Ainsi depuis quelques années, elle œuvre dans divers projets de développement à fort impact social comme la construction d’hôpitaux, l’achat d’ambulances et de véhicule d’incendie, l’acquisition et l’installation d’éclairage publique, l’achat de véhicules de collecte d’ordures, la création et l’entretien d’espaces verts…
En réponse de l’appel formulé par le khalif, Touba Ca Kanam a été parmi les premiers à s’investir dans la lutte contre la propagation de Corona virus en apportant une contribution de 45 millions de nos francs pour la mise en place d’un plan d’action intelligent, en collaboration avec les autorités locales. Ils ont pu ainsi doter les structures sanitaires, les agents de la santé, les forces de l’ordre, les Daara, les mosquées et les lieux à grande affluence de produits antiseptiques (Gel nettoyant, eau de javel, gel hydroalcoolique…) et mettre à la disposition des agents de la santé de Touba leurs ambulances et leurs postes de santé. Toujours en collaboration avec le Service national d’hygiène de la ville, ils ont également doté les agents de cette structure d’équipements et de produits de désinfection et même de carburant (3.000 litres) pour faciliter leurs déplacements.
En parallèle de ces actions, ils ont activement participé à la sensibilisation de la population avec une unité mobile de diffusion de spots et de messages de sensibilisation, déployée dans divers endroits de la ville. Toutes ces actions menées par l’association ont participé activement à freiner la propagation du virus.
A l’heure où on nous parle de socialisation et d’impact socio-environnemental des organisations civiles, Touba Ca Kanam constitue pour moi l’exemple parfait et un modèle d’organisation civile à fort impact social pour les autres structures du pays.
«Toutes ces initiatives éclairées et éminemment responsables de l’autorité suprême des mourides, soutenues par les dynamiques communautaires, ont sans nul doute contribué au recul de la pandémie actuellement constaté dans la zone de Touba que beaucoup considéraient comme principal « foyer local » du Corona virus au Sénégal, allant même jusqu’à demander sa mise en quarantaine». Aujourd’hui Touba a une fois de plus montré la voie avec un modèle de prise en charge communautaire de cette crise sanitaire et des problématiques associées. Ce modèle mérite à mon sens d’être mieux appréhendé pour inspirer d’autres initiatives sur le plan national.
M. DIEYE
DIEUREUDIEUF BOROOM TOUBA