Il y a 135 ans que Serigne Touba était convoqué devant le Conseil Privé. C’est pendant cette séance du 05 septembre 1895 que ce Conseil décida de le déporter au Gabon. Cette décision fut la page fondatrice d’une longue vie tumultueuse de Serigne Touba. De 1895 à 1927, il a vécu entre déportations et résidences surveillées. 33 ans de » captivité » et dont l’objectif des colons étaient de le liquider à l’image de tant d’autres. Malgré leur puissance, leur capacité de mobilisation, leurs moyens colossaux, ils n’ont pas triomphé sur Serigne Touba. Malgré les épreuves allant du durcissement, du bannissement à l’éloignement, Serigne Touba est resté debout tenant courageusement le drapeau de l’Islam. Il n’a jamais baissé la garde. Il n’a jamais négocié Dieu et Son Prophète. Tout au long de ce parcours, il est resté la même personne avec les mêmes convictions.
A l’heure de la commémoration du 135 ième anniversaire de cette séance du Conseil Privé du 05 septembre 1895, il me semble important de dépasser le simple émotionnel, pour nous interroger sur le sens du « procès » du 05 septembre 1895. Le nom de Serigne Touba est apparu pour la première fois en mars 1889 dans une correspondance officielle, lorsque le Département des Affaires Politiques écrit à l’Administrateur de Kajoor son inquiétude au sujet des rumeurs sur le « marabout appelé Amadou Bamba » installé entre Baol et Kajoor et qui ralliait de nombreux adeptes. L’on demanda à l’administrateur Angot de procéder à une enquête très discrète. En avril 1889, il rapporte « Au cours de ma mission, j’ai réalisé des enquêtes dans différents endroits sur les activités du marabout. Partout…j’ai entendu du grand bien à son sujet. Il s’agit d’un homme pieux et tranquille dont la seule faute est qu’il s’occupe d’un grand nombre de « moins que rien » dont il fait des élèves marabouts et si ces gens ne sont pas étroitement surveillés, ils causeront progressivement des difficultés ».
En juillet 1895, Leclerc, administrateur du cercle de Saint-Louis, dit que Serigne Touba avait tenu une réunion devant 700 hommes, dont de nombreux anciens partisans de Lat Dior. Lisons ensemble ce qu’il rapporte « Je ne connais pas les mots exacts de son discours, mais il est certain, pour quiconque connaît la prudence d’Amadou Bamba, qu’il n’avait pas dit de choses répréhensibles. Mais il n’en a pas moins certain que dans la soirée, alors que le marabout parlait dans sa hutte…ses talibés circulaient de groupe en groupe, donnant des instructions pour un soulèvement plus tard dans l’année ».
Le mois suivant de la même année, le même Leclerc avertit « Tous les anciens partisans du Damel, tous les tiédos qui vivent uniquement par la guerre et le pillage et que l’actuelle administration a réduit à la misère, se sont regroupés autour du mahdi marabout, le destructeur de l’homme blanc… ». « Arrêté » le 10 aout 1895, son procès ouvert le 05 septembre 1895, sans preuves avérées, le Conseil Privé décida de déporter Serigne Touba au Gabon pour une durée de 7 ans. Serigne Touba fut déporté sur la base de rumeurs et la plus mobilisée est celle liée à la lutte armée.
Regardons ce que le Conseil dit « D’ailleurs, depuis qu’Amadou Bamba nous est connu il n’a pas eu d’autre façon de procéder que les MABA, les AMEDOU CHEIKHOU, les MAHMADOU LAMINE et les SAMBA DIAMA, et l’on est frappé par la similitude qui existe entre les protestations d’amitié qu’il nous fait en 1889… »
Le 05 septembre 1895, lors de la séance du Conseil Privé qui se termina notamment par la déportation de Serigne Touba, la rumeur a eu des échos. Parmi les accusations contre Serigne Touba aussi nombreuses que disparates, aucun élément objectif sur le projet de lutte armée, que des rumeurs. Lors de ce débat, y a même pas eu débat car Serigne Touba fut presque privé de parole. l’Autorité Coloniale évoqua la menace d’une lutte armée, la collusion des tiédos avec Serigne Touba. De quoi se réfère-t-elle ? Une lettre écrite par Mame Abdou Lô avec le sceau de Samba Laobé Penda !
M. Moustapha Diop