« Bien que profondément attaché à la science et à la quête de la vérité, Cheikh Ahmadou Bamba ne manquait pas toutefois de critiquer la propension bien connue de nombre de théologiens et de savants musulmans à s’engager dans des polémiques sémantiques ou ontologiques. Controverses souvent oiseuses ou de nature tellement hermétique que l’exercice exclusif de la raison ne pourrait, à son avis, jamais les résoudre et qui, dans l’histoire de l’Islam, ont souvent plus divisé les croyants sur des détails métaphysiques qu’affermis réellement.
Pour le Cheikh, comme pour d’autres grands maîtres soufis, certaines Réalités Divines ne sont accessibles qu’à une élite restreinte que le Seigneur a jugé suffisamment méritante pour en être la dépositaire, mais nullement pour des sujets n’ayant pas atteint un degré de perfection et de connaissance gnostique (Ma’rifa) convenable. Comme le démontre le récit portant sur l’Accompagnement divin (al-Ma’iya) que rapporte Cheikh Muhammad al-Amîn Diop Dagana dans son ouvrage biographique » Irwâ’u Nadîm » (L’Abreuvement du Commensal).
Cette controverse très violente, opposant deux savants maures (Ahmad Ibn Kûr al-Daymânî et Abû Bakr Fatâ), portait sur la manière dont le SEIGNEUR « accompagnait » les créatures (conformément aux versets où Il affirmait « DIEU est avec » les serviteurs patients, les reconnaissants etc.). Elle eut lieu lors du second exil en Mauritanie (1903-1907) du Cheikh, qui intervint dans le débat pour ramener à l’ordre les deux protagonistes qui en étaient même arrivés à dénigrer ouvertement leurs références respectives que sont Cheikh Ahmad Tijânî (fondateur de la Tarîqa Tijaniya) et Cheikh al-Sanûsî (fondateur de la Tarîqa Sanûsiya).
Voici les différentes correspondances du Cheikh Ahmadou Bamba relatives à la controverse sur l’Accompagnement divin, telles que reproduites dans « Irwâ’u Nadîm » :
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« Au Nom d’ALLÂH, le Clément et Miséricordieux.
Ô SEIGNEUR ! Accorde la Paix et le Salut à notre Seigneur Muhammad, qui a ouvert ce qui était clos, clôturé ce qui avait précédé (la Prophétie), fait triompher la vérité par elle-même et guidé les hommes sur la Voie droite. Répands sur lui et sur les Siens une bénédiction et une paix qui soient à la mesure de sa grandeur.
Et fais cela de sorte à permettre à tout lecteur de ces lignes de comprendre que :
– ALLÂH (Ta’âlâ) nous tient une Compagnie qui convient à Sa Transcendance et qui dépasse l’entendement humain ;
– Que (ALLÂH) Ta’âlâ Se Tient près de nous d’une manière qui convient à Sa Nature et qui dépasse l’entendement humain ;
– Que Sa Science, comme Ses autres Attributs, sont éternels ; que Son Essence et Ses Attributs sont éternellement liés ;
– Que les propos du Cheikh Sanûsî et ceux qui sont de son avis concernant l’Accompagnement sont exacts. En effet ils ont tenu au commun des croyants le langage qu’ils comprennent car ces derniers encourent certainement de grands risques en entrant dans des controverses qui dépassent leur compétence ;
– Et que les propos de Cheikh Ahmad Tijâni (Radiya ALLÂHU Ta’âlâ ‘anh) relatifs à ce sujet ne contredisent pas ceux de ses prédécesseurs.
Quant à l’inimitié née de la controverse qui oppose ses partisans à Abû Bakr Fatâ, elle résulte d’une manœuvre diabolique. En effet, Satan induit en erreur tout croyant qui n’a pas atteint le stade de la Contemplation. La preuve de l’exactitude de mon opinion est que le Messager d’ALLÂH (salla LLÂHU ‘alayhi wa sallam), venu chez moi (à l’état de veille) pendant la composition de ces conseils, m’a confirmé que les opinions de Sânusî, de Tijâni et de Ghazalî convergent toutes [sur les questions dogmatiques] et que toute divergence d’opinion à ce sujet provient des autres. La vérité qu’il convient de maintenir consiste donc à s’abstenir de réfléchir sur les modalités de l’Accompagnement en tant que telles, tout en étant profondément convaincu de sa réalité. En effet, réfléchir sur ses modalités peut entraîner la perte de la foi. Que ALLÂH nous en préserve !
Le Salut soit sur vous… »
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Le Cheikh écrivit, toujours à propos des opinions d’Abû Bakr Fatâ sur l’Accompagnement, ceci :
« Au Nom de DIEU, le Clément et Miséricordieux.
Que ALLÂH Ta’âlâ accorde la Paix et le Salut à notre Seigneur Muhammad, aux Siens et à ses Compagnons de sorte à permettre à tous de savoir :
– Que Abû Bakr Fatâ n’a pas bien compris les propos de Cheikh Ahmad Tijâni [relatifs à l’Accompagnement] et que le Cheikh Tijâni réprouve en réalité toutes les opinions qu’Abû Bakr soutient dans ses réponses ;
– Que la vérité est que les gens doivent se détourner de ces genres de controverses pour ne pas porter préjudice [à la foi des autres croyants];
– Que les propos des Pôles Spirituels (Radiya ALLÂHU Ta’âlâ ‘anhum) ne contredisent point ceux des Ulémas (Rahimahum ALLÂH). En effet, les Ulémas sont, par rapport aux Pôles spirituels (Aqtâb), ce que les Saints (al-Awliyâ’) (Radiya ALLÂHU ‘anhum) sont par rapport aux Prophètes (‘alayhimu-s salâtu wa-s salâm). Les Ulémas professent l’Unicité Divine et défendent la Loi formelle purifiée (Shari’a) alors que les Pôles, quant à eux, sont des hommes sincères et rapprochés d’ALLAH qui défendent la sainte et lumineuse Vérité principielle (Haqîqa). L’amour réciproque entre les ulémas (Rahimahum ALLÂH) est une source de vie pour la Loi muhammadienne et la divergence de leurs opinions doit constituer une source d’enseignement et non un motif d’inimitié et de jalousie…
La Paix et la Miséricorde d’ALLÂH soient sur vous. »
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Le Cheikh écrivit encore à propos d’un des deux polémistes, Ahmad B. Kûr Daymânî :
« Je me réfugie auprès de ALLÂH contre Satan le banni.
Au Nom d’ALLÂH, le Clément et Miséricordieux.
Que ALLÂH Ta’âlâ accorde le Salut à notre Seigneur et Maître Muhammad, aux Siens et à ses Compagnons, de sorte à informer les gens qu’Ahmad B. Kûr al-Daymanî et Abû Bakr Fatâ ont failli périr à cause d’une erreur de la part du premier et de sa dénonciation par le second.
En effet le point de vue d’Ahmad B. Kûr ne correspond pas exactement à celui de Cheikh Ahmad Tijâni (Radiya ALLÂHU ‘anh) au sujet de l’Accompagnement. Quant à Abû Bakr, il a été discourtois à l’égard de Cheikh Ahmad Tijâni. Sa discourtoisie a consisté, non pas au fait de controverser avec Ahmad B. Kûr, mais plutôt dans son refus d’admettre [les opinions de Tijâni]. En tous cas, Cheikh Ahmad Tijâni se situe très au-dessus de ces deux hommes. Voilà la vérité indubitable.
La Paix, la Miséricorde et la Bénédiction de ALLÂH Ta’âlâ soient sur vous. »
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Sur le même sujet, le Cheikh écrivit enfin à l’intention d’un autre maure :
« La Paix, la Miséricorde et la Bénédiction de ALLÂH Ta’âlâ soient sur vous.
J’ai vu ce qui s’est passé entre toi et les autres au sujet de l’Accompagnement [al-ma’iya]. Mon opinion là-dessus est que la nature de l’Essence Divine dépasse l’entendement humain. De ce fait, controverser sur l’Accompagnement, c’est se comporter comme les juifs et les chrétiens [connus pour leurs polémiques théologiques infinies]. Que ALLÂH Ta’âlâ nous protège tous des vaines préoccupations.
L’observance des Ordres d’ALLÂH et l’abstention envers Ses Interdictions s’avèrent infiniment mieux que ces controverses inutiles.
[Conformément au Coran] « Dis : « DIEU » et puis laisse-les s’amuser à patauger [dans les vaines conjectures].» (6 :91).
La Paix, la Miséricorde et la Bénédiction de DIEU soient sur vous.»
[Extraits de l’ouvrage « Khidma » de Cheikh Abdou Azîz Mbacké Majalis, Editions Majalis, 2010]
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