Je regrette que cette question, la première de toutes peut-être, arrive au milieu de vos délibérations presque à l’improviste, et surprenne les orateurs non préparés. Quant à moi, je dirai peu de mots, mais ils partiront du sentiment d’une conviction profonde et Républicaine. Vous venez de consacrer l’inviolabilité de vos partis politiques, nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus essentielle encore, l’inviolabilité de la vie de la Nation Sénégalaise.
La souveraineté nationale appartient au peuple sénégalais dans son entièreté qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. Aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté. Voilà comment notre constitution rappelle à chacun d’entre nous que la République est un destin commun qu’il appartient certes à chacun d’assumer mais dans le respect strict des lois et règlements du pays. Soyez donc bienveillant à l’endroit des concitoyens qui ne militent dans aucun parti politique, si ce n’est le parti de la République du Sénégal. Personne n’a le droit de s’auto adjuger le droit de plonger ce pays dans le chaos, nous ne l’accepterons pas !
Mesdames et Messieurs, la République dans laquelle nous vivons aujourd’hui, s’est bâtie au prix du sacrifice de générations anciennes, semble-t-il plus courageux que la nôtre. Le courage de penser et d’agir dans le long terme, dans l’intérêt supérieur du peuple sénégalais, au risque de voir ses aspirations politiques, religieuses ou ethniques se perdre dans l’intangibilité du principe de la République. Cette République du Sénégal a connu nombre de périls : extérieurs quand elle fut « attaquée » par des ennemis étrangers, intérieurs quand elle dut faire face à des contestations au nom d’idéologies extrémistes, politiques ou indépendantistes. Il semble que, de nos jours, le péril soit immanent à sa propre philosophie et que ce soit du dedans qu’elle soit atteinte. Car si la République, ancrée sur une théorie institutionnelle forte, conjuguée avec l’impérieuse nécessité de garantir les libertés fondamentales, tout porte à penser que cette même théorie accuse aujourd’hui des faiblesses telles qu’on peut parler de péril Républicain. Péril d’autant plus redoutable que les parties prenantes ne semblent pas pressentir le danger ou, s’ils le sentent, ils se réfugient dans des incantations ou des appels aux valeurs défendues qui cachent parfois beaucoup de vide ou de méconnaissance de ce qu’est la République. D’où viennent donc des faiblesses qui pourraient être fatales à la République si celle-ci s’accroche à un brillant passé sans apercevoir les alertes qui avec insistance soulignent aujourd’hui notre inculture démocratique.
Rappelons-nous nos engagements en faveur du principe d’inaltérabilité de la souveraineté du peuple sénégalais, une garantie nécessaire, un pas dans la démocratie. Si elle n’est point un pas dans la démocratie, elle n’est rien. Rappelons-nous nos engagements pour le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel l’Etat et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale. Bien évidemment cet ambition est fortement éprouvée par les turpitudes du jeu politique interne[..] mais cela ne saurait justifier une attitude de défiance encore moins de méfiance vis-à-vis de notre justice. C’est parce que nous croyons tous en elle que la justice est rendue au nom du peuple Sénégalais.
Eh bien, songez-y, qu’est-ce que la démocratie ? La démocratie verrou institutionnel de notre nation contre les passe-droits, la barbarie et l’anarchie, c’est également notre attachement à toutes ces valeurs fondamentales qui constituent le ciment de l’unité nationale. Le président De Gaule disait en parlant bien sûre de son pays « d’abord la France ensuite l’Etat et enfin le droit ». Nous assistons au Sénégal exactement à l’inverse : le discours sur nos droits individuels risque de perdre notre cher Sénégal, messieurs, ce sont là des faits incontestables. La marche de notre pays vers le renforcement des acquis démocratiques se fera, mais dans le temps, si nous ne voulons pas en payer le même prix que les nations qui ont versé du sang, beaucoup de sang de leurs compatriotes sans avoir la certitude de connaitre un réel progrès.
Le 23 Juin 2011, c’est là une partie de la gloire pour tout une nation qui a su raviver le combat ancien des porteurs de pancarte, comme pour consacrer la fameux propos du président Lamine Gueye « Un OUI n’a de sens que si l’on peut dire NON ». Le défi de notre époque consiste à garder le cap sur la voie vers le progrès démocratique fixée sans se laisser distraire par les aléas de l’obscurantisme et de l’extrémisme politique. Il nous faut bien entendu dénoncer et combattre le non droit mais dans les conditions prévues par la loi.
Nous aurons tous tort de trahir l’idéal d’un destin commun face aux idéologies totalitaires visant à nous imposer un regard du progrès démocratique sous le prisme de la destruction créatrice schumpétérienne.
Vous ne parviendrez peut-être pas à conférer tout de suite et maintenant un âge adulte a notre démocratie, notre Etat de droit; mais vous serez de ceux qui l’auront renforcé et maintenu sur la voie des lumières. N’avons-nous pas écrit en tête du préambule de notre constitution « Le peuple du Sénégal souverain », et nous commençons par lui dérober, à ce Peuple, ce droit qui n’appartient qu’à lui, le droit de décider. Mesdames et Messieurs, il y a trois choses qui sont au peuple, ne l’a lui confisqué pas, elles n’appartiennent ni à un parti politique ni à un leader de parti ; l’absolutisme, l’appréciation et le jugement.
Malheur au citoyen s’il pense que s’affranchir d’une République dans laquelle la justice lui semble être rendue en d’autre nom que le Peuple Sénégalais ! Tôt ou tard il finira par se plier, sous le poids et la force de l’inaliénabilité de la souveraineté nationale. L’absence de justice ne servirait à personne et prétendre le contraire absolu c’est également se rendre complice d’un jeu truqué dès le départ, vouloir en faire un débat partisan dérangent l’équilibre nécessaire des lois, des valeurs communes et des mœurs, elles ôtent à la justice Républicaine ses proportions et alors il arrive que la loi épouvante la conscience. Réfléchissez-y bien chers compatriotes !
Je suis monté à cette tribune de la contribution citoyenne pour vous dire un seul mot, un mot décisif, selon moi ; ce mot, le voici. Après le 23 Juin 2011, le peuple eut une grande pensée, le lendemain du jour où il avait brûlé le trône de la dévolution monarchique et de l’anti constitutionnel, il voulut brûler l’échafaud de l’obscurantisme, de la mal gouvernance. Ceux qui agissent exclusivement sur son esprit guerrier et rebelle alors ne furent pas, je le regrette profondément, à la hauteur de son grand cœur patriote. Eh bien, dans le premier article de la constitution que vous votiez, vous veniez de consacrer la première pensée du peuple à travers la devise de la République « Un peuple, Un But, Une foi » mais également à travers le principe de la République du Sénégal « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » , vous aviez renversé le trône. Maintenant consacrez l’autre, renversez l’échafaud. Je vote l’abolition pure, simple et définitive de l’obscurantisme, de l’injustice mais aussi de la violence dans toutes ses formes.
Abdou Lahad DIAKHATE
République du Sénégal