La ville de Guédiawaye a procédé hier, à l’instar de Dakar, à l’installation de son nouveau maire, Ahmed Aidara, qui succède à Aliou Sall. La cérémonie d’installation mouvementée a tôt annoncé la couleur avec la prise d’assaut des lieux par des centaines de militants et acteurs de tous les bords de la vie politique de Guédiawaye.
Les locaux de la mairie de Guédiawaye, quadrillés hier par une impressionnante disposition policière du Groupement mobile d’intervention (Gmi), ressemblaient à un lieu de grand meeting politique. Très tôt, vers 9 heures, Ahmed Aidara fut installé comme nouveau maire de la ville en présence du Préfet du département. Mais, curieusement, il a donné la primeur au maire sortant, Aliou Sall, de lui nouer l’écharpe de maire. Dans son discours de présentation, le premier acte posé par le nouveau maire de Guédiawaye, a été de faire de son «grand frère» Malick Gakou, leader de Yewwi Askan wi et président du Grand parti, le maire honoraire de la Ville de Guédiawaye. Un geste de reconnaissance à l’endroit de celui qu’il dit avoir fortement appuyé et soutenu sa candidature. Un geste salué à juste titre par ce dernier, vêtu de boubou blanc, bonnet noir à la tête. Ce moment louable sera le dernier acte de grandeur de la cérémonie. La première anicroche va survenir lors du vote des conseillers municipaux. Là, c’est le maire de Wakhinane Nimzatt, Racine Talla qui va attiser le feu, en ne cessant de faire dans la provocation. Ce qui eut pour don de faire sortir de ses gonds le nouveau maire, Ahmed Aidara. Racine Talla avait agité une feuille pour montrer une erreur de nom, c’était le coup d’envoi des hostilités. «Racine me provoque depuis ce matin. Lorsqu’il est venu, je l’ai salué, il ne m’a pas répondu. Maintenant, il fait dans le sabotage. Vous ne pouvez rien faire contre la volonté divine. Cʼest Dieu qui mʼa mis ici, vous nʼy pouvez rien faire», crie Ahmed Aidara. Son prédécesseur, Aliou Sall, intervient pour calmer tout le monde en lui rétorquant quʼil sʼagit dʼune erreur matérielle» quʼil a reconnue. Sur ce, Ahmed Aidara a demandé la suspension ou la poursuite du vote sous la supervision du Préfet de la localité. Le vote sʼest finalement poursuivi dans le calme. Un imbroglio total va se saisir ensuite de l’Hôtel de ville de Guédiawaye avec le début des votes des 14 adjoints du maire. Le scénario imaginé par tous va se dérouler, une situation qui découle des résultats du scrutin du 23 janvier dernier. Ahmed Aidara a été installé à l’issue du vote d’installation du bureau municipal, avec 39 voix pour sa coalition Yewwi Askan Wi contre 37 pour Benno bokk yakaar, les 10 voix restantes ont été collectées par les autres coalitions, dont Wallu Sénégal et Gueum Sa Bopp. Cʼest avec le vote du premier adjoint au maire entre Cheikh Sarr de Benno bokk yakaar, un protégé de Aliou Sall et Mor Diaw de Yewwi Askan Wi, que le feu va se propager. Ahmed Aidara et ses partisans sont exaspérés par le retournement de veste des conseillers de Gueum Sa Bop et ceux de Wallu Sénégal qui donnent leurs voix à Cheikh Sarr. Ces derniers sont soupçonnés d’avoir été «achetés» à coût de billets de banque et de parcelles de 150 m2 dans le Littoral, par le maire sortant Aliou Sall. Et Cheikh Sarr de la coalition ‘’Niax Jarignu Mac’’ affiliée à Bby, par ailleurs, ancien maire de Guédiawaye, devient premier adjoint au maire, avec 44 votes au détriment de Mor Diaw, coordonnateur des jeunes du Grand Parti qui ne glane que 40 voix. Une différence de quatre voix qui fait bouillir de rage le successeur de Aliou Sall. La scène vire au pugilat, le maire Ahmed Aidara décide de lever la séance et somme le maire sortant de quitter la salle. «Ici, cʼest nous qui décidons. Nous les devançons de plus de 6 000 voix, Guédiawaye a tranché, l’ère du maire Aliou Sall est révolue, mais pourquoi ils veulent faire le malin et faire un forcing…Non, il faut quʼil arrête. Il faut quʼil quitte la salle», hurle Ahmed Aïdara qui décide quʼil nʼy aura pas de vote. «Nous nʼallons pas trahir la population, il nʼy aura pas de vote parce que sʼil y a vote, il y aura hold-up», sʼoffusque-t-il. Le maire de Guédiawaye ne sʼen arrête pas là et tance son successeur. «Nous nʼallons pas dealer avec ce régime (de Macky Sall). Nous ne sommes pas des dealers politiques», a-t-il insisté, appelant le Président Macky Sall à rappeler à la raison Aliou Sall. «Nous allons le déclarer persona non grata», menace-t-il, avant de se lever. Cʼest le début des hostilités, avec coups de poing, jets de bouteilles dʼeau, insultes et concours de quolibets. Chacun sʼy met, jusquʼà la douce Khadidja Mahécor Diouf qui répond à une remarque désobligeante et lance des insultes très crues, avant de balancer, à son tour, une bouteille dʼeau. Les forces de lʼordre entrent en jeu et font évacuer la salle pour faire revenir en vain le calme. Dans le hall de la mairie de ville, les militants de Yewwi Askan Wi manquent dʼen découdre avec ceux de Benno. La forte présence policière évite le drame. Plusieurs personnes se mettent à crier « Aliou Sall voleur » et dénoncent une « forfaiture ». Il en est ainsi jusquʼà la tombée de la nuit, et le constat dʼun huissier du blocage des votes des autres adjoints et lʼinstallation du bureau municipal. Ahmed Aïdara reviendra vers 21 heures pour donner un point de presse, en compagnie de ses alliés, dont Malick Gackou de Yewwi, de son patron à D Médias Bougane Guèye Dany, leader de Gueum Sa Bopp, des représentants du Parti démocratique sénégalais (Pds) qui a délégué Mayoro Faye, de Cheikh Bamba Dièye, du député Cheikh Abdou Mbacké Bara Doly et dʼautres leaders de Wallu Sénégal. Le nouveau maire qui se dit décidé de ne pas accepter le «hold-up électoral» du pouvoir, donne rendez-vous aujourd’hui vendredi à 16 heures, à ses partisans dans les mêmes locaux de la mairie, pour la passation de service entre lui et Aliou Sall, ‘’même si ce dernier ne se présente pas », précise-t-il.
PUBLICITÉ
Benno tient l’occasion de laver l’affront politique
La cérémonie d’installation du nouveau maire de la ville de Guédiawaye Ahmed Aidara, est le schéma parfait de ce que sera la cohabitation entre la majorité présidentielle et lʼopposition qui a gagné du terrain à lʼoccasion des élections locales du 23 janvier dernier, avec une forte avancée des coalitions Yewwi Askan Wi, Wallu Sénégal et Gueum Sa Bop, qui ont glané de grosses communes de quelques départements majeurs du pays tels que Dakar, Guédiawaye, Rufisque, Keur-Massar, Thiès, Kaolack, Mbacké et Ziguinchor. Le cas de la ville de Guédiawaye était particulièrement scruté, avec la défaite surprenante du maire sortant, le frère du Président, Aliou Sall, qui a été surpris par le candidat de la coalition Yewwi Askan Wi, le tonitruant Ahmed Aidara. Ce dernier a pris le dessus sur son successeur en le devançant de plus de 6000 voix, mais perd au change en ne glanant pas la majorité des conseillers (39 contre 37 pour son adversaire et 10 pour les autres coalitions). Ceci va lancer une chasse aux alliés, et à ce jeu, les tenants du pouvoir avaient certainement plus d’arguments pour faire pencher la balance à leur côté. Ce qui sera le cas avec les faveurs des 4 voix des conseillers de Wallu Sénégal et de deux de Gueum Sa Bopp, lors du vote du premier adjoint hier. Cheikh Sarr, le poulain d’Aliou Sall, va ainsi s’adjuger le poste au détriment de Mor Diaw de Yewwi Askan Wi. Le blocage qui s’ensuivit et empêcha le vote des 13 autres adjoints, préfigure ce que sera l’ambiance lors de toutes les réunions municipales, ou votes des budgets. Benno tient là, une occasion unique de faire payer à Ahmed Aidara et laver l’affront politique. Les populations qui ont donné leurs voix sont d’ores et déjà partagées et ne savent à quel saint se vouer devant ce dilemme cornélien.
PUBLICITÉ
AVIS D’EXPERTS : «Le maire Ahmed Aidara aura un mandat très difficile, il va beaucoup souffrir»
Faute de majorité au sein du Conseil municipal de Guédiawaye, le nouveau maire Ahmed Aidara risque de gérer difficilement la ville, selon des experts en décentralisation. La preuve par le blocage constaté, hier, lors de l’élection des adjoints au maire.
La composition actuelle du Conseil municipal de Guédiawaye ne joue pas en faveur du nouveau maire de la ville. Ahmed Aidara risque d’avoir un mandat difficile à la tête de la ville de Guédiawaye. Vainqueur des dernières locales avec la coalition Yewwi Askan Wi, le maire Ahmed Aidara ne dispose pas d’une majorité absolue au sein du Conseil municipal de la ville de Guédiawaye. Le «tombeur» d’Aliou Sall est même minoritaire. Car, sur les 86 conseillers que compte la mairie de la ville de Guédiawaye, seuls les 39 sont issus de la coalition Yewwi Askan Wi. La coalition Bennoo bokk yakaar arrive en deuxième position avec 37 conseillers, la grande coalition Wallu Sénégal a 4 conseillers, Gueum Sa Bop 3 conseillers, Bunt-bi 2 conseillers et un conseiller pour And Nawlé. Une situation qui ne présage rien de bon pour le nouveau maire de Guédiawaye. «Le maire Ahmed Aidara aura un mandat très difficile, il va beaucoup souffrir au sein du Conseil municipal de la ville de Guédiawaye», confie un expert en décentralisation sous le couvert de l’anonymat. Avec cette composition actuelle du Conseil municipal de Guédiawaye, le maire Ahmed Aidara aura d’énormes difficultés pour dérouler correctement son programme. Des menaces de perturbations pèsent sur son mandat. «Etant donné qu’il ne dispose pas de la majorité des conseillers au niveau du Conseil municipal, conforte un éminent professeur d’Université, le maire Ahmed Aidara n’aura pas les coudées franches pour gérer surtout les actes pour lesquels il faut impérativement une majorité absolue. Pour le Conseil municipal de Guédiawaye, la majorité absolue est égale à la moitié des conseillers (43) plus un (1). Donc, il faut 44 conseillers sur 86 pour avoir la majorité absolue». Ce qui s’est passé hier, au niveau de la ville de Guédiawaye, annonce déjà les couleurs. L’installation de la nouvelle équipe municipale a été perturbée. Accusant ses opposants de vouloir effectuer un holp up, Ahmed Aidara a bloqué le vote pour l’installation des adjoints. Et, selon l’avis d’un expert en décentralisation, si on avait continué le vote, la coalition Yewwi Askan Wi allait perdre tous les postes d’adjoints au maire au profit de Benno bokk yakaar qui allait tout remporter. «C’est ce que Ahmet Aidara a compris. Et, si les choses ne changent pas, la coalition Yewwi Askan Wi risque de se retrouver avec zéro adjoint au maire au sein du Conseil municipal», ajoute notre interlocuteur. Le maire Ahmet Aidara et son équipe sont tenus de régler, au plus vite, ce problème pour éviter de mauvaises surprises.
Le Préfet, Ahmed Aidara et la loi
Suite au blocage des travaux, le nouveau maire de Guédiawaye, Ahmed Aidara a demandé hier la suspension de la séance pour l’élection des adjoints au maire. Ce que le Préfet a catégoriquement refusé en exigeant la poursuite des travaux. Seulement, le maire Ahmed Aidara était dans ses droits. La loi lui donne les pouvoirs de suspendre cette séance. Dans l’ancienne version du Code général des collectivités territoriales, le maire et ses adjoints étaient élus en même temps, sous la supervision du doyen d’âge du Conseil municipal et du Préfet. Mais avec les nouvelles dispositions du Code général des collectivités territoriales, la donne a changé. Désormais, le maire est élu au suffrage universel direct. Le Préfet installe juste le maire qui, à son tour, se charge de superviser le vote pour l’élection de ses adjoints. Et, c’est le maire qui préside l’élection, donc il a la police de l’audience, conformément aux dispositions de l’article 152 du Code général des collectivités territoriales. Ledit article stipule : «Le président de séance a seul la police de l’assemblée. Un règlement intérieur en déterminera les modalités d’application.» Donc, si le maire considère que les conditions ne sont pas réunies, il a la possibilité de suspendre la séance.
MAMADOU NIANG, SOPHIE BARRO