«Moi, ministre en charge de l’Urbanisme, je ne peux céder à des pressions»
«Le site de recasement de Sandaga est à un taux d’exécution de 90%. Nous en sommes aux dernières couches de peinture…».
En charge de l’Urbanisme et de l’Hygiène publique, le ministre Abdou Karim Fofana s’est confié à L’Obs sur les questions de l’heure qui interpellent son département. Dans cette interview-express réalisée via mail, il livre sa version des faits sur le supposé «tong-tong» foncier de pontes de la République à Ouakam.
M. le ministre, le dernier message du président de la République fait, semble-t-il, voler le gentleman agreement avec l’opposition. Que pensez-vous de ces tirs groupés de leaders politiques, qui mettent à rude épreuve la gestion du Covid-19 par le chef de l’Etat ?
« Le président de la République est resté dans la position du rassembleur qui est la sienne en toute circonstance, mais encore plus en ces temps, qui demandent une mobilisation de toutes les forces vives de la nation…
Beaucoup de leaders de l’opposition continuent de l’accompagner dans cette dynamique et c’est tout à leur honneur. D’autres ont choisi de faire de la politique à la petite semaine. L’un d’entre eux a déclaré qu’il ne voulait pas répondre à l’appel à la concertation du Président mais y est allé parce que, je cite : «il fallait adapter la stratégie de communication au contexte». Voilà un homme qui dans une période de mobilisation générale, nationale, n’a d’autre souci que de communiquer, alors même qu’on compte des décès liés au Covid-19, que le personnel soignant risque sa vie, qu’une majorité de nos compatriotes font des sacrifices afin de venir à bout de cette pandémie.
Ce qu’il faut retenir surtout, c’est le sens de l’écoute du président de la République, qui après une phase de concertation, a mis en œuvre une stratégie de lutte contre la propagation du virus. Toutefois, de l’avis même des spécialistes, de chez nous comme des autres pays, et selon les projections les plus optimistes, le virus sera encore avec nous pour un moment. Et nous ne pouvons pas cesser nos activités économiques et nos interactions sociales, d’où la phrase du chef de l’Etat disant qu’il nous faudra vivre avec le virus. Après la phase de contingentement, nous en sommes maintenant à la phase d’adaptation. Il ne nous faut pas perdre de vue que la lutte est d’ordre sanitaire, mais aussi économique.
Nous sommes en pleine pandémie, qui requiert l’engagement de tout le gouvernement et on ne voit pas trop votre département, qui devait être en première ligne. Qu’est-ce que votre ministère apporte à cette bataille contre le Covid-19?
En tant que ministère en charge du Cadre de vie et de l’Hygiène publique, nous sommes en première ligne dans la stratégie d’éradication du virus. Mes services se déploient pour sensibiliser les populations sur les mesures d’hygiène et les gestes barrières. C’est l’occasion de féliciter les agents déployés dans les points propreté, les endroits à forte affluence humaine, les lieux à risque tels que les marchés. Les équipes de l’UCG font un travail remarquable de collecte des déchets, avec notamment, la mise en place de points de regroupement normalisés. Nous voulons profiter de la situation imposée par le Covid-19 pour faire la révolution dans les marchés, en y procédant à des activités de nettoiement et de désinfection, en y installant des comités de salubrité publique. Cette situation montre l’utilité d’initiatives comme les journées de nettoiement «Bessu Setal» et de programmes comme le zéro déchet d’autant plus qu’en Asie, selon des spécialistes, le virus est parti d’un marché.
Le Président a fait cas du nettoiement des marchés. Ou en sont les services de l’Hygiène publique ?
J’ai déjà commencé à répondre à cette question. J’ajouterai juste que depuis le début du plan d’actions, nos équipes ont nettoyé et désinfecté une vingtaine de marchés dans Dakar et nos services départementaux travaillent de concert avec les collectivités territoriales et les préfets, pour en faire de même dans tout le pays. Au-delà de ces actions, notre vision à court-moyen terme, est de créer les conditions afin que nos marchés opèrent une mue institutionnelle, par l’avènement de gestionnaires qui auront en charge le fonctionnement du marché de l’ouverture à la fermeture, avec une capacité managériale avérée, pour plus d’efficacité. Nous voulons ainsi pousser les communes à mieux gérer les marchés.
On a beaucoup parlé de la démolition du bâtiment principal de Sandaga et de la délocalisation du marché. Mais depuis quelques mois, c’est le silence total sur la question. Était-ce un projet mort-né ?
Bien au contraire, c’est un projet qui avance très bien. Nous avons opté pour la construction d’un site de recasement, avant de procéder à la reconstruction du bâtiment en question. Le site de recasement, sur lequel 507 cantines sont prévues, est en train d’être construit au terrain du Champ des courses, derrière le siège de la BHS. Il est aujourd’hui à un taux d’exécution de 90%. Nous en sommes aux dernières couches de peinture et à l’installation du système d’électrification.
On vous cite nommément dans un prétendu scandale foncier à Ouakam. Ou vous avez avalisé un «tong-tong» de pontes de la République. Qu’en est-il ?
Il n’en est rien. Dans cette histoire, on me reproche d’avoir appliqué la loi, ce qui est un comble pour un membre du gouvernement chargé, entre autres, de veiller au respect de la loi. De quoi parle-t-on ? Il s’agit simplement d’un contentieux opposant deux parties de la communauté léboue de Ouakam. L’une des parties conteste une autorisation de lotir que j’ai signée.
Mais ce qu’il faut savoir, c’est que l’autre partie, la Collectivité léboue de Ouakam, représentée par trois Jaaraf, avait en sa possession, tous les documents légaux pour obtenir l’autorisation et a satisfait à toutes les étapes de la procédure devant mes services. Ladite partie disposait d’une ordonnance signée par le juge du Tribunal régional hors classe de Dakar, d’actes notariés ainsi que d’une décision favorable de la Cour Suprême. Vous comprendrez donc aisément que je sois tenu par la loi, de signer cette autorisation, qui était demandée par le représentant du propriétaire du titre sur lequel le lotissement doit être fait.
En outre, cette autorisation de lotir concerne à 80% des parcelles sur lesquelles des maisons ont déjà été construites. Il est de mon devoir de régulariser la situation de ces Sénégalais, qui ont investi autant d’argent et qui n’ont que des permis d’occuper. D’ailleurs, parmi les représentants de la partie qui conteste, beaucoup ont indiqué lors de cette rencontre, qu’il était nécessaire de régulariser les occupants des 1100 parcelles déjà construites.
Mon rôle est de protéger les citoyens sénégalais qui ont acquis et construit sur ces terres, même si la forme d’acquisition n’était pas des meilleures du point de vue juridique. En plus de cela, les Jaraaf, qui sont les représentants reconnus par la justice de la collectivité léboue de Ouakam, ont introduit un recours pour excès de pouvoir devant la Cour Suprême contre le Ministère de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, qui n’avait pas donné suite à la demande d’autorisation de lotir déposée depuis 2016.
Or, il s’agit d’un lotissement sur un titre privé et sur un tel titre, la loi n’autorise pas le ministre de l’Urbanisme à juger de l’opportunité, contrairement à une demande de lotissement administratif introduite par une commune, pour laquelle je suis fondé à apprécier l’opportunité. Au regard de tout ce qui précède, dois-je rester les bras croisés face à cette situation ? Dois-je regarder ces populations être victimes de l’immobilisme de l’administration ou céder à la peur des titres de journaux ou d’articles de presse en ligne ?
Non, mon rôle est d’assumer ma responsabilité quant au respect de la réglementation en matière d’urbanisme. Je peux comprendre qu’il y ait des divergences sur les représentants ou les choix de lotissement au sein de la communauté. Mais mon ministère n’est pas habilité à trancher ce différend, d’ordre privé. Je précise aussi que le contentieux concerne seulement aujourd’hui le super plateau, qui est une partie du titre. Il appartient aux différentes parties de s’entendre.
Cependant, moi ministre en charge de l’Urbanisme, je ne peux céder à des pressions. Mon rôle est de faire respecter la loi dans une opposition entre des déclarations d’association et des décisions de justice ou encore des actes notariés. Je ne peux agir que sur la base de documents ayant une valeur juridique. J’ai chargé mon Directeur de Cabinet, en concertation avec le gouverneur de Dakar, de recevoir les parties pour une conciliation afin de trouver un épilogue à ce dossier, qui est dans le circuit depuis quatre ans et de permettre aux milliers de familles concernées, d’obtenir une sécurité juridique sur les terrains achetés. Je n’ai naturellement pas de préférence entre l’un ou l’autre des groupes, mais je me fonde sur des actes juridiques et sur le devoir de protéger les populations qui ont investi dans cette zone pour acquérir leurs logements.
Beaucoup de Dakarois avaient applaudi quand vous avez initié l’opération de désengorgement de la capitale. Mais on constate un retour des occupants. Qu’est-ce qui a péché dans le suivi de ces opérations ?
Ce qu’il faut constater, c’est le renouveau dans les espaces publics dakarois. Depuis trois mois, nous avons mis en œuvre le Plan d’Urgence de Dakar, avec l’ambition de désensabler et désencombrer 50 km de voirie. Depuis le lancement, nous avons couvert 30 km, installé 1500 bacs à ordures et innové, avec la disposition de 14 Points de Regroupement Normalisés. Les PRN constituent une innovation permettant de mettre dans un enclos aménagé, un dépotoir d’ordures pour éradiquer les points de dépôt sauvage. L’objectif consiste à en mettre 50 à Dakar et 50 dans régions en 2020 et de poursuivre le programme l’année d’après. Il faut aussi préciser que les opérations de désencombrement ne sont pas à l’arrêt. Actuellement, nous nous y attelons durant les heures du couvre-feu.
Contrairement à ce que vous avancez, beaucoup d’axes désengorgés ont été aménagés et les Dakarois apprécient ces espaces qui sont en train, petit à petit, de donner un autre visage à la capitale. Effectivement, il y a quelques axes que des individus sont revenus occuper. Le dispositif de suivi que nous avons mis en place, nous permettra d’y remédier. Il faut aussi que ces populations comprennent que le cadre de vie est important et que l’espace public ne saurait être occupé de manière anarchique. Nous nous attelons donc à la sensibilisation. C’est un travail de longue haleine.
PAPE SAMBARE NDOUR