N’est-il pas excessif voire prématuré de juger la communication sur l’épidémie de coronavirus et sa gestion, en tout cas telle qu’elles ont été jusqu’ici gérées par Abdoulaye Diouf Sarr, le ministre de la Santé et ses services ? Les médias ont certes le droit d’apprécier et de critiquer mais encore faudrait-il que ces critiques soient mesurées au regard de la sensibilité de l’affaire.

Ils se sont, dans quelques cas, lancés dans des comparaisons trop hâtives, oubliant que l’épidémie d’Ebola et celle du coronavirus n’ont ni la même ampleur, ni la même logique de pénétration, encore moins la même nature. Si certains journalistes n’ont pas tari d’éloges sur Eva Marie Cole Seck quant à sa gestion d’Ebola, ils ont relevé des cafouillages et défaillances du côté d’Abdoulaye Diouf Sarr. L’Observateur par exemple de ce lundi 9 Mars, souligne par exemple que  “le personnel médical est démuni face au Coronavirus dans les régions”. Guy Marius, à Ziguinchor semble appuyer ce fait en lançant quelques piques dans Enquête de la même date. Sur place, il s’est dit surpris, choqué et scandalisé par le fait que dans les locaux de l’aéroport de Ziguinchor, il n’existe aucun dispositif mis en place pour lutter contre le coronavirus.

Quel que soit en tout cas le jugement porté ça et là, il semble en tout cas bien tôt pour se lancer dans une évaluation de la gestion de la crise qui n’a réellement commencé qu’avec la question du rapatriement des 13 étudiants sénégalais bloqués à Wuhan dans l’épicentre du Coronavirus en Chine. L’on se rappelle en effet que le président Sall était monté au créneau lors d’une cérémonie de levée des couleurs. Il avait d’ailleurs été critiqué par ces étudiants qui avaient lancé des appels à leur rapatriement ; par des parents inquiets en larmes ; et également par une certaine presse et une bonne partie de l’opinion qui avaient fustigé la brutalité de ses paroles. La suite donnera raison à ce dernier, non pas par rapport à ses propos jugés maladroits, mais bien par rapport au précédent qu’il n’a pas voulu créer. Les Sénégalais d’Italie auraient certainement demandé à être rapatriés si Macky Sall avait cédé au vœu des étudiants de Chine. C’est en tout cas l’interprétation qui a été faite par des sources officielles.

Imaginez un instant que depuis le début de l’épidémie, à la date du 6 mars, 197 personnes sont mortes du coronavirus pour 4636 personnes contaminées en Italie et 15 millions de personnes mises en quarantaine depuis ce dimanche 8 Mars. Et l’on n’ignore pas la présence d’une forte communauté sénégalaise en Lombardie, la région qui abrite Milan, la capitale financière. Vous imaginez bien la suite.

Ce que certains acteurs des médias oublient certainement, c’est que L’Ebola a été circonscrite au niveau de la frontière sénégalo-guinéenne. Ce qui avait permis d’éviter toute propagation à l’intérieur du Sénégal. Une situation qui avait même créé quelques frictions entre Conakry et Dakar pour cause de fermeture de la frontière. A l’opposée, l’épidémie du Coronavirus prend sa source dans des pays développés et ne doit  son arrivée dans nos murs, qu’au flux de voyageurs.

Certains journalistes ne consentent pas à être mesurés dans le jugement dans le cas du Sénégal au moment où des pays développés tels que la Chine, la Corée du sud, l’Italie, les Etats Unis et la France, qui, malgré leurs moyens astronomiques comparés aux nôtres et un système de santé largement plus performant, paient un lourd tribut de cette propagation du virus. Pourquoi pensent-ils devoir mettre une pression aussi infernale en plus d’être aussi alarmistes ? Le Sénégal a jusqu’ici connu 4 cas dont 1 guérison et trois cas qui sont sur une pente positive. Loin de penser qu’il faille tomber dans l’autoglorification et être dans une posture de sérénité excessive ou de relâchement, un système de surveillance rigoureux et un principe de précaution, doivent toutefois guider la gestion de cette épidémie.

Comme au football, trop de spécialistes se prononcent sur le sujet. Mais alors que de lieux communs distillés ! Que de fausses prescriptions annoncées çà et là. Beaucoup ne savent pas par exemple que les masques sont plus utiles pour les personnes malades et personnels soignants et permettent d’éviter la contagion. La raison est simple, la propagation via les gouttelettes issues des éternuements des personnes atteintes à moins d’un mètre, est limitée avec ces masques. L’on sait aussi qu’il faut préconiser le lavage fréquent des mains et éviter de se frotter le nez, etc.

Le Dr Bernabe Gning, chef du service contrôle sanitaire de la frontière aérienne de l’aéroport Blaise Diagne, a relaté la simulation ordonnée par le ministre Diouf Sarr et qui a eu lieu sur la base d’un document dénommé « Plan d’urgence sanitaire » et qui permet de gérer les épidémies. Le médecin a aussi détaillé toute la procédure mise en place avec les compagnies aériennes lors de la découverte du 1er cas apparu dans nos murs, le 25 février, depuis l’identification de cette personne, jusqu’à la publication de la liste des passagers (ceux qui avaient embarqué et ceux qui ont désisté lors du voyage), leur parcours, leurs coordonnées, les personnes avec qui ils ont été en contact.

« Nous avons observé 47 personnes proches des gens affectés par la coronavirus. Ils ont été suivis 14 jours et les 10 tests effectués ont tous été négatifs. C’est la police de l’aéroport qui nous a remis les contacts des personnes qui étaient dans l’avion et nous les avons tous appelés. Même quand ils sont dans des localités éloignées comme Tambacounda, on les met en contact avec le chef de service régional à charge pour les agents de santé de les suivre 14 jours après leur entrée au Sénégal… », a fait savoir le docteur.

Ce dernier a également expliqué qu’un système de contrôle existe bel et bien à l’aéroport et les passagers qui arrivent y sont soumis après avoir été guidés par les policiers, selon un itinéraire encadré. A cet effet, il nous a précisé qu’il y a trois sortes de caméras thermiques : des caméras suspendues, des caméras roulant qui suivent les passagers et des caméras qui sont des sortes de scanner qu’on met à 3 cm à hauteur des fronts des personnes avec des voyants lumineux et qui détectent uniquement la température des corps et non le virus.

Autre précision de taille, Docteur Gning a expliqué que lorsque le virus pénètre dans le corps, il passe par trois (3) étapes qui sont : le fait de voir s’il peut s’épanouir dans le nouvel organisme étant entendu qu’il vient d’un autre organisme ; il se multiplie ; et dans ce 3ème stade, on cherche à voir si l’ampleur de la multiplication, permet d’être positif au test. C’est pourquoi fait-il remarquer, c’est la raison pour laquelle le test est recommandé au bout d’un certain temps.

La question de la rumeur selon laquelle cette maladie touche moins les noirs, a été battue en brèche par le médecin en chef, expliquant au passage qu’il n’existe pas 4 races, mais bien une seule, la race humaine. De même, la maladie n’est pas une “maladie chinoise, mais une maladie en Chine“.

Bref beaucoup d’infos que le grand public ignorait. Mais, une fois cela dit et expliqué, le nombre faible de cas (espérons que cela se poursuive avec l’aide de Dieu) ne doit pas pousser au relâchement de la surveillance. Les Sénégalais doivent rester  humbles et ne pas pousser la prétention trop loin. Nos médecins sont certes très bien formés et préparés à faire face à ce genre de situations, mais le fait est que notre système de santé n’est pas des plus parfaits. Ils doivent aussi garder à l’esprit que le Sénégal est ce pays où les règles d’hygiène ne sont globalement pas observés. Les Sénégalais ne doivent pas se faire d’illusions quant au fait de penser que le système de santé va devenir comme par enchantement le système le plus parfait au monde, du jour au lendemain.

L’épidémie qui déstabilise les économies

Le coronavirus a déstabilisé l’économie mondiale avec notamment des pertes de 3 à 5% enregistrées par les Bourses, et des marchés financiers qui connaissent leur pire période depuis la crise de 2008-2009. La fortune totale des 500 personnes les plus riches du monde a diminué de 444 milliards de dollars, rapporte BloombergLes trois hommes les plus riches du monde ont perdu un total de 30 milliards de dollars (environ 27 milliards d’euros): 11,9 milliards (10,8 milliards d’euros) pour le patron d’Amazon Jeff Bezos, 10 (9,1 milliards d’euros) pour le cofondateur de Microsoft Bill Gates et 9,1 (8,2 milliards d’euros) pour le français le plus riche du monde Bernard Arnault du groupe LVMH. Ces 500 personnes avaient pourtant amassé plus de 78 milliards de dollars (environ 71 milliards d’euros) depuis le début de l’année, note l’agence américaine, mais cette somme a largement été «effacée» par le marasme économique dû au virus Covid-19.

Sur les conséquences économiques de la crise, Khadim Bamba Diagne, économiste a par exemple renseigné sur la TFM que si la Chine ne produit pas, c’est le monde entier qui va le ressentir, évoquant les conséquences pour l’importateur sénégalais de l’empire du milieu. Celui-ci, fait-il remarquer, court le risque d’être poursuivi par sa banque, après avoir pris des engagements. Allant plus loin dans son raisonnement, il fera comprendre que le Sénégal a eu la chance d’avoir vendu son arachide bien avant la naissance de l’épidémie, ce qui n’a pas eu des fâcheuses conséquences sur la situation des agriculteurs.

L’économiste sortira toutefois de son rayon pour réclamer une révision de la stratégie de communication afin d’éviter des risques de psychose. Le docteur Bernabe Gning lui a suggéré que la presse aide dans la communication. Birima recommandera des sketch plus facilement consommables à son avis par les populations. Bouba Ndour tempérera son jugement en indiquant qu’ils peuvent commettre des erreurs de communication.

Et Birima Ndiaye de rétorquer que beaucoup de pays à l’instar des Etats Unis connaissent des cas mais ne donnent pas le vrai chiffre à cause des risques sur leur économie, préconisant que chaque semaine le gouvernement sénégalais organise une réunion avec les patrons de presse.

Mais ce que ne semble pas comprendre le syndicaliste, c’est que la culture des Etats Unis dans ce domaine n’est pas semblable au cas sénégalais. Au pays de l’oncle Sam, face aux périls ou événements d’enjeu national, les médias se positionnent bien souvent par rapport à l’intérêt du pays. Au Sénégal, il est juste possible d’en appeler au sens des responsabilités des médias, l’essentiel étant de ne pas contribuer à créer une psychose en voulant produire des scoops ou vendre du papier. Il y a en tout cas un arbitrage à faire de la part de l’Etat en termes de gestion de l’information.

 

Prendre au sérieux la matière communication

Dans cette crise, beaucoup d’opinions ont été émises quant au recours aux journalistes dans la communication de crise. Mais ce que ceux-là qui abordent le sujet sous cet angle ne savent pas, c’est qu’il est bien illusoire de considérer les journalistes comme des communicants, la presse n’étant qu’un canal pour une communication favorable. Ce n’est pas parce qu’une communication sera faite en direction des médias que l’effet escompté de la communication positive sera atteint. Le journalisme et la communication procèdent en effet de logiques différentes. Si le premier cherche à collecter des faits, à les recouper et à la diffuser ; le second procède d’une logique dans ce cas précis, de rassurer, de produire des chiffres rassurants, de montrer que le gouvernement contrôle la situation, etc. Une logique donc de persuasion. Les médias eux, relaient à la fois des infos positives comme négatives. Et ce n’est pas un hasard si les angles négatifs sont les plus visés. Un précepte bien cher aux journalistes, est d’ailleurs de parler des « trains qui n’arrivent pas à l’heure » et qui semblent plus intéresser les confrères.

Mais à la vérité, la communication n’est pas une matière facile sous nos cieux. Ailleurs également. Elle est une activité à la croisée de plusieurs spécialités, et nécessite une chaîne d’intervenants. Les messages ne sont efficaces que s’ils interpellent la cible. Ils doivent aussi être facilement mémorisables par celui qui les écoute ou les voient. Mais malheureusement notre culture orale nous incite à trop parler dans les sketchs et à faire recours à des spots au travers desquels, l’on tente de véhiculer plusieurs messages et de tenter d’atteindre plusieurs objectifs. La conception-rédaction est un métier à part entière dans la pub. De même l’opérationnel est bien souvent pris pour de la stratégie de communication qui elle-même est assimilée au plan de communication. D’autres confusions sont aussi notées. La communication est au fond, un domaine qu’on a tendance à assimiler à la production d’un simple discours qu’on peut composer selon son entendement alors que le métier requiert une formation digne de ce nom et une véritable expérience dans le temps. Le fait est qu’au fond, la communication en tant que matière, est un domaine qui paraît tellement accessible car étant à la portée de beaucoup de gens quand bien même ce ne serait pas leur métier de base. On confiera d’autant plus facilement sa voiture à un mécanicien quand bien même on ne préjugerait pas de sa compétence. De la même façon, il ne viendra jamais à l’idée de confier un malade à un non médecin.

Ceux qui prétendent en réalité être des spécialistes de la communication, ne le sont pas pour beaucoup sous nos cieux. Ce sont bien souvent des journalistes qui assument ce rôle. Et beaucoup pensent pouvoir exercer dans ce domaine parce qu’ils ont lu quelques stratégies résumées dans des ouvrages dédiés à la communication de crise. Dans la réalité, cette dernière est  un domaine encore plus pointu de la communication et requiert une formation solide et une grande expérience de gestion de crises importante.

Et même dans les pays occidentaux qui ont intégré cette matière depuis belle lurette, Dieu sait que les spécialistes de la communication de crise ne foisonnent pas. Et beaucoup, considérés comme des sommités, ont à un moment ou à un autre, connu des insuccès dans une tentative de gérer une crise, même si tout dans la résolution d’une crise, ne saurait dépendre des communicants. D’illustres personnages appelés « spin doctors » ont marqué leur temps. Thierry Saussez par exemple d’ « Image et Stratégie » a dirigé le service d’information du gouvernement (SIG) de 2008 à 2010 en France a été conseiller de Nicolas Sarkozy en 2008. Celui-ci avait été présenté même à l’époque par de nombreux médias comme le « remède anti-couacs » en référence aux dysfonctionnements qui venaient brouiller la communication gouvernementale. Il avait aussi connu des flops notamment avec le lancement loupé du coûteux site « France.fr » qui lui avait d’ailleurs valu sa démission en octobre 2010.

Autre personnage réputé mais en Angleterre, Sir Alaster Campbell, connu pour avoir été le directeur de la communication et de la stratégie. Décrit comme spin doctor de Tony Blair, Premier ministre du Royaume-Uni avec qui il a collaboré à partir de 1994.  Au début de l’année 2003, Campbell joua un rôle de conseiller dans la présentation du “Dossier irakien”.

Il y a des personnages encore plus actuels tels que Stéphane Fouks ou Anne Méaux d’ « Image 7 » présentée comme la « prêtresse de la communication » en France et connue au Sénégal pour avoir été employée avec pour objectif de polir l’image de Karim Wade. Elle a été au-devant de la scène en prenant récemment en charge, la communication de Carlos Goshn et avait à cet effet organisé une conférence de presse à Beyrouth le 8 janvier 2020. Affabulée du titre de « communicant choc de François Fillon » , elle intervient principalement auprès des entreprises du Cac 40. « Image 7 » détenait également un contrat avec l’Agence tunisienne de communication extérieure pour valoriser les atouts du pays. Cette collaboration a été mise en avant par Le Canard Enchaîné en 2011, comme étant un « “discret réseau d’influence” en faveur de la dictature de Ben Ali, composé notamment de patrons de presse “tout acquis à sa cause” » Bref un métier ô combien difficile.

A l’opposée, le Président Macky Sall est généralement entouré de journalistes dans la gestion de sa communication, y compris de crise et continue de faire  l’amère expérience de la confusion des métiers.

Mais quoi qu’il en soit, les médias doivent être dans un rôle rassurant et assumer cette lourde responsabilité de ne pas créer de psychose dans leur volonté d’informer et d’être transparents. L’Etat doit aussi s’inscrire dans cette même logique tout en tenant en compte de l’image du Sénégal à l’étranger. Le Sénégal n’a pas besoin d’un frein supplémentaire à son économie qui est loin d’être reluisante.