Au Togo, Faure Gnassingbé vient d’être réélu pour un quatrième mandat après avoir obtenu 72,36 % des voix. C’est du moins les résultats proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (Céni). Dans la même zone ouest-africaine, de la Côte d’Ivoire à la Guinée pour aboutir au Sénégal, c’est l’équation d’un 3ème mandat qui hante les esprits. Ce, d’autant que les constitutions limitent les mandats.
Ce dimanche 23 février, l’ancien Premier ministre Mouhamad Boun Abdallah Dionne a relancé la polémique à Guédiawaye où se tenait un forum des jeunes de l’Alliance pour la république (Apr). Le secrétaire général de la présidence de la République a déclaré que «l’histoire du Président Macky Sall avec les Sénégalais n’est pas terminée. Elle se poursuivra jusqu’en 2035». Des propos sans équivoque et pas aussi flous que le fameux «en principe» d’Ismael Madior Fall, constitutionnaliste et conseiller du chef de l’Etat, qui au cours d’une interview avec le journal Enquête, avait nuancé l’impossibilité d’un 3ème mandat pour Macky Sall.
Sur Itv ce lundi 24 février, Abdallah Dionne a remis une bonne couche. Mais cette fois, c’est pour remettre en cause le principe de la limitation des mandats. En clair, l’actuel secrétaire général de la présidence s’est lancé dans des contorsions dont l’objectif avoué est de nous entraîner dans du juridisme de manière à pouvoir lancer un débat sur le 3ème mandat : «Je ne vais pas me dérober sur cette question. C’est une question qui parait difficile, mais, en fait, elle est difficile parce qu’elle n’est pas tranchée au plan international de la doctrine par les juristes. La question de la durée et du nombre de mandats est une question extrêmement difficile». «Regardez le droit constitutionnel, qu’est-ce qu’il dit ?», s’interroge-t-il. Avant de s’adonner à «un benchmark au plan mondial». «Les pays où il n’y a pas de limitation sont beaucoup plus nombreux que les pays où au niveau de l’exécutif, il y a une limitation», relève-t-il. Où tout cela nous mène-t-il, devrions-nous lui rétorquer ? Ou encore, quelle est la suite de tout cela ?
Poursuivant son argumentaire, Boun Abdallah Dionne de s’interroger : «Les représentants du peuple, est-ce que leurs mandats sont limités dans le temps ? On peut être député pendant 50 ans en représentant le peuple. Se pose la question du mandat représentatif : au niveau de l’exécutif, un autre pouvoir, pour le chef de l’Etat, ou le chef de gouvernement dans la minorité des pays, où il est limité, est-ce pertinent ou pas?». Nous préférons parler du mandat du président de la République pour le moment, devrions-nous lui rétorquer. La posture la plus méthodique étant de résoudre un problème après l’autre. L’équation du moment étant celle du mandat du président de la République déjà réglée par la Constitution, à quoi bon s’interroger !
A la question de savoir s’il encourage le Président Macky Sall à briguer un 3e mandat, là surprise, Dionne nuance son propos : «Je ne parle pas du Président Macky Sall. Est-il pertinent d’abord de limiter le nombre de mandats ? C’est une question. Au plan de la doctrine, il faut réfléchir, pourquoi ce n’est pas valable au niveau du législatif ? Personne ne s’est posé la question de savoir. Un représentant du peuple, pourquoi on ne limite pas ses mandats ?»
Stratégie élaborée ou ballon de sonde ?
Des interrogations quant à la pertinence de limiter les mandats qu’Abadallah Dionne devra seul se poser dans son coin. Est-il question ici de s’interroger sur les mandats des autres pays ? Assurément non. Les autres pays ont leur Constitution, leurs lois et règlements. Ce qui est également le cas du Sénégal qui a sa Constitution, ses lois et règlements. Ce qui en fait un pays différent d’un autre. Mais à la vérité, cette interpellation est loin d’être sérieuse et respectueuse vis-à-vis des Sénégalais. Pour qui l’ancien Premier ministre prend-il les Sénégalais ? Il cherche à susciter un débat qui n’en est pas un, alors même que Macky Sall avait récemment interdit toute allusion au sujet du 3ème mandat dans ses rangs. La preuve par l’éviction de Sory Kaba de son poste et l’exclusion de Moustapha Diakhaté des rangs de l’Apr. Dionne connaîtra t-il le même sort ? Il faudrait être bien naïf pour croire que Boun Abdallah ose à ce point braver l’interdit du président et prendre le risque d’entretenir un tel débat sans l’onction de celui-ci ? Macky Sall est pourtant bien en faveur de la limitation des mandats. Du moins jusqu’en 2014.
Ainsi va la politique sous nos tropiques. C’est ainsi que nos politiques procèdent lorsqu’ils cherchent à susciter un débat, en sachant pertinemment que les opposants et acteurs de la société civile vont ruer dans les brancards. Ce qui leur permet de l’entretenir d’autant plus facilement et l’imposer à tout le monde.
La corrélation entre l’annonce faite à Guédiawaye devant les jeunes du Cojer et ce glissement sur la pertinence de la limitation des mandats, n’est donc guère fortuite. Elle semble relever d’une stratégie élaborée. L’horizon 2035 fixé par Dionne est tout aussi cohérent avec la non limitation des mandats. Tout ceci obéit donc à une logique de progression et d’évolution dans le discours sur un sujet que l’on veut mettre au-devant de la scène. Rien donc d’étonnant que Mohamed Dionne prenne en charge la question puisque depuis son éviction du poste de Premier ministre qui lui a donné le tournis, il cherche à donner des gages, des gages et encore des gages. Il est prêt à tout le bonhomme et ne semble reculer devant rien. Il ne daigne même plus s’entourer d’un quelconque scrupule. Il avance comme aveuglé par une volonté inébranlable de satisfaire le moindre désir de Macky Sall. Celui qu’on désignait comme le technocrate rigoureux et compétent, est tombé bien bas. N’a-t-il pas récemment, dans une sortie au vitriol, tenté de jeter le discrédit sur des membres des corps de contrôle ? C’était suite à la sortie du livre de Pape Alé Niang consécutive à la publication du rapport de l’Ofnac. Une posture jugée irrespectueuse et anti-républicaine.
Que pouvons-nous dès lors attendre de la part d’une personnalité politique qui se conduit de la sorte ? Nous osons croire qu’ils ne pousseront pas le bouchon au point qu’Ismaël Madior Fall sorte tout d’un coup de sa léthargie pour nous sortir que la majorité des pays, de par le monde – comme l’a d’ailleurs souligné Dionne dans son argumentaire – n’ont pas adopté la limitation des mandats. Abdallah qui vient d’effectuer son benchmark des pays qui appliquent la limitation des mandats et nous a affirmé qu’ils sont moindres ! En tout état de cause, 2035, l’horizon de «l’histoire pas terminée du Sénégal avec Macky Sall» qu’il a fixé, est beaucoup trop long, mais il est exactement celui du Pse. Qui disait que le Sénégal n’est pas un royaume ?
Mais la manœuvre pour construire ce scénario digne d’Hollywood n’est pas à ses débuts. Macky Sall avait en réalité commencé par freiner toute ambition dans ses rangs en résumant la situation en des termes bien astucieux, mais suspects au demeurant. Il avait fait comprendre que le pays serait à l’arrêt s’il annonçait qu’il ne se présenterait pas.
La semaine dernière Mambaye Niang est sorti subitement des bois après avoir disparu des radars pendant un bon bout de temps. Le soldat de Macky Sall de toujours qui était de tous les assauts contre les détracteurs de son patron, a fait des sorties musclées en vue de débusquer les «traîtres encagoulés». Des allusions sont faites et certains journaux ont même annoncé des noms. On tente de créer l’équilibre de la terreur comme pour tétaniser ceux qui tenteraient de faire une échappée solitaire voire un coup de force.
Sur la question du dauphinat, le Président Sall avait de toute façon mis les points sur les i, expliquant que le Sénégal n’est pas au royaume et que par conséquent, il ne saurait transmettre le pouvoir à qui que ce soit. Citant son cas en exemple, il avait informé qu’il s’est battu pour arriver au pouvoir. Une manière de dire pourquoi il l’offrirait sur un plateau d’autant qu’on n’est pas dans un royaume.
Seulement, il avait omis de nous dire ce qu’il compte faire de la Constitution qui est au-dessus de tout et qui est censée régir la vie du pays ainsi que le mode de dévolution du pouvoir ? Le fait est que la perspective d’une cohue dans ses rangs, ne peut, à elle seule, suffire pour expliquer sa posture clair-obscur. «Je ne dirai ni oui, ni non», avait-il asséné.
L’on peut se demander dès lors si ses opposants et partisans qui aspirent eux aussi à diriger le pays, pousseront la naïveté jusqu’à se faire surprendre au dernier moment ? D’autant plus qu’avec le récent débat sur le manque de clarté des textes, ses conseillers juridiques pourraient bien lui trouver une brèche dans laquelle s’engouffrer. Ismaël Madior Fall que ses détracteurs ont fini de dénommer «tailleur constitutionnel» est un conseiller encore plus proche de Macky Sall.
Avec Macky Sall, manœuvrer est une seconde nature. Politicien nourri au lait de la gauche et de Me Wade, sa posture devient tout à fait naturelle. Avec les sorties de Mambaye Niang et ces jeunes de la Cojer, Macky Sall cherche à ne pas en douter, à casser toute velléité de candidature visible ou cachée, tout en jouant la montre. Ses opposants tout comme les potentiels candidats savent bien qu’une élection ne se prépare pas en une voire deux années. Ceux-là ne voudraient pour rien au monde se laisser surprendre. Tous les politiques aguerris savent également bien que la politique est une affaire de rapports de force et non de communiqués de presse ou de réseaux sociaux. Ils savent donc à quoi s’en tenir.
Mais pour l’heure, Macky Sall a donné à la partie la moins significative de la classe politique, l’os à ronger du dialogue national où il veut certainement entraîner les opposants les plus en vue. Aussi a-t-il choisi la méthode douce, celle qui consiste à les caresser dans le sens du poil. Ce dimanche 23 février, lors d’une rencontre avec Idrissa Seck, à la cérémonie d’hommage à Ousmane Tanor Dieng organisée par le Parti socialiste (Ps), il lui adressé un gros clin d’œil et fouetté son orgueil. «Je salue mon cher aîné, Idrissa Seck, mon frère Malick Gackou et tous les autres. Je voudrais vous dire qu’au-delà de la diversité de nos trajectoires, nous avons en commun la seule et grande référence qui est ce pays, qui est le nôtre. Cette terre de nos ancêtres. Il faut bien que toutes les contradictions soient dissoutes dans l’unité autour de la grandeur de notre nation», a dit Macky Sall. Poursuivant, il souligne : «De Senghor qui l’a appelé auprès de lui, d’Abdou Diouf que je salue au passage qui en a fait son premier collaborateur, mais aussi je peux le dire en témoignage du président Abdoulaye Wade, qui bien que n’étant pas du même bord que lui, avait pourtant beaucoup de respect et de considération pour le président Ousmane Tanor Dieng.» «Le Premier ministre Idrissa Seck en est témoin et j’en suis témoin», a insisté le chef de l’Etat.
Le président ne chercherait-il pas finalement à effacer la limitation des mandats en la faisant endosser par le dialogue national ? Déjà en décembre 2019, Serigne Mbacké Ndiaye projetait de défendre au dialogue national, une proposition portant sur la suppression de la limitation des mandats. Et si cela devenait une réalité. Avec Macky Sall, la politique reprend toujours ses droits. A peine a-t-il fini d’enfourcher un cheval qu’il monte sur un autre. Mais attention à ne pas se prendre dans son propre jeu.