Ndeye Fatou Fall, dite Falla Fleur, reprend son téléphone et se connecte à sa page Facebook pour suivre les derniers événements de la crise sénégalaise déclenchée par le report de la présidentielle par le président Macky Sall.

« Les arrestations recommencent. Ils prennent tout le monde. Là, c’est le député Abass Fall qui vient d’être arrêté », souffle cette activiste très suivie sur les réseaux sociaux en montrant une publication d’une page proche du parti dissous d’Ousmane Sonko, figure de l’opposition aujourd’hui incarcérée.

Plusieurs centaines de membres de l’opposition, plus d’un millier selon certaines organisations de défense des droits, ont été arrêtées depuis 2021 et la lutte de pouvoir qui oppose M. Sonko, mis en cause dans plusieurs procédures judiciaires, et le président Sall.

Bassirou Diomaye Faye, remplaçant à la présidentielle de M. Sonko dont la candidature a été invalidée, est lui aussi en prison depuis 2023 à la suite d’un message sur Facebook critiquant les magistrats.

Les manifestations à l’initiative de cette opposition antisystème sont systématiquement interdites. Tous les rassemblements visant à protester contre le report de la présidentielle ont été étouffés, avant même d’avoir commencé.

Détermination

« A présent, tout le monde se rend compte que Macky Sall est un dictateur », affirme Falla Fleur, un béret vert recouvrant un voile noir arrangé avec soin ; une balafre sous l’oeil droit, souvenir d’un éclat reçu lors d’une manifestation en 2021.

La jeune femme, suivie par plus de 76.000 personnes sur Facebook, est devenue l’une des figures de la lutte pour le départ du président Sall, dont l’Assemblée nationale vient de prolonger le mandat après avoir reporté la présidentielle à fin 2024.

Juste avant les troubles meurtriers qui avaient suivi la condamnation de M. Sonko en 2023, elle avait été arrêtée et placée en détention pour son activité sur les réseaux sociaux. Elle a été libérée en novembre, perdant son emploi, mais pas sa motivation.

« Personne ne peut m’intimider. Si c’est le prix à payer, je suis prête à retourner en prison », malgré les injustices et des cellules surpeuplées, assure-t-elle, persuadée que les Sénégalais ne laisseront pas faire ce qu’elle dit être « un coup d’Etat » de Macky Sall.

La détermination des militants à poursuivre le combat ne saurait cacher l’abattement qui a gagné les détenus et leur famille à l’annonce du report de la présidentielle.

« Ce qui réconfortait les détenus, c’est que c’étaient bientôt les élections. Qu’est-ce que je vais leur dire maintenant ? », s’interroge Papis Djim, 28 ans, membre d’un collectif de familles de détenus. Son frère est en prison depuis plus d’un an.

« Toutes les familles de victimes mettaient tout leur espoir dans les élections ». Quand il y a eu l’annonce du report, « il y a eu beaucoup de messages de tristesse ». « Ce report est synonyme de prolongement de la détention pour les détenus politiques », affirme-t-il.

Le jeune homme leur vient en aide en leur apportant des vivres et en les mettant en relation avec des avocats. Il explique que tous les détenus souhaitent être jugés. « Certains d’entre eux ne savent même pas ce qui leur est reproché », dit-il.

Détention prolongée

Comme le rappelle l’ONG Human Rights Watch, « le parquet et les tribunaux (…) refusent systématiquement la libération provisoire aux opposants politiques et les maintiennent en détention provisoire prolongée, en violation du droit international ».

Les accusations les plus courantes portées contre les opposants sont les actes susceptibles de compromettre la sécurité de l’État, les appels à l’insurrection, la diffusion de fausses nouvelles, le complot en vue de commettre des actes terroristes et la diffamation.

Le gouvernement assure sévir contre les fauteurs d’instabilité. Il conteste l’existence de prisonniers politiques.

« Le Sénégal est un pays de droits, un pays de libertés, où toutes les libertés sont exercées sans entraves », disait en janvier la ministre de la Justice Aïssata Tall Sall à Genève devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Elle a affirmé l’indépendance des tribunaux.

Une vision très éloignée de celle de Rokhaya Ndiaye, 50 ans. Comme tous les mardis et jeudis, elle rend visite à son fils Pape Abdoulaye Touré, détenu à Dakar.

Leader d’un mouvement étudiant contestataire, il a été exclu de l’université de Dakar puis arrêté en 2023. Une vidéo le montre ce jour-là très affaibli, aux mains d’hommes en uniforme non identifiés.

Son cas a été documenté par Amnesty International. Seydi Gassama, directeur exécutif de l’ONG au Sénégal, a soutenu à l’AFP qu’il avait été sévèrement maltraité par la gendarmerie, subissant plusieurs fractures. Il dit avoir saisi l’ONU sur son cas.

Pour sa mère qui raconte son histoire, saisie d’émotion, « cette façon de faire de la politique est nouvelle au Sénégal ». Désormais, son vœu le plus cher est de voir son fils sortir de prison.