C’était comme écrit, pour chercher à se présidentialiser, Ousmane Sonko a été obligé de se renier, de renier ses «convictions» portées en bandoulière et même de renier les siens. L’entretien qu’il a accordé à deux journalistes de France 24 et de Radio France internationale (Rfi), diffusé le 6 janvier 2023, est un condensé de reniements. Ce furent quatorze longues minutes de reniements ; décidément, un lourd prix pour chercher à plaire à… la France.
Se faire accepter par la France vaudrait-il autant de sacrifices ?
Le leader du parti Pastef avait juré de ne plus jamais s’adresser aux médias publics français, comme Rfi et France 24, qu’il accusait d’être les porte-voix de la France à travers le monde, particulièrement de sa politique «néfaste» en Afrique. Il ajoutait à sa liste de médias bannis, des journaux comme Le Monde, Le Monde Diplomatique et Jeune Afrique. Ces médias avaient eu l’outrecuidance de donner la parole à la jeune dame Adji Sarr qui accuse Ousmane Sonko de viols et d’autres sévices sexuels dans un lupanar. En acceptant de s’adresser donc à France 24 et Rfi, Ousmane Sonko revient sur ses résolutions, alors que rien n’a changé sur ce registre.
Sans doute, pour se donner bonne conscience, il a essayé de distiller de manière sibylline, au cours de l’entretien, que ces médias, notamment des responsables de Rfi, auraient eu à lui confier admettre leur traitement déséquilibré de l’affaire Adji Sarr. La direction de Rfi ne pouvait laisser passer cette affirmation et diffusera immédiatement un communiqué pour s’inscrire en faux. En effet, nul ne voit Rfi jeter en pâture le professionnalisme et la rigueur morale de ses journalistes.
Ousmane Sonko s’est systématiquement dédit sur le plateau de France 24 et Rfi et a poussé son souci de bienséance en adoptant des postures empruntées, jusqu’à concéder à son punching-ball, Macky Sall, une certaine révérence. Ainsi, il a pu surprendre quand il s’évertuait à chaque fois à servir du «le Président Macky Sall» ou du «le président de la République». Il ne nous avait pas habitués à autant de respect et de considération dans son langage à l’endroit du chef de l’Etat.
Les journalistes Marc Perelman et Christophe Boisbouvier se sont montrés incisifs. Ils ont démarré l’entretien par la question qui fâche, celle des accusations de viols. Histoire de montrer d’entrée de jeu qu’aucun cadeau ne sera fait à l’hôte du jour ? Ousmane Sonko a accepté de répondre sans broncher à cette question, encore qu’il a eu à rabrouer un journaliste sénégalais qui l’avait interpellé sur le sujet. Ousmane Sonko considérait que c’était, de la part du journaliste sénégalais, un manque de respect que de lui poser une pareille question. Mais devant le plateau des médias français, il n’a pas fait la moindre objection devant cette question. Le complexe du Blanc ou bien devrait-on considérer que quand on se résigne à avaler des couleuvres, aucune n’est trop grosse ? Qu’à cela ne tienne ! Les relances, remarques et piques des intervieweurs ont aussi été des plus assassines ; comme sur le test Adn qui «reste la voie ultime pour clore cette affaire» ou pour «clarifier définitivement cette affaire» ou encore sur les graves accusations de complot dans lequel la France aurait trempé, à en croire le leader du parti Pastef. Dans ses réponses, il a éludé cette dernière remarque ou avalé sa langue. La France ne serait plus partie prenante au complot laisserait-il ainsi deviner. Le comble pour un candidat à l’élection présidentielle est de commencer à répondre à une interview par une question sur une accusation de viol et son refus de faire un test Adn qui allait clore le débat sur cette affaire !
En outre, le plus surréaliste, pour ceux qui pouvaient croire que Ousmane Sonko allait rester droit dans ses bottes, est qu’il a enfermé, à double tour, dans le guéridon sur lequel il a posé de manière ostentatoire un poster du capitaine Thomas Sankara, toute la rhétorique guerrière contre la France. Pas une fois, il ne s’en est pris à la France. Au contraire, il a osé dire : «Nous n’avons rien contre la France !» Assurément, son allié Guy Marius Sagna et les autres membres du mouvement «Frapp-France Dégage» apprécieront cet autre reniement.
Ousmane Sonko a cherché à donner des gages pour trouver la France fréquentable et a renié la politique pro-russe des militaires putschistes au Mali ou au Burkina Faso ou les slogans des «Transformateurs» au Tchad. Il leur a fait la leçon, quant aux drapeaux russes qui flottent régulièrement dans les rassemblements pour vouer aux gémonies la France et les partenaires occidentaux. Il en a véritablement dit plus que ne pouvaient espérer de lui des diplomates français.
Les journalistes de France 24 et de Rfi, pince-sans-rire, ont mis Ousmane Sonko en face de ses déclarations antérieures sur la France. Il a toujours soutenu que «nos relations avec la France devaient cesser et non changer de format», que «le colonialisme français avait assez duré», que «la France doit lever son genou du cou des Africains», faisant sans doute allusion à la technique policière brutale, devenue tristement célèbre après la mort de George Floyd. Il s’est gardé de prononcer ses mots fétiches : «colonialisme» ou «néocolonialisme» ou «impérialisme français». Il n’a pas non plus cité la moindre entreprise française opérant en Afrique, surtout pas Total, Eiffage ou Auchan, alors qu’il les accusait de sucer le sang des Africains et les désignait du doigt à la vindicte populaire en mars 2021 et par la suite. En effet, on ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu ! Il est aussi étonnant ou effarant de voir Ousmane Sonko s’interdire sa rengaine contre le franc Cfa, «monnaie coloniale», responsable de tous les maux des pays africains qui continuent de l’utiliser. Ousmane Sonko mettait sur la balance le sort des pays africains colonisés par la France et celui des autres pays colonisés par les Britanniques. Dans son entendement, les anciennes colonies britanniques s’en sortiraient mieux. L’actualité de ces derniers jours, avec la retentissante débâcle économique et monétaire du Ghana, un pays jadis régulièrement cité en exemple, montre que l’herbe n’est pas toujours plus verte chez le voisin.
Aussi, n’avait-il eu de cesse de faire des offensives de séduction ou des appels du pied à la Russie. Le nouvel Ousmane Sonko en arriverait maintenant à douter de la maturité des alliés russes en Afrique, quand il en juge par leurs méthodes et approches.
Une opération séduction perdue d’avance
La sortie médiatique de Ousmane Sonko ne devrait pas avoir l’effet escompté. On se retrouve dans la situation que nous avions décrite dans une chronique, en date du 13 décembre 2021, intitulée : «De France dégage » à «France sauve nous». Mais assurément, personne ne devrait s’y tromper. On ne voit pas la France être si naïve au point d’accorder du crédit à des dénégations aussi désinvoltes et subites de Ousmane Sonko. Son hostilité maintes fois répétée à l’endroit de la France a nourri son discours politique mâtiné d’un populisme on ne peut plus démagogique. Toute personne qui pouvait trouver un quelconque mérite à la France, passait aux yeux des «patriotes» pour être un valet de la France, un renégat aux intérêts de l’Afrique. Cette posture revancharde a pu leur attirer la sympathie de quelques élites intellectuelles ou politiques africaines qui avaient de vieux comptes personnels à régler ou solder avec la France ou ses citoyens. Ousmane Sonko a ravalé ses diatribes, pour ne pas dire son vomi de la France.
Pour autant, une banale interview arriverait-elle à effacer tout le passif et assurer de refonder de nouvelles relations ? Au demeurant, cet exercice médiatique a révélé, si besoin en était encore, l’incohérence ou l’inconstance de Ousmane Sonko dont les positions valsent au gré de ses humeurs ou de ses lubies. Ousmane Sonko a même pu paraître pathétique en donnant l’occasion au «système» de le tourner en dérision, pour ne pas dire de le ridiculiser. Quel crédit accorder à un personnage de cet acabit ? Voilà qu’il est prêt à se renier en tout, à adopter toutes les contritions, pour être bien vu par la France, un pays auquel il n’avait rien épargné ! De toute façon, sa stratégie de présidentialisation (inspirée de la sauce «Marine Le Pen») par le truchement de médias français ne saurait prospérer. En France, l’histoire contemporaine montre que Dominique Strauss Kahn, qui avait le vent en poupe pour remplacer Nicolas Sarkozy en 2012, avait vu son destin présidentiel se fracasser sur l’opprobre d’accusations de viol portées par Nafissatou Diallo, une employée d’un hôtel new-yorkais.
De même, l’autre président élu avant l’heure par les sondages d’opinions, François Fillon, a été stoppé net dans sa marche vers l’Elysée en 2017 par une inculpation par un juge français. Le Président François Hollande s’était résigné à renoncer à se représenter en 2017, une fois que ses escapades à bord d’un scooter pour des rendez-vous galants avaient été révélées par les médias. C’est dire que Ousmane Sonko, qui a le malheur de rassembler toutes ces trois fautes (accusations de viols, escapades nocturnes, inculpation judiciaire), aura beau donner tous les gages qu’il ne sera plus pris au sérieux dans les milieux français. C’est justement la raison pour laquelle il n’aurait pas dû perdre son âme dans cette opération séduction qui sera fatalement infructueuse. Si la France a pu prendre quelque part Ousmane Sonko pour un ennemi, elle peut se féliciter que ce dernier se soit livré pieds et poings liés. Il serait désormais malvenu d’accabler la France. Après avoir regardé cet entretien, j’ai eu une discussion avec un responsable de Rfi qui se réjouit que Ousmane Sonko ait fini par réaliser que «Rfi et ses journalistes ne font que leur travail et ne peuvent être ignorés».
Est-il besoin de rappeler que les chaînes de radio et de télé ainsi que les journaux sénégalais attendent toujours que Ousmane Sonko daigne leur accorder une interview ? Lui qui ne rate jamais une occasion de faire parler de lui, préfère des médias littéralement couchés à ses pieds, à boire ses paroles sans aucune réplique ou relance, à l’image de ces nombreuses «télés patriotes» du web. Ce qui lui évite de se retrouver face à des organes de presse crédibles et ayant pignon sur rue, qui pourraient avoir la mauvaise idée de lui poser des questions qui fâchent… et en wolof !
Par Madiambal DIAGNE