Aujourd’hui nous revenons sur la pensée de Mamadou Dia. Ses relations avec certains marabouts, les répercussions de sa politique et la diabolisation dont il a fait l’objet. Je rappelle que ce présent article est un extrait de l’autobiographie de Mamadou Dia. Les titres et sous-titres ont été ajoutés pour permettre au lecteur une plus large compréhension.
– Projets pour l’Islam…
J’avais entrepris une campagne de clarification sur l’Islam.
Notre conviction était – et reste – que pour que l’Islam demeure un facteur de libération nationale et de développement, il devrait s’épurer des scories qui faussent et vicent son humanisme et son message. Cela était une exigence de l’heure. Avions-nous, très tôt, œuvré dans ce sens :
1) En participant dans la bataille de l’enseignement de l’Arabe :
– intervenant comme sénateur et comme grand conseiller de l’A.O.F., en faveur de l’enseignement de l’Arabe considéré par l’administration coloniale et par l’école laique comme langue de subversion et rivale dangereuse ;
– en multipliant des bourses et allocations scolaires dès la première année d’indépendance ;
– en octroyant des bourses dans les pays arabes ès le gouvernement de la loi-cadre ;
– en introduisant l’enseignement facultatif de l’arabe dans le primaire et en soutenant les écoles arabes privées, notamment en Casamance et dans la région du Fleuve ;
– en créant l’institut islamique de Dakar qui devait être un institut de recherche et de formation, l’embryon d’une Faculté de Sciences et de théologie islamiques.
2) Par une action en faveur de l’édification d’une société islamique rénovée :
– en luttant contre les ennemis de la société islamique : l’alcoolisme, la drogue, la prostitution, les maisons de jeu (casinos et loterie nationale) ;
– en favorisant l’éducation islamique par l’inauguration des émissions radiophoniques ;
– en concevant un projet de création d’un Conseil Supérieur Islamique qui devait prendre en charge tous les problèmes concernant les communautés musulmanes : code de la famille conforme à la charia, organisation du pèlerinage aux lieux saints de l’Islam, organisation des fêtes musulmanes, de l’enseignement et de l’éducation islamiques, élaboration d’une charte islamique qui pourrait comporter l’organisation des relations entre communautés intérieures et communautés extérieures. D’où notre projet d’une Conférence islamique qui provoquera la levée de boucliers dont on se souvient.
Il est vrai que les ennemis de l’islam au Sénégal, en utilisant certains marabouts complètement dépersonnalisés, et les déviations qui ont donné naissance à des mœurs établies par le système Colonial, j’ai, comme musulman, essayé d’opérer un redressement. C’est ainsi, que, moi-méme, je m’en suis occupé, par-dessus le Ministre de l’Intérieur, qui jusque-là, était chargé des relations avec les marabouts. Je considérais que c’était une affaire trop importante sur le plan politique. ; que si on voulait avancer, que si on voulait que l’Islam devienne un facteur de progrès et de développement, il convenait courageusement de favoriser le retour à un Islam pur, un Islam aux sources.
J’ai, alors, considéré que la meilleure façon de restaurer l’Islam c’était restaurer l’enseignement religieux, l’enseignement Islamique. Je pensais que les Ecoles Coraniques telles qu’elles fonctionnaient n’y suffisaient pas ; qu’on ne pouvait pas se contenter, non plus, d’envoyer des étudiants à l’extérieur, qui revenaient avec de nouvelles mentalités qui n’étaient pas du tout africaines. Il fallait plutôt reprendre la question par le biais de l’enseignement de la langue su Saint-Coran, en l’introduisant dans les écoles.
Il le sera dans les écoles primaires, secondaires. Ensuite j’ai pris la décision de créer l’Institut d’études islamiques, de façon que l’Islam se réhabilite comme religion d’étude, une religion éclairante formant des musulmans éclairés.
Evidemment un tel programme ne pouvait plaire à une certaine catégorie de marabouts adeptes de l’obscurantisme.
Sur la même lancée, seront prises un certain nombre de lois comme celles qui tendaient à réprimer des pratiques rétrogrades et ruineuses dans le domaine du mariage, des cérémonies familiales. Je voulais faire codifier des dispositions nouvelles et conformes à la tradition coranique et à la souna. D’où le projet de Code de la famille qui a été, par la suite, complètement dénaturé (…)
– Mamadou Dia et les relations avec les Marabouts
· Seydou Nourou Tall
J’ai déjà dit qu’une certaine catégorie de marabouts m’était hostile : c’étaient tous ceux que menaçait la politique de libération paysanne, par l’éducation populaire et la conscientisation des masses. Ce n n’était pas le cas de ceux qu’on appelait – qu’on appelle encore – les grands marabouts. J’entretenais, généralement, avec ces derniers, d’excellents rapports jusqu’à la crise de 1962. Je m’étais lié d’amitié avec El Hadji Seydou Nourou Tall depuis la « période de Saint-Louis » dans des circonstances que j’ai racontées dans mes « lettres d’un vieux militant ». Il me traitant en fils. Il me disait « Pour moi tu n’es pas un Diamais un Tall, un petit fils de Oumar Seydou Tall ». Il vouait à Senghor une affection, à vrai dire, plus calculée. Il nous a soutenus, avec les Califes Babacar Sy et Falilou Mbacké, dès la création du Bloc Démocratique Sénégalais.
Lors de la crise de la Fédération du Mali, il s’est rangé à nos cotés ; malgré ses attaches maliennes, après nous avoir encouragés- détail historique important- à suivre nos partenaires du Mali à qui revient l’initiative de la proposition de négocier pour l’indépendance. On le voit, à la différence de la plupart des marabouts, Seydou ne manquait pas de sens politique. Il ne recevait pas de subsides du pouvoir. Il se plaisait à m’offrir de l’argent de temps en temps, en disant malicieusement : « tu es pauvre, il faut que je te paye un costume ». Le lui refuser eut été un affront, un crime de lèse-majesté. Mais, c’était un homme autoritaire, très interventionniste, bien soucieux de son prestige personnel. Sur ce plan, il était loin de toujours rencontrer satisfaction. S’il a basculé du coté de Senghor en me sacrifiant, c’est qu’il a choisi entre deux tempéraments, compte tenu du sien, celui qui semblait l’arranger. La propagande des adversaires qui avaient fabriqué une liste où il figurait parmi les personnalités à arrêter acheva le reste. Lui-même découvrira qu’il a été joué ignominieusement et regrettera tout le reste de ses jours.
· Falilou Mbacké
Le Calife Falilou Mbacké, lui, était plus nettement Senghoriste. Son soutien, pour le Parti et le gouvernement, était, avant tout, un soutien à Senghor. Pour lui, Senghor c’était l’anti-Lamine Guèye, donc l’anti-Cheikh Mbacké. C’était cela son équation, dès le début de la lutte contre le SFIO. M’ayant adopté comme ami de Senghor, sa confiance ne pouvait être que conditionnelle. C’est pourquoi ; malgré les services importants que je lui ai rendus- services que Senghor lui refusera après- il sera sensible à la campagne de calomnies de mes adversaires. Le Saint homme découvrira, lui aussi, qu’il a été victime d’une manipulation diabolique.
Des adversaires qui ne désarment pas- c’est leur droit- se plaisent à imaginer un soi disant malentendu entre la collectivité mouride et moi.
Si je ne craignais pas trop de remuer trop de boue et de troubler certaines consciences j’aurai relaté dans le détail, comment on avait échafaudé une machination policière de la plus basse catégorie, pour faire croire au Calife Fallilou Mbacké, cette histoire incroyable d’arrestation qui le viserait personnellement. Je me contenterai d’évoquer, pour le moment, cette fameuse lettre fabriquée de toutes pièces, dont la paternité était attribuée au chef du Gouvernement que j’étais ; lettre que ce dernier aurait adressé- tenez vous bien- directement au chef de la gendarmerie de Mbacké, en personne, pour lui donner l’ordre de procéder à l’arrestation du Calife des Mourides. Machiavel n’aurait pas fait mieux ! Depuis, les langues se sont déliées : l’utilisation des imprimés de la Présidence du Conseil, le Vol du cachet du Chef de Gouvernement et l’imitation de la signature.
Les langues se sont déliées pour raconter l’abject scénario dont il n’est pas opportun de dérouler toutes les séquences.
Tout cela dans le sombre dessein, non seulement de rallier le chef mouride à une certaine cause, mais de provoquer des émeutes violentes qui auraient mis le pays à feu et à sang.
Ce qu’il importe de savoir, c’est que bien qu’affilié, dès ma prime jeunesse, à la Confrérie tidianiya, j’ai toujours voué au mouridisme et à son fondateur une fervente admiration, et que, chef de l’Exécutif, je n’ai pas fait, pour ma confrérie, ce que j’ai fait pour la confrérie mouride : c’est en effet, pour elle- et pour elle, seulement- que j’ai accordé l’aval du gouvernement pour une demande de prêt à l’ex-bao, destiné à financer la dernière tranche des travaux de gros œuvre de la mosquée de Touba, me substituant, ainsi, à une promesse non tenue du gouvernement français au lendemain du référendum de 1958.
J’aurais pu également évoquer toute la stratégie déployée alors pour créer la suspicion, voire l’hostilité des milieux religieux envers moi. On avait convaincu le Calife que la politique de création et de vulgarisation des champs collectifs de mon gouvernement visait la destruction des « champs-du-mercredi » ou « toolu alarba »- cette expression prometteuse du travaillisme mouride. Mon acharnement à consolider les coopératives paysannes avait été, également, présenté comme une volonté de saper l’autorité que la chefferie religieuse exerçait sur le monde rural. On ira plus loin puisqu’on n’hésitera pas à jouer sur la susceptibilité des confréries pour faire croire à un choix sectaire, une marque de mésestime envers les mourides le fait d’avoir prononcé à Tivaouane- et non à Touba- une allocution qui- à la vérité- dérangeait certains. Dans cette allocution qu’avais-je dit ? Jinvitais les chefs religieux à s’organiser (comme je le fais encore aujourd’hui) pour être en mesure de prendre en charge des projets sérieux de développement qui allaient ou qui pouvaient leur être confiés. Pour se concerter sur les questions du culte afin de préparer librement, une délégation représentative qui parlerait au nom de Sénégal Musulman.
· Cheikh Ibrahim Niasse
Quant au Chekh Ibrahim Niasse, j’avais fait sa connaissance dès le début de mon séjour, à Fatick, alors qu’on m’avait beaucoup parlé de lui, comme Maitre soufi. Je le fréquentais. Il m’avait séduit par son érudition et son ouverture d’esprit. Mais nos relations allaient se refroidir avec la séparation d’avec Lamine Guèye et la création du B.D.S. Musulman orthodoxe il prit parti pour le musulman Lamine Guèye contre le catholique Senghor. Adversaire personnel de Ibrahima Seydou Ndao, il donnera du fil à retordre au Parti dans le Sine-Saloum, notamment dans le secteur de Keur Madiabel qui était son fief natal. Il sera, avec, avec Cheikh Tidiane Sy et Ibrahima Seydou Ndao pour des raisons tactiques, l’un des principaux cerveaux du Parti de la Solidarité Sénégalaise, s’opposant au Bloc Populaire Sénégalais (B.P.S.) aux élections de l’assemblée territoriale de 1952. Il ne fit la paix avec le parti qu’après le ralliement de Lamine Guèye. C’est, alors, que nous avons renoué, lui et moi. Mais la confiance ne régnait pas pour autant entre lui et Senghor. Celui-ci n’arrêtait pas de se plaindre de ses « fructueux déplacements », au Nigéria et dans les pays arabes. Bien que je fisse la sourde oreille oreille à ces récriminations, on ne manqua pas, dans le cadre de la campagne d’intoxication, de faire croire au Cheikh que je voulais lui interdire de sortir du Territoire. Un conflit qui l’opposait à la branche des Niasse de Léona amena le ministre de l’Intérieur Valdiodio Ndiaye à prendre des mesures d’ordre à son endroit. C’était assez pour en faire un adversaire du gouvernement et de son chef et, donc, un ami de Senghor. Mais qui connait l’intégrisme de Ibrahima Niasse, sait, aussi, qu’il ne pouvait s’agir que d’une alliance de circonstance.
Au lendemain de ma libération, j’ai eu l’occasion de la rencontrer pendant la maladie qui l’a emporté ; j’ai pu me rendre compte que chez lui, aussi, le temps avait fait son œuvre et qu’il avait compris qu’on l’avait trompé. (…)
Notre conviction est, encore une fois, que seul un Islam Sénégalais délivré de toutes les perversions et de tous les néocolonialismes sera capable de devenir, ainsi, un facteur de libération national et de développement. L’éducation sera le domaine dans lequel il agira avec les plus heureux effets. Car, tout commence par l’éducation. Pour le musulman il n’y a point de doute que l’éducation islamique est la voie promotionnelle par excellence.
Mamadou Dia, Mémoires d’un militant du tiers-monde, Paris, Publisud, 1985, pp 130-137
Par Bathie Samba Diagne
Etudiant au departement d’histoire Ucad
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