Pour mieux comprendre cette affaire, revenons sur l’ordonnance de magistrat instructeur et sur les motivations.

Amadou Bâ soutient que sa signature a été imitée pour produire un faux acte de cession

En fait, il s’agit de deux procédures lancées par Amadou Bâ, actionnaire majoritaire de Carrefour Automobiles et propriétaire de Locafrique SA. La première est une plainte devant la Section de Recherches, le 19 mars 2019, pour association de malfaiteurs, faux et usage de faux en écritures privées, escroquerie, abus de biens sociaux contre son fils Khadim Bâ, son ex-femme Oumy Guèye, Ibrahima Diakhoumpa et Abdou Karim Diop. Selon Amadou Bâ, Khadim Ba et sa mère Oumy Guèye et Cie ont établi un faux acte de cession en imitant sa signature, ce qui leur a permis de s’adjuger la majorité des parts d’action de la société Carrefour Automobiles, avant de donner mandat à Khadim Bâ qui s’est chargé de manière frauduleuse de céder les actions détenues par Locafrique SA au niveau de la Société africaine de raffinage (Sar) à Locafrique Holding créée à son insu et dont il ignore les actionnaires. Il assure n’avoir jamais assisté à une réunion de Conseil d’administration. Toujours selon Amadou Bâ, pour justifier son absence lors des délibérations, son fils et ses présumés acolytes se prévalaientd’une fausse révocation. Toujours sur les griefs portés à son fils, le patron de Carrefour Automobiles soutient qu’en se liguant avec des personnes morales ou physiques autres que Locafrique SA, Khadim Bâ et Cie «ont entrainé un appauvrissement du groupe, car ils ne se sont pas assurés de la moindre garantie relative aux capacités financières de ces nouveaux arrivants».

Khadim Ba dégage en touche et jure que tout s’est fait dans la légalité

Pour sa défense, Khadim Bâ a contesté la qualité à agir son père. Selon lui, la cession des actions détenues à la Sar à la société Locafrique Holding s’est faite en toute légalité, puisque le Conseil d’administration a avalisé la transaction en donnant mandat à Ibrahima Diakhoumpa, le Directeur général adjoint, qui a agi conformément aux statuts de la société. Concernant la cession des actions détenues à la Sar à Locafrique Holding, il soutient que c’est une injonction de la Banque centrale qui «exigeait à la première société de se débarrasser de ses partsdont la détention à un taux supérieur à 25% n’était pas permise à l’institution bancaire».Pour lui, c’est pour éviter le retrait de l’agrément.

Son ex-femme Oumy Guèye dit…

Pour sa part, son ex-femme Oumy Guèye a soutenu avoir assisté à l’assemblée générale en sa qualité de secrétaire de séance et de scrutateur. A l’en croire, c’est au cours de l’assemblée du 2 mai 2018 qu’Amadou Bâ a été révoqué et c’est à cette date qu’elle a été désignée administrateur. C’est, dit-elle, son fils Khadim Ba qui l’a convoquée par téléphone à l’assemblée générale.
Ibrahima Diakhoumpa, Directeur général de Locafrique SA, reconnait avoir porté la signature sur l’acte de cession qui a été établi aux cabinets des notaires Me Pape Sambaré Diop et Ngenar Diop. Il assure avoir reçu mandat du Conseil d’administration. Abdou Karim Diop,Directeur général de Locafrique Holding, confirme les parts de 55% d’actions de Locafrique SA dans le capital, alors que la société Kason Finance détient les 45%. Il précise que la revente des actions de Locafrique SA était motivée d’abord par le respect des injonctions de la commission bancaire et ensuite par le bénéfice de trois (03) milliards qui en a été tiré et enfin par sa qualité d’actionnaire majoritaire de la société Locafrique Holding qui lui conférait le pouvoir d’en exercer le contrôle.
Tout le monde a confirmé les mêmes propos devant les enquêteurs et devant le juge d’instruction.

Les motivations du juge sur le non-lieu

Dans son ordonnance de non-lieu, le magistrat a constaté que la plainte de Amadou Bâ portait essentiellement sur la signature qui serait imitée. «L’examen des pièces ne permet de relever aucun document portant une signature attribuée à la partie civile», précise le juge qui ajoute que le «seul document daté du 2 mai 2018 est un acte de cession des actions de Locafrique à la Sar au profit de Locafrique Holding portant la signature de Ibrahima Diakhoumpa, ès qualité de Directeur général adjoint ; que s’il y a une irrégularité dans cette cession d’actions, la sanction est purement civile ; qu’il y a lieu donc de dire n’y avoir lieu à suivre davantage contre Khadim Bâ, Oumy Guèye, Ibrahima Diakhoumpa et Abdou Karim Diop et personnes non dénommées».

La plainte devant le Doyen des juges

Outre cette procédure contre Khadim Bâ et Cie, Amadou Ba avait saisi directement le Doyen des juges, le 3 mai 2019, par une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de son fils l’accusant d’abus de biens sociaux. Selon le Directeur général de la société Carrefour Automobiles, l’entreprise avait vendu du matériel roulant destiné à la Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta (Saed). Et en guise de paiement, deux chèques avaient été remis portant sur 1.462.000.000 francs et 500 millions de nos francs. Et toujours dans ce cadre, la Saed a encore remis deux autres chèques l’un de 592 millions et l’autre de 500 millions. Et selon Amadou Bâ, c’est Khadim Bâ, en sa qualité de Directeur adjoint qui les a récupérés, sans les reverser dans les caisses de la société. Pour ces faits également, Khadim Bâ a dégagé en touche. Certes, il reconnaît avoir endossé les chèques, mais au profit de Locafrique. S’il a agi ainsi, poursuit-il, c’est parce qu’il est le dirigeant des deux sociétés et il l’a fait pour recouvrer des créances que Carrefour Automobiles devait à Locafrique. Au terme de son instruction, le magistrat instructeur a constaté que les deux sociétés sont des «entités sous le contrôle de la famille Bâ dont Amadou Bâ est le père et Khadim Bâ, le fils, est le mis en cause». Tranchant la question, le juge souligne dans son ordonnance «qu’il en résulte comme conséquence de fait l’indivisibilité et l’indissociabilité des biens que seul un conflit interne peut remettre en cause comme en l’espèce ; que la commission d’une infraction suppose la réunion de trois éléments : la légalité, la matérialité et l’intention coupable ; qu’en l’espèce l’intention coupable n’est pas démontrée puisque l’endossement des chèques n’a pas été fait au profit de Khadim Bâ mais plutôt de Locafrique qui fait partie du groupe de société de la famille Bâ ; qu’il y a lieu de dire n’y avoir lieu à suivre davantage contre Khadim Bâ des chefs d’abus de biens sociaux ».
Tout compte fait, pour les deux procédures, Khadim Bâ a bénéficié d’un non-lieu. Seulement, l’appel interjeté par les conseils de Amadou Ba le remet en jeu dans cette affaire. Reste à savoir qu’elle décision la Chambre d’accusation va prendre.
Alassane DRAME

Mbaye Thiandoum